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Story | Les erreurs de Ruth Madoff

Ruth Madoff
Ruth Madoff. | Source : capture d'écran vidéo

Dans un extrait exclusif de Madoff: The Final Word, Ruth Madoff, la femme du roi de la pyramide de Ponzi est présentée comme une menteuse. Comptable de formation, elle a régulièrement vérifié le compte qui a abrité la fraude de 68 milliards de dollars pendant des décennies. Découvrez pourquoi « Ruthie Books » (comme la surnommaient les agents du FBI) et ses deux fils n’ont jamais été inculpés.

Article de Richard Behar pour Forbes US – traduit par Flora Lucas

 

Ruth « Ruthie Books » Madoff, c’est le surnom que les agents du FBI ont donné en privé à l’épouse de Bernard Madoff depuis plus de 61 ans, et il est tout à fait approprié, étant donné qu’elle a menti comme un arracheur de dents lors de son passage à l’émission 60 Minutes, l’une des rares interviews qu’elle ait accordées depuis l’arrestation de son mari en 2008.

Lors de l’émission, diffusée en 2011, elle a expliqué à Morley Safer qu’elle avait travaillé comme réceptionniste et comptable chez Bernard L. Madoff Investment Securities (BLMIS) de 1961 à 1963, mais qu’elle avait ensuite quitté l’entreprise pour élever ses fils. « Plus tard, lorsque les garçons ont commencé à travailler chez BLMIS », a-t-elle ajouté, « nous habitions à proximité et j’avais un bureau où je m’occupais de la décoration, de la maison, des factures pour le bateau ainsi que de la gestion. Mais je n’ai jamais été comptable après 1963. »

 

La fraude de Ponzi de Bernard Madoff

Comme dans toutes les pyramides de Ponzi, Bernard Madoff a attiré de nouveaux fonds en mettant en avant les gains colossaux empochés par ceux qui avaient déjà « investi ». Cependant, pour satisfaire ses clients tout en les escroquant année après année, il faut faire preuve de plus de sens de la gestion qu’on ne pourrait le croire. Des documents financiers (portant son écriture) et des témoignages d’anciens employés révèlent que Ruth Madoff s’est efforcée de gérer certains des principaux comptes bancaires de l’arnaque pendant plusieurs décennies après les années 1960, et jusqu’au début de l’année 2008, lorsque le scandale a éclaté. « Je me souviens avoir pensé, en regardant l’émission, “Oh mon Dieu, elle est dans 60 Minutes en train de mentir sur son rôle dans l’entreprise” », s’exclame l’ancienne procureure Lisa Baroni, qui a supervisé plusieurs années d’enquêtes sur les affaires concernant la famille et les employés de Madoff. « Ce qu’elle a dit était faux. »

À l’époque, personne ne s’est soucié des déclarations de Ruth Madoff à la télévision, mais les autorités fédérales ont su la vérité dès 2009, grâce aux informations fournies par Frank DiPascali, l’un des principaux lieutenants de Bernard Madoff et le principal informateur des autorités fédérales. « Interrogé sur le rôle de Ruth dans BLMIS, Frank a compris qu’elle était chargée de réconcilier le compte Chase 703 », selon un agent du FBI qui l’a interrogé en 2009 et a inclus cette observation dans un résumé confidentiel connu dans le jargon de l’agence sous le nom de « 302 ».

Le « 703 » était le surnom du compte courant de JPMorgan Chase d’où provenait la quasi-totalité de l’argent de la fraude de Ponzi. Dans ce contexte, la « réconciliation » consiste à faire correspondre les relevés bancaires avec les autres registres de la société concernant les entrées et les sorties d’argent. En d’autres termes, le travail de Ruth Madoff consistait à s’assurer que les chiffres correspondaient et à garder les livres bien rangés.

Bien que Bernie et Ruth Madoff aient toujours vigoureusement insisté sur le fait qu’elle ne savait absolument rien, il convient de rappeler que le compte 703 de Madoff était la pyramide de Ponzi. Rien qu’entre 1986 et 2008, le compte 703 a reçu des dépôts et des transferts d’environ 150 milliards de dollars, la quasi-totalité provenant d’investisseurs. La fraude de Bernard Madoff est toutefois considérée comme une fraude de Ponzi de 68 milliards de dollars, car c’est le montant fantôme qui figurait sur les relevés de compte des clients lorsque Bernard Madoff a finalement été traduit en justice.

