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Les frictions au travail peuvent être bénéfiques

frictionsLes frictions au travail sont parfois bénéfiques. Pixabay

Le consultant en management d’entreprise Peter Drucker nous a offert de nombreux conseils sur le comportement organisationnel. Il a affirmé : « Il n’y a rien de plus inutile que de faire efficacement ce qui ne devrait pas être fait du tout ». Les professeurs de l’Université de Stanford, Robert Sutton et Huggy Rao, offrent un examen approfondi du phénomène de friction dans The Friction Project: How Smart Leaders Make the Right Things Easier and the Wrong Things Harder.

Un article de Rodger Dean Duncan pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Selon les deux auteurs, les personnes capables de résoudre les frictions pensent et agissent comme des administrateurs du temps des autres, ce qui leur permet de se concentrer sur ce qui est vraiment important.

 

Quelle est la différence entre les mauvaises et les bonnes frictions organisationnelles ?

« Les mauvaises frictions sont imposées par des obstacles organisationnels qui rendent les bonnes choses trop difficiles, trop frustrantes ou carrément impossibles à faire », explique M. Sutton. Selon lui, les frictions bénéfiques se manifestent par des obstacles qui rendent plus difficile l’accomplissement d’une tâche, qui vous ralentissent ou qui rendent carrément impossible l’accomplissement de certaines actions.

 

Quelles sont les formes de friction les plus fréquentes ou les plus nuisibles au sein des organisations ?

Selon M. Sutton, cela dépend du secteur d’activité. « Dans le secteur des soins de santé, il s’agit des dossiers médicaux électroniques, qui ajoutent une énorme charge de travail aux infirmières et aux médecins, ce qui signifie souvent qu’ils passent leur temps avec les patients à regarder l’écran et à saisir des informations, plutôt qu’à les examiner et à interagir avec eux. »

Il cite une étude publiée en 2019 dans le Journal of the American Medical Association, qui montre que les médecins consacrent 43% de leur temps à la mise à jour des dossiers électroniques des patients, et seulement 13% aux soins qu’ils leur prodiguent.

« Pour les personnes occupant des fonctions administratives, comme les cadres et les dirigeants, les courriels, les réunions et les formalités administratives sont les principaux points de perte de temps. Et comme le montre l’étude de Katy DeCelles de la Rotman Business School, les « justiciers du travail » posent également problème. »

Selon M. Sutton, Katy DeCelles et son co-auteur Karl Aquino, ont découvert que les « justiciers du travail » sont « des personnes qui se méfient de leurs collègues et qui, même si elles n’ont pas d’autorité, s’autoproclament garants de la justice ». Mme DeCelles et M. Aquino rapportent que 42% des employés ont travaillé avec des collègues qui exerçaient ce « pouvoir étrange » et qui « surveillaient tous ceux qui ne respectaient pas à 100% les règlements ».

Selon M. Sutton, les justiciers interpellent et dénoncent leurs collègues pour des retards de deux minutes ou un bureau en désordre, par exemple. « Ils rendent la vie dure à leurs collègues et à leurs clients en appliquant toutes les règles à la lettre et, parfois, en inventant et en imposant des obstacles qu’ils estiment justes, même s’ils sont inutiles ou carrément draconiens », ajoute-t-il. « Comme ce directeur de département universitaire que nous avons rencontré et qui a inventé et appliqué des restrictions budgétaires et des limites de dépenses qui allaient à l’encontre des politiques plus raisonnables et plus souples en vigueur dans le reste de son université. »

M. Sutton et M. Rao affirment que l’objectif n’est pas d’être une organisation sans friction, mais qu’une bonne friction – souvent négligée – est indispensable aux bonnes performances.

« Dans la vie, tout ne doit pas être rapide et facile à faire, ni même possible », déclare M. Sutton. « Les actes illégaux et contraires à l’éthique devraient être impossibles à réaliser. Je suis rassuré, par exemple, que la PDG de Theranos, Elizabeth Holmes, n’ait pas été autorisée à installer le dispositif de test sanguin de son entreprise sur l’armée américaine parce que son utilisation n’avait pas été approuvée par la Food and Drug Administration (FDA). »

« Dans d’autres cas, lorsque les gens sont désorientés, qu’ils font quelque chose de très difficile ou de nouveau et de créatif, au lieu de se précipiter et de faire un travail bâclé ou médiocre, les meilleurs dirigeants demandent à leurs collaborateurs de ralentir et de réfléchir profondément à ce qu’ils font afin de bien faire les choses », explique-t-il.

Dans leur précédent ouvrage, Scaling Up Excellence, les deux professeurs de l’Université de Stanford ont écrit que les entreprises dont les produits ou les services échouent sur le marché sont bien avisées de « ralentir et d’arranger les choses » plutôt que de « continuer à se précipiter et à vendre quelque chose de peu qualitatif qui fait fuir les clients ».

