Le mouvement généralisé #MeToo a exposé l’ampleur du harcèlement et des agressions sexuelles, en particulier sur le lieu travail. Les entreprises proposent depuis longtemps des formations en matière de harcèlement sexuel à leurs employés (celles-ci sont d’ailleurs souvent exigées par la loi), mais leur objectif est généralement d’éviter toute forme de poursuites judiciaires. Par conséquent, ces formations n’ont guère contribué à limiter les comportements répréhensibles.
Dans ce contexte, les fondatrices du fonds de défense juridique Time’s Up, Roberta Kaplan et Tina Tchen, ont lancé HABIT, une nouvelle société de conseil visant à prévenir le harcèlement sexuel au travail.
L’acronyme HABIT signifie en anglais harassment, acceptance, bias and inclusion training (formation en matière de harcèlement, d’acceptation, de préjugés et d’inclusion). La société propose aux cadres et aux dirigeants des programmes de formation anti-harcèlement et des programmes de compliance afin de refaçonner la culture d’entreprise.
Avocate associée chez Buckley LLP et ancienne assistante de Michelle Obama, Tina Tchen explique : « En réalité, la formation que nous dispensons depuis 30 ans n’est pas vraiment conçue pour faire évoluer la culture d’entreprise. Certes, la formation du personnel quant aux prescriptions de la loi anti-harcèlement est essentielle. Mais il faut aussi aller plus loin et apprendre aux individus à encadrer, critiquer, et piloter l’espace de travail, afin de bâtir une meilleure culture d’entreprise ».
La mise en place de valeurs d’entreprise fortes est cruciale dans la prévention du harcèlement. Selon Tina Tchen, cela doit commencer tout en haut de la hiérarchie. « Nous encourageons le personnel dirigeant à transmettre le message que ces formations sont conçues en fonction de valeurs qui reflètent l’engagement de l’entreprise ».
La stratégie de HABIT va bien au-delà de l’approche traditionnelle de compliance, puisqu’elle fournit aux sociétés des services personnalisés en fonction de leurs besoins spécifiques.
Au cours de la phase de consultation, les clients discutent des problèmes qu’ils ont déjà rencontrés, de la culture d’entreprise qu’ils espèrent installer et des valeurs qu’ils souhaitent transmettre à leurs clients.
Les programmes de formation se tiennent en présentiel, contrairement aux formations en ligne, puisqu’ils se servent de scénarios spécifiques au secteur et à l’entreprise en tant qu’exemples. « Lorsque nous guidons des personnes dans diverses situations, nous leur demandons de se faire l’écho de leur secteur. Le scénario doit correspondre à un contexte auquel elles pourraient assister ou avoir été déjà confrontées. Nous avons constaté que cela fonctionne bien plus quand nous annonçons que ce sont vraiment des choses qui arrivent dans le secteur. C’est comme un déclic » explique toujours Tina Tchen.
Forts de ce regain d’intérêt pour la sécurité au travail, plusieurs États américains ont voté ou renforcé leur législation contre le harcèlement. L’an passé, la Californie a adopté un projet de loi imposant aux entreprises comptant cinq employés ou plus de proposer des formations en matière de harcèlement à tout son personnel. Auparavant, le seuil pour dispenser ces formations était de 50 employés et ne prenait pas en compte les employés subalternes. En avril de cette année, l’État de New York a mis à jour sa législation sur le harcèlement sexuel et a mis en place un programme de formation en ligne pour les employeurs à New York.
Dans de nombreux autres États, la formation au harcèlement sur le lieu de travail n’est toujours pas obligatoire, et dans d’autres elle ne l’est que pour les cadres dirigeants. La majorité de la formation existante s’appuie sur la stricte définition légale du harcèlement, négligeant complètement la notion de culture d’entreprise.
Pour Tina Tchen : « Selon les directives fédérales concernant le harcèlement sexuel, les témoins et collègues ne sont pas tenus de prendre la défense d’une personne victime de harcèlement. S’ils prennent la parole, ils ne sont pas protégés, et pour un employeur, cela ne correspond sûrement pas à la culture d’entreprise rêvée. Cette situation peut donc amener une société à penser que la formation devrait aussi cibler la protection des témoins et adopter des mesures pour ce faire ».
Roberta Kaplan, associée fondatrice du cabinet Kaplan Hecker & Flink LLP, ajoute : « Dans ce contexte, la loi n’est pas très efficace pour conditionner les comportements. Mentionnant les droits LGBTQ au travail, l’avocate estime que l’acceptation culturelle des personnes LGBTQ prévalait sur la protection juridique. Il en va de même pour la formation sur le harcèlement et les préjugés. Avant d’amener les individus à se conformer à la norme juridique, nous devons faire évoluer la culture et la façon dont ils appréhendent ces éléments ».
Pendant des années, les entreprises ont dépensé de l’argent pour des programmes anti-harcèlement qui ont donné naissance à une véritable industrie de la formation pesant plusieurs milliards de dollars. Pourtant, ces programmes n’ont pas démontré leur efficacité dans la prévention et la réduction des comportements répréhensibles, en témoignent toutes les actions en justice engagées pour plusieurs millions de dollars.
L’impératif financier impliqué par les programmes de formation axés sur l’évolution de la culture d’entreprise est très clair. Du côté de la fidélisation, le renouvellement du personnel peut vite devenir coûteux, puisque le remplacement de débutants peut coûter à lui seul des milliers aux employeurs.
Tina Tchen estime que « l’aspect financier n’est pas le plus complexe. Toute entreprise qui ne prend pas cette question au sérieux se trompe de chemin ».
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