En une seule journée, plus de 100 millions de dollars, à la vitesse d’un marteau-piqueur, ont fait la navette entre le compte Chase et l’un des plus gros investisseurs de Bernard Madoff. Que faisait Ruth Madoff pendant qu’elle calculait les chiffres, jour après jour après jour, depuis le bureau de sa société qu’elle disait utiliser principalement pour « la décoration, les affaires de la maison et des factures de bateau » ? Elle était connue pour être très douée en mathématiques depuis ses années de lycée, et ce genre de mouvements d’argent rapides a dû déclencher des signaux d’alarme. N’a-t-elle jamais interrogé son mari à ce sujet ? Elle ne l’a jamais dit.

 

Le rôle de Ruth Madoff

Frank DiPascali se souvient que Ruth Madoff cherchait souvent « des réponses à propos de chèques qui n’avaient pas été compensés ou qui n’étaient pas dans l’ordre numérique ». Cependant, en 2008, quelques mois avant l’explosion de la pyramide de Ponzi, Ruth Madoff a semblé réduire son implication.

Frank DiPascali a plaidé coupable de dix chefs d’accusation de fraude et est mort d’un cancer du poumon en 2015 dans l’attente de sa condamnation, mais en tant qu’indic, il jouissait d’une excellente réputation auprès des autorités fédérales. Pendant plus de quatre ans, il a participé à plus de 75 longues séances de débriefing avec des enquêteurs, qui ont affirmé ne jamais l’avoir pris en flagrant délit de mensonge. Et il était loin d’être le seul employé à pouvoir parler du rôle durable de Ruth Madoff dans le compte 703. En 2018, Eric Lipkin, un employé de BLMIS qui avait plaidé coupable de falsification de documents, a révélé pendant combien de temps Ruth Madoff s’est occupée de la comptabilité à partir du moment où il a rejoint l’entreprise en 1992 : « Elle était souvent au bureau. »

Les employés de BLMIS qui ont dénoncé Ruthie Books n’ont pas tous été reconnus coupables d’un délit. Dans l’affaire Madoff Five, un témoin n’a jamais été inculpé : Winifred Jackson, qui a travaillé chez Madoff Securities pendant plus de dix ans et qui a participé à la gestion du compte 703. Winifred Jackson raconte que lorsqu’elle a commencé, en 1987, Ruth Madoff était la principale réconciliatrice, « repérant les transpositions de chiffres, apportant des corrections si nécessaire ».

Cela ne signifie pas, bien entendu, que Ruth Madoff savait que l’entreprise de son mari était une chaîne de Ponzi. Rien ne prouve qu’elle le savait. Alors, pourquoi mentir à 60 Minutes à propos de la comptabilité ? Et compte tenu de ce mensonge, comment et pourquoi devrait-on croire sa parole sur quoi que ce soit d’important ?

« Elle n’était pas dans la confidence », a confié Bernard Madoff depuis sa prison, où il purgeait une peine de 150 ans pour ses crimes. « Elle n’était pas accusée de quoi que ce soit. Elle ne faisait pas l’objet d’une enquête. » Cependant, la vérité, c’est que Ruth Madoff faisait bel et bien l’objet d’une enquête.

Si le rôle de Ruth Madoff dans la fraude a pu être marginal, son père, Saul Alpern, comptable, ne cesse d’apparaître dans l’histoire des origines de la pyramide de Ponzi de Bernard Madoff. Saul Alpern a présenté son gendre à un grand nombre de ses premiers investisseurs au début des années 1960. « Saul était l’incubateur », explique Steven Garfinkel, un ancien agent du FBI qui a enquêté sur la famille après l’arrestation de Bernard Madoff. « Comme un investisseur en capital-risque de la Silicon Valley qui mettrait en contact des techniciens, Saul mettait en contact des escrocs. »

Ruth Madoff et ses fils, Mark et Andrew, ont affirmé avoir appris la fraude le 10 décembre 2008, la veille de l’arrestation de Bernard Madoff, lorsque ce dernier leur a soi-disant avoué avant de partir pour la fête de fin d’année de l’entreprise. Selon leur récit, Bernard Madoff aurait dit qu’il se rendrait à la police au cours de la semaine suivante, ce qui aurait incité ses fils à le dénoncer eux-mêmes immédiatement. Si de nombreux fonctionnaires fédéraux pensent que cette histoire était une ruse, organisée par Bernard Madoff pour faire passer ses fils pour des citoyens respectueux de la loi, aucune preuve n’a jamais été apportée pour montrer qu’il s’agissait d’un mensonge.