Ils citent l’exemple de Noam Bardin, PDG fondateur de Waze, l’application d’assistance de navigation. « L’entreprise de M. Bardin a connu une période où la plupart des utilisateurs qui avaient téléchargé l’application et l’avaient essayée une ou deux fois ne l’utilisaient plus par la suite », explique M. Sutton. « Il a donc gelé les embauches et arrêté tout développement de produit. Il a demandé à tous les membres de l’entreprise de trouver ce qui n’allait pas avec l’application. Pendant cette pause de six semaines, ils ont dressé une liste de ce qu’il fallait corriger, puis ils ont commencé à travailler sur le produit. Quelques mois plus tard, ils ont commencé à embaucher de nouvelles personnes. L’application a été considérablement améliorée et la plupart des utilisateurs l’ont conservée après l’avoir téléchargée. Waze a connu un grand succès et, quelques années plus tard, M. Bardin a vendu l’entreprise à Google pour près d’un milliard de dollars. »

 

Sans vigilance, quel peut être l’impact d’une mauvaise friction organisationnelle sur les travailleurs ?

M. Sutton explique qu’ils deviennent exaspérés, épuisés et, s’ils le peuvent, quittent souvent leur emploi.

Les mauvaises frictions (ou « faux travail ») font perdre un temps précieux. La Harvard Business Review a rapporté que les dirigeants de Deloitte ont été, à juste titre, troublés lorsqu’ils ont « comptabilisé le nombre d’heures que l’organisation consacrait à la gestion des performances et découvert que remplir les formulaires, organiser les réunions et créer les évaluations nécessitait près de deux millions d’heures par an ».

M. Sutton explique que dans certaines entreprises, lorsque de mauvaises frictions sont mises au jour, les dirigeants ne se contentent pas de se plaindre, ils agissent. M. Rao et lui ont travaillé avec Rebecca Hinds, qui dirige le Work Innovation Lab chez Asana, sur un outil de réinitialisation des réunions. « Rebecca a travaillé avec 60 de ses collègues pour évaluer la valeur de chaque réunion permanente sur leurs calendriers et la quantité d’efforts qu’elle exigeait », explique M. Sutton. « Les employés ont identifié des centaines de réunions à faible valeur ajoutée et, avec les conseils de Rebecca, ils ont éliminé certaines réunions et en ont repensé d’autres pour qu’elles soient plus courtes, moins fréquentes ou qu’elles réunissent moins de personnes. En moyenne, les employés qui ont participé à cette « réinitialisation des réunions » en ont économisé environ quatre par mois. »

Les professeurs de Stanford citent un article paru en 2024 dans le New England Journal of Medicine, selon lequel Lifespan, le plus grand système de santé de l’État du Rhode Island, a introduit dans ChaptGPT-4 son formulaire de consentement à une intervention chirurgicale pour les patients, avec cette invite de 14 mots : « Tout en préservant le contenu et le sens, convertissez ce consentement au niveau de lecture américain moyen ».

Le formulaire original correspondait à un niveau de lecture de 12e année (équivalent américain de la terminale), puis a été révisé au niveau de 7e année (cinquième). Remarque : l’Américain moyen lit à peu près comme un élève de 6e (sixième).

M. Sutton déclare que dans le formulaire original, l’une des instructions était la suivante : « Vous avez le droit d’être informé(e) sur la ou les procédures chirurgicales recommandées par votre prestataire afin de pouvoir décider en toute connaissance de cause de subir ou non la ou les procédures. Le but de ce formulaire est de fournir une reconnaissance écrite de votre consentement ». Grâce à ChatGPT-4, l’instruction révisée est la suivante : « Vous avez le droit de savoir ce qu’il en est de votre intervention chirurgicale et d’autres traitements. Ce formulaire est votre accord écrit ».

Lifespan a lancé ce nouveau formulaire en septembre 2023. Il est maintenant rempli par environ 35 000 patients par an.

 

Comment les meilleurs dirigeants savent-ils quand il faut alléger la charge de travail et supprimer des tâches ?

M. Sutton explique qu’ils font des audits. « Ils déterminent le temps perdu en réunions, en courriels, en messages Slack, en formations inutiles, en applications excessives, etc. Ensuite, ils font quelque chose pour y remédier. »

Selon le professeur de Stanford, les dirigeants efficaces sont « parfaitement conscients de la manière dont leur comportement interpersonnel, les règles et les normes qu’ils établissent et les structures organisationnelles qu’ils créent facilitent les bonnes choses et rendent les mauvaises plus difficiles ». Ils se concentrent sur la manière dont ils peuvent continuer à améliorer les choses pour leurs collègues et leurs clients.

« Cet état d’esprit a été démontré par le PDG que nous avons rencontré et qui s’est efforcé de rédiger des courriels 50% plus courts, parce que cela permettrait à ses milliers d’employés de gagner beaucoup de temps », explique M. Sutton. « C’est aussi ce qu’a démontré l’agent de sécurité d’une grande entreprise pharmaceutique, qui a trouvé le moyen de supprimer la barrière du parking et de mettre au point un système de sécurité plus efficace pour s’assurer que tous les visiteurs étaient autorisés. Cela a permis d’éliminer l’embouteillage du matin à l’entrée du parking de l’entreprise. »

 


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