Une contribution de Olivier Levyne qui est professeur associé à HEC Paris
La longue période de faible taux d’intérêt qui s’est terminée en 2021 a vu les rachats d’actions se multiplier en Europe, comme aux Etats-Unis. Ces opérations, financées par endettement net, conduisaient à annuler les actions rachetées et, de facto, à réduire les capitaux propres. Du point de vue du bénéfice par action, la réduction du nombre d’actions constitutives du capital des sociétés concernées compensait largement l’impact négatif des frais financiers nets d’impôts sur le bénéfice. Une telle relution du bénéfice par action devait soutenir le cours de bourse. A contrario, à moins de disposer d’une equity story vraiment crédible, l’augmentation de capital était perçue négativement par le marché. Son annonce, souvent synonyme de dilution du bénéfice par action, se traduisait par une baisse du cours de bourse. Mais certaines opérations récentes permettent de redécouvrir les bienfaits du capital.
La hausse des taux, qui a permis de vaincre l’inflation, parfois conjuguée à des accidents industriels, a conduit à des situations de surendettement, exposant, dans certains cas, l’entreprise à un risque de faillite. Dans ce cas, le désendettement devient la priorité absolue, reléguant la relution du bénéfice par action au second plan. Quatre entreprises de premier plan viennent de se trouver dans une telle situation : Casino, Atos, Alstom et Boeing.
Rallye, actionnaire de contrôle de Casino depuis 1998, avait été placé en procédure de sauvegarde en 2019. Rallye en était sorti en février 2020, lorsque le Tribunal de Commerce de Paris avait accepté son plan de refinancement. Celui prévoyait notamment une première échéance de remboursement de 1,2 milliards d’euros en février 2023. Le cash nécessaire devait provenir de cessions d’actifs et de dividendes versés par Casino. Or, les importantes cessions d’actifs menées par Casino (réseau sud-américain, hypermarchés et supermarchés en France) et la baisse de la compétitivité de ses magasins, met Casino dans le rouge et empêchent, de facto, toute distribution de dividendes. Les covenants financiers dérapent et Casino doit, à son tour, mener une lourde restructuration financière dans le cadre d’un plan de sauvegarde accélérée. Cette restructuration est marquée par sa prise de contrôle par un consortium composé de Fimalac, d’une société de Daniel Kretinsky et du fonds Attestor. Elle s’accompagne d’une augmentation de capital par apport en numéraire de 1,2 milliards d’euros dont 925 millions sont souscrits par le consortium. Mais la recapitalisation ne s’arrête pas là. Celle-ci intègre, en effet une conversion de dette en capital à hauteur de 4,9 milliards d’euros. A l’issue de sa restructuration, la dette financière nette de Casino est donc réduite d’environ 6 milliards d’euros. Sur la base d’une structure financière assainie, le groupe désormais doté d’un nouveau management et recentré, pour l’essentiel, sur Monoprix, Franprix, Naturalia et des magasins de proximité Casino, peut se focaliser sur son développement commercial.
Cure de désendettement
Au 31/12/2023, Atos affiche une perte de 3,4 milliards d’euros, dont 2,5 milliards résultent de dépréciations de goodwills ; ses capitaux propres sont ainsi ramenés à 60 millions d’euros. Sa dette nette atteint alors 2,2 milliards d’euros, avant prise en compte de la dette locative. Cette même dette nette est d’ailleurs portée à 4,2 milliards d’euros au 30/06/2024. En outre, la société doit faire face au mur de la dette. Son échéancier prévoit un remboursement de dette financière non courante de 1,3 milliards d’euros en 2025, 50 millions en 2026, 350 millions en 2028 et 800 millions au-delà. Dans ce contexte, une procédure de conciliation amiable, lancée en mars 2024, débouche sur une procédure de sauvegarde accélérée en juillet. Un plan de restructuration financière est finalement validé par le Tribunal de Commerce en octobre 2024. Sa réalisation doit être effective entre novembre 2024 et janvier 2025. Ce plan de restructuration rappelle, à bien des égards, celui de Casino. D’une part, il comprend une augmentation de capital par apport en numéraire de 233 millions d’euros, lancée le 8 novembre 2024 ; d’autre part, il prévoit une transformation de 2,8 milliards d’euros de dettes financières en capital. Au total, la dette nette d’Atos doit ainsi être réduite de l’ordre de 3 milliards d’euros. Celle-ci devrait encore baisser d’environ 1 milliard d’euros dans le cadre de la poursuite d’un plan de cessions d’actifs : la division Worldgrid doit être cédée à Alten, sur la base d’une valeur d’entreprise de 270 millions d’euros. En outre, les activités stratégiques, notamment celles héritées de Bull, devraient être cédées à l’Etat pour 700 millions d’euros. Les négociations sur cette transaction sont d’ailleurs toujours en cours. La réalisation de l’ensemble de cette restructuration financière doit permettre, au passage, d’améliorer le rating d’Atos qui conditionne son accès au financement : plusieurs fois dégradé en 2024, le groupe vise le retour à une notation BB par Standard & Poor’s en 2026. Elle permettra aussi la levée de nouvelles dettes financières à hauteur de 1,7 milliard d’euros. Le remboursement de ces dettes levées à hauteur de 50% auprès des banques et de 50% auprès des obligataires ne sera pas exigible avant 2029. Les recapitalisations confèrent ainsi à Atos une marge de manœuvre financière qui lui permettent de repartir à la conquête de nouveaux grands contrats.