Quoi qu’il en soit, Ruth Madoff n’a certainement pas agi de manière héroïque. Elle a immédiatement retiré 10,5 millions de dollars de l’un de ses comptes liés à BLMIS (trois semaines plus tôt, elle avait retiré 5 millions de dollars supplémentaires). Elle n’a apparemment pas réalisé (ou ne s’est pas souciée) que l’aveu de son mari signifiait que la musique devait s’arrêter immédiatement : plus de carte de crédit d’entreprise et plus de retraits de fonds qui devraient être restitués aux investisseurs escroqués.

Les « garçons », comme on les appelait durant l’enquête, semblaient tout aussi indifférents aux légions d’investisseurs innocents, bien que cupides, floués par leur père. Ils ont tous deux protesté de leur innocence jusqu’à la fin (Mark s’est suicidé en 2010 tandis qu’Andrew a succombé à un lymphome en 2014) en luttant contre la restitution de dizaines de millions à l’administrateur judiciaire [Irving Picard] chargé de récupérer les milliards volés. En effet, ils ont insisté sur le fait qu’ils avaient toujours droit à plus de 100 millions de dollars de rémunération différée. Ce n’est qu’en 2017, huit ans après que leur père a plaidé coupable, que leurs héritiers ont conclu un accord avec l’administrateur, acceptant de débourser 23 millions de dollars.

 


« Je ne me le pardonnerai jamais », a confié Bernard Madoff depuis sa prison à propos de sa fraude. « Mais ce n’est pas comme si je l’avais planifié. Si cela avait été le cas, je m’y serais pris autrement. »


 

La famille Madoff au courant ?

Après l’arrestation de Bernard Madoff, aucun membre de la famille n’a pris contact avec le bureau du procureur américain pour proposer sa coopération. À la suite des prétendus aveux de Bernard Madiff, Ruth et Peter Madoff, le frère de Bernard, responsable de la conformité de la société, n’ont rien fait.

L’ancien agent du FBI Steven Garfinkel a enquêté sur les fils Madoff et pense que le bureau du procureur aurait dû les inculper tous les deux. « Oh, absolument », déclare-t-il aujourd’hui. « Ils étaient sur le point d’être inculpés avant le suicide de Mark. Je pensais que les preuves étaient là, pas nécessairement qu’ils savaient qu’il s’agissait d’une chaîne de Ponzi, mais la façon dont ils bénéficiaient de certaines transactions dans leurs relevés de compte IA [Investmet Advisory]. » Des transactions boursières fausses et antidatées apparaissaient régulièrement sur les comptes de Mark et d’Andrew. Des relevés de compte falsifiés apparaissaient chaque fois qu’ils avaient besoin de montrer des actifs considérables pour des achats immobiliers personnels. Ces relevés frauduleux ont été remis aux frères à leur bureau de trading BLMIS.

En fin de compte, cependant, les procureurs ont décidé qu’il n’y avait pas assez de preuves pour prouver, au-delà de tout doute raisonnable, que les fils de Bernard Madoff savaient que leurs richesses provenaient d’une vaste fraude. « L’aveuglement volontaire », c’est-à-dire le fait de se tenir intentionnellement dans l’ignorance d’un crime, est difficile à prouver devant un tribunal. Ce que l’on ne peut nier, en revanche, c’est qu’ils auraient certainement savoir. Tous deux avaient une expérience concrète des marchés. De plus, les archives montrent qu’au cours de la dernière décennie d’existence de BLMIS, près de 800 millions de dollars ont été détournés de l’activité d’investissement bidon et transférés dans les unités de négoce prétendument légitimes que les fils dirigeaient personnellement (avec leur oncle Peter qui les supervisait) des activités qui saignaient à blanc au cours de ces années. Les différentes unités de BLMIS sont devenues financièrement délictueuses. À la fin, rien n’était propre.

