Au cours de la dernière décennie, l’économie numérique a progressé deux fois et demie plus vite que le PIB de l’économie physique (Forum économique Mondial, 2023). La Banque mondiale estime que l’économie numérique représente plus de 15 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Pour une large part, ce succès repose sur la capacité de l’économie numérique à réduire les coûts d’information préalable aux échanges ainsi que les coûts de transactions à presque rien.
La confiance est le principe central de l’économie numérique. En ligne, nous sommes convaincus d’interagir avec des personnes authentiques, dont le statut n’est pas usurpé, plutôt qu’avec des robots ou des personnes qui se font passer pour ce qu’elles ne sont pas. Nous comptons sur la sécurité, la fiabilité et la protection de notre vie privée offertes par les sites que nous fréquentons. Nous utilisons sans crainte un nombre croissant de produits et services numériques démontrant la confiance que nous leur portons.
Cette confiance est la source de la réduction des coûts d’information et de transactions. Elle assure l’efficience sans égale de l’économie numérique. Depuis trois décennies les chercheurs en économie comme en sciences de gestion ont appris à articuler des relations économiques fondées sur la confiance avec la recherche individuelle de l’intérêt personnel. Dans ce cadre, la confiance ne signifie pas la croyance naïve en l’honnêteté des partenaires économiques, mais tient en la faible probabilité de violation des accords implicites ou explicites[1]. En s’écartant des termes d’un contrat tacite, nos partenaires numériques auraient plus à perdre qu’à gagner.
Ainsi, Le niveau de confiance des consommateurs dans les commentaires en ligne est très élevé. Il continue pourtant de progresser. Il serait passé de 76 % à 84 % entre 2015 à 2020 suivant BrightLocal (2020)[2]. Le caractère censé désintéressé de ces dépôts de commentaires leur confère une crédibilité inatteignable par d’autres sources d’information et notamment la publicité (Kantar, 2020)[3].
De fait, les chercheurs ont noté que les commentaires en ligne influencent 93 % des individus dans leurs décisions commerciales. 82% des consommateurs consultent en moyenne 10 commentaires dans le cadre de leur recherche d’informations et 86% d’entre-eux hésiteront à faire des affaires avec une entreprise présentant trop de commentaires négatifs.
Il faut pourtant déchanter. La prévalence des faux commentaires varie de 16 % à plus de 50 %[4], en fonction du secteur d’activité et des efforts déployés par le site internet pour détecter les faux commentaires.
Il est difficile d’estimer l’impact des faux commentaires sur le développement de l’économie numérique. Un grand nombre de consommateurs n’a pas encore pris la mesure du phénomène et attribue les déceptions rencontrées au produit ou au vendeur et non aux faux commentaires qui ont orienté la décision d’achat. Toutefois, cette situation pourrait évoluer rapidement, pénalisant le dynamisme de l’économie numérique et conduisant à l’édification d’un cadre réglementaire coûteux à mettre en œuvre. Les PMEs, les start-ups et l’ensemble des nouveaux entrants sur les marchés numériques pourraient être les premières victimes d’un encadrement restrictif du dépôt de commentaires.
La détection des faux commentaires fait l’objet d’une recherche intense menée de concert par les grandes entreprises de l’économie numérique et un nombre toujours croissant de chercheurs en sciences de gestion. Les premiers résultats de ces études concernent les motivations des scripteurs de faux commentaires, les marqueurs de leur crédibilité et les intérêts associés aux divers moyens de détection des faux avis.
Les motivations des scripteurs de faux commentaires
Il est tentant pour les grandes entreprises, comme pour les PMEs, de distordre les termes de la concurrence en postant de faux commentaires vantant les qualités de leurs produits. Certains groupes vont plus loin et n’hésitent pas à dénigrer les marques concurrentes. La pratique semble ancienne. En 2013, Samsung s’est vu infliger une amende de 340 300 dollars par la commission taïwanaise chargée de l’équité des pratiques commerciales pour avoir payé des rédacteurs de commentaires attaquant les produits HTC et faisant l’éloge des produits Samsung[5]. L’utilisation de bots permet aujourd’hui d’automatiser ces mauvaises pratiques, amplifiant celles-ci.
Des milliers de quidams s’adonnent également à la rédaction de faux commentaires. La rédaction de commentaires améliore l’estime que les individus se portent à eux-mêmes. Les particuliers consentent à ce travail d’écriture qui traduit l’affirmation d’une volonté de leadership d’opinion. Le scripteur cherche à peser sur les choix de consommation de ses pairs et ainsi s’élever au-dessus d’eux. La manipulation des avis est liée à la satisfaction de besoins psychologiques, découlant en partie d’une recherche de statut. Le besoin de reconnaissance, la quête de réputation voire l’affichage d’une expertise apparente sont les moteurs de la rédaction de faux commentaires. D’autres motivations, davantage prosociales, guident également la rédaction de faux commentaires. Ces derniers doivent être alors compris comme des preuves d’affection et de soutien à une entreprise ou à une marque. Les petites entreprises, locales et respectueuses de l’environnement ont tendance à recevoir davantage de soutien de la part des consommateurs. Ceux-ci fabriquent souvent des commentaires positifs pour promouvoir de telles entreprises. Cette constatation reflète l’intérêt croissant que les consommateurs portent aux produits locaux et aux questions sociales et environnementales.
Les marqueurs de la crédibilité d’un commentaire
Confrontés à la masse des commentaires déposés sur les plateformes d’achat, les chercheurs n’ont aucun moyen de distinguer a priori ceux reflétant une expérience véritable des tentatives de manipulation. A défaut, certains d’entre-eux ont créé des expériences de laboratoire en soumettant des volontaires à une série de commentaires, certains vrais d’autres non. L’objectif est de comprendre pourquoi certains commentaires nous semblent sincères alors que d’autres nous inspirent de la méfiance. La question corollaire concerne notre capacité à distinguer les vrais commentaires des faux.