Alstom sort également d’une cure de désendettement. Une forte augmentation du BFR de plus de 800 millions d’euros, liée à des retards de livraisons, donc de facturations, et à des stocks importants, a conduit, en 2023, à un cash-flow négatif de l’ordre de -500 millions d’euros. Dans le même temps, le groupe qui a doublé de taille, en 2021, avec l’acquisition de Bombardier Transport, affiche une perte de près de 280 millions d’euros. Cette perte s’explique, pour l’essentiel par des coûts de restructuration et d’intégration de Bombardier Transport. Les besoins de financement du BFR reposent alors sur le tirage sur des lignes de liquidité à court terme. Aussi, pour sécuriser le financement à venir de son BFR et compenser l’impact de la perte sur ses capitaux propres, Alstom lance, avec succès une augmentation de capital par apport en numéraire d’1 milliard d’euros. La société émet aussi des obligations hybrides, super-subordonnées et à durée indéterminée pour 750 millions d’euros. Moody’s reconnait la moitié de ce montant en fonds propres. Pour compléter son désendettement, Alstom vend son activité de signalisation en Amérique du Nord à Knorr-Bremse pour 630 millions et sa participation de 20% dans la société russe Transmashholding (TMH) pour 75 millions d’euros. Ainsi, le groupe Alstom aura-t-il réduit sa dette nette de plus de 2 milliards d’euros.
Activités spatiales
Plus récemment, Boeing affiche une perte de 8 milliards de dollars pour les 9 premiers mois de 2024, dont 6 milliards au titre du 3ème trimestre. En 2022 et 2023, le groupe avait déjà affiché des pertes, respectivement de 5 milliards et 2 milliards. En cause, l’impact des crashs de 737 Max, en 2018 et 2019 et un atterrissage d’urgence d’un 737 Max assurant un vol intérieur reliant Portland à Ontario, après avoir perdu une porte d’évacuation d’urgence en plein vol. Face à la détérioration de ses capitaux propres, de nature à dégrader son rating, Boeing vient d’annoncer une augmentation de capital par apport en numéraire de 21 milliards de dollars. Celle-ci permettra de rembourser des dettes, et de financer son BFR et ses investissements. La baisse de la dette de Boeing permise par la recapitalisation pourrait être amplifiée par la cession des activités spatiales du groupe.
Dans tous les cas, ce sont des augmentations de capital, couplées à d’importantes cessions d’actifs qui ont permis de sauver l’entreprise. Ces opérations financières ont fourni les liquidités nécessaires au paiement des dettes arrivant à l’échéance, et ont limité les dettes aux montants susceptibles d’être remboursés. Elles ont aussi permis de restaurer des structures financières en les amenant à des niveaux compatibles avec les attentes des banques et des agences de notation. L’enjeu est maintenant d’utiliser au mieux les liquidités ainsi levées pour reprendre le chemin de la profitabilité et de la génération de trésorerie. Alstom est déjà clairement engagé dans cette voie. Le contrat qui vient d’être signé avec le Royaume du Maroc pour y construire une nouvelle ligne de TGV est de bon augure. Il complète l’exploit commercial de la vente, en juillet 2024, pour 4 milliards d’euros, de 90 trains périurbains desservant la banlieue de Cologne, assortie d’un contrat de maintenance sur 34 ans, alors que l’allemand Siemens était probablement attendu sur un tel contrat.
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