331 députés ont voté la motion de censure déposé par le Nouveau front populaire après que le Premier ministre a engagé la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Et soudain, un maelström s’est abattu sur la sphère politique. Si la sentence était attendue depuis que le Rassemblement national a annoncé son intention de voter la motion de censure déposée par la gauche, la déflagration ne se ressent qu’une fois la chute entérinée. Sous les coups de 20h20, 331 députés se sont déclarés en faveur du renversement du gouvernement, 48 heures après que Michel Barnier a eu recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter sans vote le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). 64 ans après la dernière et unique censure d’un gouvernement sous la Ve République. Selon l’article 50 de la Constitution, le locataire de Matignon « doit » désormais remettre sa démission au président de la République.
Quelques instants auparavant, Michel Barnier s’était présenté à la tribune de l’Assemblée nationale. Sorte de baroud d’honneur pour un condamné politique. Le Premier ministre était apparu moins combattif que la veille, lorsqu’il appelait, aux journaux télévisés de TF1 et France 2, à un « réflexe de responsabilité » des députés, visant en particulier ceux du parti lepéniste, et, dans une moindre mesure, certains socialistes. Si le Premier ministre défendait jusqu’au bout ses choix avec un PLFSS présenté comme « le meilleur compromis possible » au vu de la « réalité budgétaire », il ne semblait se faire guère d’illusion sur l’issue du vote. « Cette réalité ne disparaîtra pas par l’enchantement d’une motion de censure », exposait-il. Elle se rappellera à tout gouvernement quel qu’il soit. » « J’ai été et je suis fier d’agir pour construire plutôt que pour détruire (…) Cela restera pour un moi un honneur d’avoir servi avec dignité la France et les Français », concluait-il son ultime discours dans l’Hémicycle, avant de retrouver Matignon et de recevoir les ministres durant l’heure du vote.
En effet, Marine Le Pen avait douché les minces espoirs d’un volte-face des députés RN lors de la discussion des motions de censure à l’Assemblée nationale. « La politique du pire serait de ne pas censurer un tel budget, un tel gouvernement, un tel effondrement », a-t-elle affirmé, fustigeant un budget qui « prend en otage les Français, et singulièrement les plus vulnérables, les retraités modestes, les personnes malades, les travailleurs pauvres, les Français considérés comme trop riches pour être aidés, mais pas assez pauvres pour échapper au matraquage fiscal ».
Un budget à voter
« C’est un moment historique dans le sens où il n’y a qu’un seul précédent historique, réagit auprès de Forbes France Véronique Louwagie, députée LR et vice-présidente de la Commission des finances. Mais cela présente un risque économique et budgétaire important. » S’il convient au président de la République de nommer un nouveau premier ministre – susceptible de ne pas être censuré – il importe aux députés de trouver une solution pour éviter le « shutdown » des services publics, scénario à l’américaine mis en avant par certains. Ainsi, plusieurs ministres se sont succédé ces derniers jours pour jouer les cassandres sur le budget en cas de chute du gouvernement. Si bien qu’Emmanuel Macron est monté au créneau pour minimiser les conséquences d’une censure. « Il ne faut pas faire peur aux gens avec ces choses-là, on a une économie forte« , a fait valoir le Président. Et d’ajouter : « La France est un pays riche, solide, qui a fait beaucoup de réformes et qui les tient, qui a des institutions stables, une Constitution stable. » Assez rare pour être spécifié, le Président de la commission des Finances, Eric Coquerel rejoint le chef de l’Etat sur cette question. « Pourquoi il y aurait un chaos financier ?, estime-t-il auprès de Forbes France. Il existe désormais deux solutions. »
Premièrement, la censure du gouvernement n’annule pas pour autant le projet de loi de finances, qui, après son examen actuel au Sénat, devra être de nouveau présenté à l’Assemblée le 18 décembre. Il faudrait dans ce cas qu’un nouveau Premier ministre soit nommé rapidement, qu’il reprenne le texte, l’amende, et le fasse adopter – en utilisant potentiellement un autre 49.3 – avant la fin de l’année. « Monsieur Macron ne le fera que si il est certain que le Rassemblement national ne censure pas de nouveau » expose Eric Coquerel. « Cela me paraît très compliqué étant donné la temporalité », juge quant à elle Véronique Louwagie.
Texte palliatif
La deuxième possibilité apparaît plus probable, celle d’une loi de finance spéciale. Sorte de texte palliatif, et limité à un ou deux articles, il permettrait au gouvernement de collecter les impôts en l’absence de budget. Quant aux dépenses, elles seraient encadrées par décret et plafonnées au niveau prévu pour le budget 2024. Alors que les crédits auraient dû augmenter de 3% en raison de l’inflation et de la croissance potentielle, cela reviendrait à imposer un régime sévère à la sphère publique Si bien que, dans ce contexte, le déficit budgétaire passerait de 6,1 % du produit intérieur brut en 2024 à 5,3 % en 2025, une diminution jugée « à peine inférieure » à celle inscrite dans le budget proposé par Michel Barnier rapporte la banque Natixis.
Si cette loi spéciale n’a vocation qu’à tenir quelques semaines, avant l’adoption d’une loi des finances plus conventionnelle, cette hypothèse fait frissonner la droite. « Il va y avoir des conséquences immédiates sur certains secteurs comme le logement, avec le non-élargissement du Prêt à taux zéro par exemple ,» souligne Véronique Louwagie. Et d’ajouter : « Il va y avoir un coût économique, social et budgétaire, généré par l’attentisme. » Autre crainte invoquée : une confiance des marchés entachée conduisant à une hausse du coût de financement de la dette. Reste à voir si la tempête avancée par les membres du bloc central, opposés à la chute du gouvernement, aura lieu.
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