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Les commerçants sont-ils condamnés à subir les frais de paiement par carte ?

Lorsqu’on interroge ce trésorier d’un grand groupe international sur les frais d’acceptation des paiements par carte, sa réaction est d’abord non verbale : il secoue la tête, crispe la mâchoire, exprimant un agacement palpable, avant de pousser un soupir de résignation. Après quelques explications, le constat est implacable : il est extrêmement difficile, voire impossible, de négocier ces frais de manière significative et satisfaisante.

Les événements récents ne font que renforcer ce sentiment d’impuissance généralisée. Des associations de commerçants européennes (EuroCommerce, l’association européenne des trésoriers d’entreprises (EACT), Independent Retail Europe et Ecommerce Europe) ont interpellé Bruxelles pour que la Commission se penche sur le « paysage actuel des paiements par carte », dénonçant la « position dominante de deux acteurs majeurs » et des frais qui, selon un article des Echos, ont explosé de plus de 50 % entre 2018 et 2022 pour les transactions par carte de débit, d’après une étude de la Direction générale de la concurrence européenne. En plus de ces hausses, la construction tarifaire de ces frais est, toujours selon la commission, d’une complexité extrême et fait preuve d’un manque cruel de transparence. Une complexité qu’un banquier n’hésite pas à qualifier « d’incroyable » alors que le responsable des paiements d’une grande enseigne décrit ces structures de prix comme « une jungle délibérée pour perdre les gens » selon cet autre article des Echos.

Or, à une époque où la transparence est un pilier de la gouvernance d’entreprise, il est surprenant que certains acteurs du secteur des paiements soient régulièrement critiqués pour leurs pratiques opaques. PYMNTS un site spécialisé dans les paiements, rapporte que PSR (Payment Systems Regulator), le régulateur des systèmes de paiement au Royaume-Uni, a identifié « des problèmes de transparence et de qualité de l’information » vis-à-vis des commerçants, selon Chris Hemsley, directeur général du PSR. À tel point que Bercy a exprimé le souhait que la Commission européenne lance une étude approfondie sur la hausse des frais de paiement et envisage leur encadrement.

 

Pourquoi les commerçants sont-ils impuissants face à ces frais ?

Plusieurs raisons expliquent pourquoi les commerçants se sentent démunis face à ces coûts élevés :

  • Un marché oligopolistique : Le secteur des cartes de paiement est dominé par un petit nombre de grandes entreprises, ce qui le place dans une configuration oligopolistique. Bien que légale, cette structure de marché n’encourage pas une concurrence féroce, limitant ainsi les possibilités de négociation.
  • Une dépendance structurelle : Les commerçants sont pieds et poings liés. Qu’il s’agisse d’une pizzeria de quartier, d’une chaîne hôtelière ou d’une compagnie aérienne internationale, refuser d’accepter les paiements par carte en 2024 est pratiquement impossible. L’utilisation des cartes s’est largement généralisée (notamment après la pandémie de Covid), et les commerçants n’ont, en pratique, pas toujours la liberté de se passer de ce moyen de paiement.
  • Une complexité tarifaire écrasante : Le modèle économique des paiements par carte est complexe et opaque, impliquant de nombreux acteurs : réseaux de cartes, banques émettrices, acquéreurs de commerçants, processeurs, facilitateurs de paiement et autres intermédiaires. Cette complexité rend la compréhension et la maîtrise des frais particulièrement laborieuses.
  • Une croyance limitante : Un grand nombre de directions financières, des achats ou de la trésorerie sont convaincues qu’il est impossible de négocier avec les géants du paiement. Cette croyance, bien qu’erronée, est largement répandue et contribue à l’immobilisme.
  • Un mécanisme de récompenses coûteux : Une étude menée en 2023 par Lulu Wang, professeur de finance à l’université Northwestern, explore les mécanismes économiques derrière les récompenses des cartes de crédit. Elle montre comment les réseaux de cartes attirent les consommateurs grâce à ces avantages, tout en imposant des frais élevés aux commerçants pour les financer.  

 

Quelles solutions pour soulager les commerçants ?

Heureusement, plusieurs solutions existent pour les commerçants, qu’ils soient hôteliers, distributeurs spécialisés, une chaîne de restauration rapide ou autre. Certaines peuvent être mises en œuvre immédiatement, d’autres nécessitent une approche à plus long terme :

  • Limiter les moyens de paiement acceptés : Accepter tous les moyens de paiement peut être coûteux. Et pas toujours une nécessité. En effet, les clients possèdent généralement plusieurs cartes dans leur portefeuille. Est-il nécessaire de toutes les accepter ? Cette question mérite réflexion. Et doit être traitée en fonction des situations individuelles.
  • Briser les croyances limitantes : Contrairement à une idée reçue, il est possible de négocier. Certainement pas facile, mais possible. Si ce n’était pas le cas, cela signifierait qu’il y a un déficit de concurrence ou une situation monopolistique.
  • Adopter de nouveaux modes de paiement : L’introduction de solutions comme le paiement instantané pourrait bouleverser l’écosystème actuel, à l’image de la disruption causée par Uber dans le secteur des taxis. Par exemple, Walmart a récemment annoncé l’adoption du paiement instantané pour réduire ses coûts liés aux cartes. Martina Weimert, PDG de l’Initiative Européenne de Paiements (EPI), entreprise à l’origine de Wero, la solution Européenne de paiement instantané, n’a pas hésité à déclarer que Wero était conçu pour offrir aux consommateurs une alternative aux acteurs traditionnels du paiement par carte, soulignant par la même que la position de ces acteurs était telle qu’ils détenaient « un fort pouvoir de contrôle sur le marché ».
  • Faire appel à la réglementation : Cette solution, bien qu’inscrite dans une démarche à plus long terme, pourrait être radicale. Le 24 septembre 2024, le gouvernement américain, par l’intermédiaire du Department of Justice (DOJ), a déposé une plainte contre Visa pour pratiques anticoncurrentielles sur le marché des cartes de débit. Cette tendance à la régulation ne se limite pas aux États-Unis. À l’échelle mondiale, d’autres régulateurs prennent des mesures pour restreindre ou éliminer des positions jugées dominantes. En Europe, au-delà des paiements, sous l’impulsion de Margrethe Vestager, ancienne commissaire européenne à la concurrence, Google et Booking.com ont été désignés comme des « gatekeepers », des acteurs susceptibles d’abuser de leur position dominante dans certains domaines. Sur les paiements, l’Union européenne a déjà mis en place une réglementation avec la directive PSD2 (Payment Services Directive 2), qui a introduit des mesures favorisant la transparence. Cependant, bien qu’importante, cette directive mériterait d’être renforcée pour mieux protéger les commerçants. Malheureusement, la PSD3 en préparation ne semble pas inclure de dispositions spécifiques sur les structures tarifaires. Mais cela pourrait changer face à la grogne des parties prenantes.. 
  • S’entourer d’experts : Certains commerçants ne peuvent pas attendre que la réglementation change ou que les usages évoluent. Ils ne peuvent pas se permettre d’assister, impuissants, à l’érosion de leurs marges et la détérioration de leurs coûts de distribution. Il ne faut pas hésiter dans ce cas, à se faire accompagner par des sociétés extérieures dont c’est le métier, et qui parviendront à réintroduire une relation plus équilibrée et à redonner le contrôle à ces commerçants désabusés.

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