Cinq aspects des commentaires en ligne influencent leur crédibilité perçue : l’incitation perçue du scripteur, le caractère déséquilibré du commentaire, le chevauchement des commentaires, la non-conformité de la composition de ceux-ci et l’invraisemblance du scripteur.
L’incitation perçue de l’évaluateur fait référence à la tentative des consommateurs d’identifier les motivations et les intérêts du scripteur.
Le caractère déséquilibré des commentaires concerne la possible multiplication d’avis élogieux postés par l’entreprise concernée ou la série d’évaluations négatives publiée par des rivaux. Par ailleurs, les entreprises ne peuvent se résoudre à publier des avis insipides ou modérés, les faux commentaires sont généralement plus extrêmes.
Les chevauchements de commentaires reposent sur l’émergence de schémas ou de formulations communes dans un ensemble d’avis. Par exemple, des formulations répétitives dans les commentaires amènent le consommateur à se méfier de ceux-ci. Lorsque plusieurs avis sont horodatés très près les uns des autres, ceux-ci sont généralement considérés comme faux.
La non-conformité de la composition des commentaires met en évidence les fautes de grammaire et d’orthographe de nombreux avis. Les consommateurs ont tendance à associer ces caractéristiques aux faux avis.
Enfin, l’invraisemblance du nom du scripteur (par exemple, xbYEh@84) conduit à penser que le commentaire a été généré par un bot.
Dans les expériences de laboratoire, le volontaire mobilisant toutes ces ressources cognitives dispose de beaucoup de moyens pour distinguer les commentaires crédibles des tentatives de manipulation. D’autres chercheurs ont montré qu’une formation de ces volontaires aux techniques de manipulation améliorait encore la capacité de ces derniers à identifier de façon pertinente les faux commentaires.
La détection automatisée des faux avis
Malgré le volume considérable de recherches engagées, il n’y a toujours pas de consensus concernant l’efficacité des méthodes de classification automatisée des commentaires. Cette incertitude est particulièrement importante lorsqu’il s’agit de différencier les commentaires authentiques des tentatives de manipulations et d’évaluer les retours d’expérience des consommateurs.
Les spécialistes du marketing et les plateformes de vente disposent de nombreuses techniques automatisées d’analyse de texte et d’exploration des sentiments. Celles-ci sont fondées sur des lexiques et des systèmes d’apprentissage statistique. Ces techniques exploitent les propriétés de l’apprentissage automatique, des réseaux neuronaux, du machine learning et de l’IA. L’exploration des opinions et l’analyse des sentiments sont les études fondamentales effectuées dans ce contexte. Toutefois, il parait nécessaire de disposer de modèles théoriques complets qui se concentrent également sur les caractéristiques textuelles en tant qu’indicateurs de l’authenticité des commentaires. En effet, les chercheurs soulignent l’importance de disposer d’évaluations de la signification sémantique, des sentiments du scripteur et d’informations concernant le contexte avant de statuer sur la qualité du commentaire.
A défaut de disposer d’un modèle théorique complet, la détection automatisée des faux commentaires s’avère encore largement faillible. Unanimement, les concepteurs de ces outils soulignent que ceux-ci font beaucoup mieux que les individus les mieux entrainés. C’est d’autant plus vrai que la solution automatisée analysera avec le même sérieux les commentaires laissés sous la pochette de 3 stylos jetables proposée par Amazon et ceux qui accompagnent la présentation d’un bien durable vendu plusieurs milliers d’euros. La variabilité des ressources cognitives investies par un consommateur, suivant la valeur d’engagement de l’achat, explique pour partie la supériorité des modèles de détection automatisée.
Conclusion
En réduisant les coûts d’accès à l’information, l’économie numérique impose ses modèles commerciaux dans un nombre toujours croissant de domaines. La confiance dans l’information mise à la disposition de chacun d’entre nous pour opérer des choix et prendre des décisions est au cœur du développement des sites de vente en ligne comme de celui des réseaux sociaux. Dans un tel contexte, la multiplication des faux commentaires, comme la diffusion de fausses informations constituent une menace très sérieuse susceptible de distordre la concurrence sur les marchés numériques. Les recherches menées sur ce thème partout dans le monde montrent qu’une meilleure détection des faux commentaires est à la portée de consommateurs dûment formés aux techniques de manipulation. L’implémentation de solutions automatisées mobilisant des ressources technologiques et financières très élevées est également envisageable. Si la mise en œuvre de solutions aussi coûteuses devenait l’actif stratégique le plus important de la vente en ligne, on assisterait à une concentration de la distribution numérique, au profit des plus grandes plateformes de vente et au détriment des autres acteurs de l’offre. Nous préférons appeler les consommateurs à davantage de vigilance et de discernement.
Eric BRAUNE, Professeur associé – OMNES EDUCATION RESEARCH CENTER
[1] Bromiley, P., & Cummings, L. L. (1993). Organizations with trust: Theory and measurement. In 53rd annual meeting of the Academy of Management, Atlanta, GA.
[2] BrightLocal (2020). Local consumer review survey 2020. https://www.brightlocal.com/research/local-consumer-review-survey/.
[3] Kantar (2020). How important is consumer trust to effective programmatic advertising? https://www.kantar.com/inspiration/advertising-media/howimportant-is-consumer-trust-to-effective-programmatic-advertising.
[4] Camilleri, A. R. (2019). How to spot a fake review: You’re probably worse at it than you realise.
[5] https://abcnews.go.com/Technology/samsung-fined-paying-people-criticize-htcs-products/story?id=20671547
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