Bien valoriser son entreprise est une préoccupation commune à tous les entrepreneurs, a fortiori dans la perspective d’une opération de fusions-acquisitions. Quel que soit le secteur d’activité et quelle que soit la transaction envisagée, pouvoir se représenter combien elle vaut, est une question centrale et permet de calibrer au mieux la nature de l’opération et la typologie des investisseurs ou des partenaires.
Une contribution de Sandrine Benaroya, avocat associé M&A-PE (Fairway)
La valorisation d’un restaurant, qu’il s’agisse du fonds de commerce ou des titres de la société qui en porte l’exploitation, répond à un ensemble de règles qui permettent de déterminer assez mécaniquement une fourchette de prix. Une lecture basique de barèmes d’évaluation des fonds de commerce de restauration permettra d’avoir une idée de la valeur du fonds qui globalement sera comprise entre 65% et 90% du chiffre d’affaires annuel TTC pour les restaurants de moyenne catégorie, et entre 70% et 100% du chiffre d’affaires annuel TTC pour les restaurants de luxe. En ce qui concerne le prix de cession des titres de la société exploitante, il est le plus souvent déterminé soit à partir de la méthode de l’actif net réévalué, soit par l’application d’un multiple à un agrégat comme l’EBITDA (qui mesure la performance de manière comparable à l’excédent brut d’exploitation) afin de déterminer la valeur d’entreprise, à laquelle il faudra ensuite retrancher la dette financière nette. Dans la première méthode, la principale difficulté consiste à réévaluer l’actif afin d’y intégrer la valeur du « goodwill » et le passif (hors capitaux propres) vient en diminution de celui-ci. Dans la seconde méthode, la détermination du multiple qui sera appliqué reste le sujet central et dépendra fortement des transactions comparables récentes.
Pourtant, la question de la valorisation n’est pas si simple dans un secteur qui suscite précisément un intérêt croissant des investisseurs en France : les opérations de fusions-acquisitions dans le domaine de l’hôtellerie-restauration haut de gamme se sont multipliées ces dernières années attirant de nouveaux acteurs comme les fonds de private equity, les family offices ou des investisseurs financiers plus traditionnels attirés par ces actifs.
Dans ce contexte, la structuration juridique et fiscale s’est complexifiée pour coller au plus près au cahier des charges posé par ces nouveaux acteurs, en transposant notamment des mécanismes utilisés traditionnellement dans d’autres secteurs. Prise de participation progressive au capital, octroi de promesses d’achat et de vente à terme sur le capital, mécanisme de complément de prix ou d’intéressement du chef au capital sont autant de schémas désormais utilisés dans les opérations du secteur de l’hôtellerie-restauration. Cette évolution a notamment contraint les professionnels à devoir anticiper et s’accorder en amont sur les formules de valorisation en imaginant le plus de scenarii possibles.
S’il est aujourd’hui quasiment la norme de déterminer la valeur d’une société exploitant un restaurant à partir d’une moyenne de plusieurs années de résultats afin d’éviter les effets d’aubaine liés à une année exceptionnelle (dans un sens ou dans un autre), cette précaution n’est pas toujours suffisante. Certains événements ont un impact majeur qui pourrait ne pas se traduire immédiatement dans les résultats et il convient de mettre en place des accords qui permettent de pallier cette situation. Il n’est alors pas question de soustraire les investisseurs au risque d’exploitation normal auquel ils doivent légitimement faire face, mais bien de prévoir des palliatifs pour éviter l’application mécanique d’une formule dont le résultat n’aurait plus beaucoup de sens. A ce titre, les établissements de luxe sont particulièrement dépendants des effets des classements professionnels et de la réputation de leur chef.
Dans une étude intitulée « Etoiles Michelin : quel impact économique et financier sur les restaurants ? », Olivier Gergaud, Professeur d’économie à KEDGE Business School et chercheur associé au LIEPP – Sciences Po, estimait en 2017, qu’obtenir une étoile Michelin permettait de booster en moyenne de 80% le chiffre d’affaires sur trois ans, tout en expliquant les effets positifs de cette distinction pour l’établissement : une augmentation de la notoriété et de la confiance des consommateurs et des investisseurs et une augmentation des prix de 25 à 30%.
Mais les effets liés à la perte d’une étoile restent les plus préoccupants, notamment parce qu’ils changent considérablement le montant des investissements à réaliser à l’avenir. En effet, pour retrouver l’étoile perdue, l’établissement devra faire face rapidement à des dépenses imprévues très importantes et trouver les moyens de les financer, dans un contexte de baisse significative probable de sa clientèle. Autant d’éléments qui modifient très significativement le business plan présenté aux investisseurs.
Ces éléments doivent bien évidemment être intégrés dans les formules de détermination de la valeur du restaurant à terme, car bon nombre des montages juridiques actuels visés ci-dessus imposent de devoir déterminer au cours de la vie de l’investissement la valeur de l’actif.
Dans la même veine, la démission du chef intervenant en cours d’année est de nature à avoir un impact très significatif et immédiat sur la valeur de l’exploitation, alors même que celui-ci ne se traduirait encore ni dans les chiffres, ni dans les classements professionnels l’année de son départ.
Il revient donc aux conseils d’être suffisamment créatifs pour structurer des accords dans les opérations de fusions-acquisitions permettant de rétablir les équilibres économiques face à ces événements imprévus. Alternativement, les parties pourront toujours prévoir de s’en remettre à une expertise de valeur par un ou plusieurs professionnels, avec les aléas qu’un recours à ce type de méthode implique et qui rend donc cette solution très peu appréciée par les investisseurs.
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