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Les Deux Pièges De La Transformation

Les dirigeants qui se sont essayés à la transformation, c’est-à-dire à aller au-delà de l’ajustement continu des coûts et des investissements d’une année sur l’autre, connaissent le risque lié à ces initiatives !  Trois quarts des transformations échouent partiellement ou totalement, principalement par manque de méthode et d’expérience. Car, oui, la transformation est un art, et qui se pratique avec doigté pour ne pas en faire les frais.

Ainsi, toute volonté de transformation avec recherche de productivité par la technologie et l’organisation nécessite des moyens additionnels dans un premier temps, en raison de deux phénomènes majeurs, qui sont d’origine économique, et managériaux.  Ces phénomènes se nourrissent mutuellement et retardent d’autant la matérialisation à court terme des gains issus de la transformation. Pris dans leur globalité, les effets produits par la transformation suivent une courbe en forme de « racine carrée », ce qui a pour conséquence d’impacter fortement la trajectoire budgétaire, s’ils ne sont pas anticipés en amont.

Le premier phénomène qui vient perturber la trajectoire budgétaire est l’effet de la très classique « destruction créatrice » de Joseph Schumpeter. Dans sa vision du capitalisme, l’innovation portée par les entrepreneurs est le moteur vertueux de la croissance économique sur le long terme, tel un « ouragan perpétuel ». Cependant, il peut impliquer à court terme une destruction de valeur spectaculaire pour certaines entreprises, ou sur certains marchés bénéficiant d’une forme de rente de situation ou de monopole. On se souvient du sort de Xerox pour les photocopieurs, de Polaroid ou Kodak vis-à-vis de la photographie numérique. Les nouvelles technologies, au travers des nouvelles formes d’organisation et de management, des usages nouveaux en marketing et communication et des nouvelles façons d’influencer les décideurs et les clients, relèvent de la destruction créatrice par leurs caractéristiques intrinsèques.  Par ses effets destructeurs et créateurs à la fois, le processus de destruction créatrice illustre les conséquences des approches des changements. Il déstabilise les équilibres censés être acquis, et produit un mouvement de balancier, au rythme des innovations, entre systèmes concurrentiels stables et monopole acquis technologiquement par de nouveaux entrants. La destruction créatrice est d’ailleurs souvent questionnée pour ses effets sur l’emploi.

Le deuxième phénomène qui vient challenger la trajectoire budgétaire prend sa source dans ce que l’on nomme le paradoxe de Solow. Robert Solow, prix Nobel d’Economie en 1987, en formula le principe au travers d’une expression célèbre : « you can see the computer age everywhere but in the productivity statistics ». Il a en effet longtemps avancé la théorie selon laquelle l’introduction massive de l’informatique, en tant que progrès technique, ne produisait pas d’effet sur la productivité.  Le 18 avril 2000*, Solow lui-même réaffirma sa constatation : « il est possible que ce soit la fin du paradoxe des ordinateurs, mais je n’en suis pas sûr ». Finalement, quelques années plus tard, il avoua son erreur en arguant simplement d’un décalage dans le temps entre l’investissement informatique, la formation nécessaire afférente à son utilisation, les effets d’obsolescence… et la constatation réelle des bénéfices escomptés. Cette idée de décalage temporel est creusée par Paul David** dans les années 1990. Il démontre que toute innovation technologique demande du temps pour produire ses effets, souvent freinée par le poids des changements dans l’entreprise et dans la société qu’il faut opérer simultanément. Il fonde sa théorie sur une comparaison entre la naissance de l’informatique et celle de l’ampoule et de la dynamo. Alors que les ampoules électriques étaient disponibles dès 1879, et les centrales électriques à New York et Londres en 1881, beaucoup pensaient en 1900 que l’électricité ne constituait pas vraiment une révolution industrielle. Les lignes de production étaient le plus souvent organisées autour d’une machine à vapeur centrale, avec plusieurs étages reliés par des courroies d’entraînement fonctionnant à la même vitesse. Les flux de travail étaient tellement structurés autour de la machine à vapeur que lorsque la dynamo fut introduite, elle ne fit que remplacer, dans la même configuration d’usine, la machine à vapeur, ne produisant ainsi que des gains marginaux. Il aura dès lors fallu plusieurs dizaines d’années pour tirer les vrais bénéfices de l’électricité. 

En résumé, la matérialisation des gains liés à la technologie demande simultanément une reconfiguration de l’entreprise, démarche parfois coûteuse socialement et complexe à mener concomitamment avec la gestion des opérations quotidiennes. Le temps d’obtention des gains en est mécaniquement impacté. En effet, on perd d’abord en productivité tout en investissant sur l’exercice, avant d’avoir les effets escomptés sur les exercices suivants, et souvent tard par rapport à ce qui était escompté. Ceux qui ont géré une transformation le savent bien… et ont parfois compris un peu tard les clés du succès !

*Le Monde de l’économie.

**Paul David, “The Dynamo and the Computer : An Historical Perspective on the Modern Productivity Paradox”, American Economic Review, 80, mai 1990.

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