En 2005, dans le cadre d’une enquête de la Securities and Exchange Commission (SEC), Bernard Madoff a reçu un fax de l’agence lui demandant des documents, notamment les courriels entrants et sortants d’une poignée d’employés parmi lesquels se trouvaient ses fils. Cela a déclenché une vaste opération de destruction de documents, a expliqué Frank DiPascali aux autorités fédérales. Andrew, Mark, Peter et la fille de Peter, Shana (conseillère en conformité de la société), ont entrepris de détruire les courriels « problématiques », que Frank DiPascali a définis pour le FBI comme tout courriel « faisant référence aux clients [de AI] ou susceptible de déclencher une enquête plus poussée de la part des auditeurs ». Peter Madoff a fini par plaider coupable d’avoir fait de fausses déclarations à la SEC et d’avoir fraudé le fisc. Il a purgé environ neuf ans de sa peine de dix ans et a été libéré en 2020. Shana a échappé de peu à l’inculpation. Jointe par téléphone au début de l’année, elle a refusé de parler de l’époque où elle travaillait pour BLMIS. « J’ai tourné la page », a-t-elle déclaré, « et je me sens très bien, je n’ai donc pas besoin d’y revenir. »

Frank DiPascali a également souligné au FBI que ses discussions avec Bernard Madoff sur les mécanismes quotidiens du maintien de la pyramide de Ponzi étaient souvent menées « devant Andrew, Peter et Mark, et devant la plupart des employés de BLMIS. Aucun sujet n’était interdit. Aucun langage codé n’était utilisé ». Comme le rappelle Frank DiPascali, s’il disait à Bernard Madoff qu’il avait du mal à réaliser les faux profits souhaités pour les clients, ce dernier répondait : « Eh bien, retourne voir l’ouverture des marchés d’hier et utilise-la. » Puis il se tournait vers Andrew et lui demandait : « Qu’a fait le marché hier ? » Toute personne ayant une expérience de la négociation savait qu’il parlait de choisir des actions après coup et d’utiliser ces prix comme base pour des « transactions » frauduleuses.

« Je suis au bout du rouleau », a déclaré Bernard Madoff à Frank DiPascali dans les jours qui ont précédé son arrestation en 2008. « Toute cette affaire n’a été qu’une escroquerie. » Une semaine plus tard, Frank DiPascali a déclaré au FBI qu’il était entré dans le bureau de Bernard Madoff pour le trouver en train de parler avec Peter « de l’histoire de BLMIS et de la façon dont la fraude remontait jusqu’à [ses deux premiers investisseurs non familiaux dans les années 1960] et que Peter ne semblait pas choqué par tout cela ».

Quant à Ruth Madoff, aujourd’hui âgée de 83 ans et résidant dans une maison de retraite près de New York, elle a toujours ses partisans. « J’aime Ruth », a confié en 2011 Elaine Solomon, qui a été secrétaire de Bernard Madoff et a terminé sa carrière en travaillant pour Peter. « Je pense que Ruth a été la plus grande victime dans toute cette histoire. Ces gens qui disent que Ruth aurait dû savoir, vous savez, vous devriez vous mettre à la place de quelqu’un avant de faire un tel commentaire. Elle a tout perdu. L’amour de sa vie pendant cinquante ans. Ses fils, ses amis. »

Même son mari, accusé d’être un sociopathe, a affirmé qu’il avait beaucoup de regrets. « Ce que j’ai fait est terrible », a déclaré Bernard Madoff. « Je ne me le pardonnerai jamais, mais ce n’est pas comme si je l’avais planifié. Si cela avait été le cas, je m’y serais pris autrement », a-t-il ajouté en riant.

 

Article adapté de Madoff: The Final Word de Richard Behar. Copyright © 2024. Réimpression avec l’autorisation d’Avid Reader Press, une marque déposée de Simon & Schuster, Inc.

 


À lire également : Procès de Guillain Méjane : le « Madoff du Maine-et-Loire »

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