Alors que dans les pays développés les électeurs votent de plus en plus contre une globalisation du marché mondial qui écrase les classes moyennes, la finance s’interroge. Une des réponses ne serait-elle pas d’orienter l’investissement vers des placements conciliant rentabilité et « sens » ? « L’investissement à impact » a fait son apparition sur la scène mondiale.
Selon le Global Impact Investment Network, basé à New-York, l’investissement à impact représente déjà 500 milliards de dollars par an. C’est à la fois beaucoup et peu (1/70 des investissements mondiaux). Au-delà d’un chiffre, la question est de savoir ce qu’il couvre vraiment. L’investissement en faveur de startups technologiques innovantes ? La politique d’investissement de certaines collectivités publiques ? Les ambitions de la nouvelle Commission Européenne qui veut faire du Vieux-Continent le premier de la planète à avoir un bilan carbone neutre en 2050 ? Celui des entreprises, petites et grandes, guidées par la RSE (Responsabilité Sociale d’Entreprise), qui réorientent une part croissante de leurs investissements en faveur de solutions plus durables pour l’environnement ?
Les difficultés à mesurer le périmètre précis du phénomène s’expliquent de différentes façons. En premier lieu, ces investissements sont répertoriés sous des vocables bien différents (et tous anglophones) : tech for good, impact tech, ICT for development, cleantech, civic tech, health tech,…
Par ailleurs, un nombre infini d’acteurs dont les profils et les motivations sont bien différents participent au phénomène : un fond de capital-risque pourrait investir dans des technologies nouvelles destinées à résoudre des problèmes réels. Par exemple, pour mieux recycler des déchets ménagers. Mais les actionnaires de ce fond seront-ils pour autant prêts à se contenter de retour sur investissements inférieurs à ceux d’autres placements ? Une communauté urbaine qui investit dans des moyens de transport collectifs « propres » n’aura pas à se soumettre aux mêmes contraintes pour mesurer la « rentabilité » de son investissement : l’amélioration de son environnement et donc de son attractivité vont primer. Un contexte encore différent à l’échelle des états qui peuvent décider de jouer de leur politique fiscale pour attirer des investissements à impact, des entreprises respectueuses d’une politique sociale et environnementale vertueuse, et une population à haut revenu qui accompagne ces choix.
Du coup, l’important est peut-être de s’en tenir simplement à une définition générale de ce qu’est un projet à impact et surtout s’attarder sur les initiatives les plus significatives qui se développent en ce moment sur la planète. Elles ont de bonnes chances d’influer significativement sur l’avenir immédiat de l’humanité.
En ce qui concerne la définition, l’Impact Management Project estime qu’un projet rentre dans cette catégorie dès lors qu’il a résultat – positif ou négatif – sur la planète ou la population. Dans ce forum où siègent la Banque Mondiale, l’OCDE et l’agence du développement de l’ONU on mesure l’efficacité d’un projet à impact à l’aune de 5 critères : de quoi s’agit-il, qui est concerné, combien il coûte, quelle est sa contribution réelle et quels sont les risques qu’il induit.
L’ASEAN en pointe dans l’investissement à impact
L’Asie du Sud-Est est certainement l’une des régions du monde où les projets de ce type ont le plus le vent en poupe. Un rapport du mois de novembre 2019, publié par le cabinet Bain & Company, assure que plus de la moitié des investissements privés au premier semestre de cette année (56% contre 30% il y a deux ans) l’ont été au profit de projets dont les modèles économiques contribuent à une amélioration sociale ou environnementale pour les populations concernées. Le rapport assure qu’un nombre croissant d’investisseurs de la région délaissent les investissements traditionnels, notamment ceux liés aux énergies fossiles, au profit d’investissements liés aux énergies renouvelables et aux services à la population la moins favorisée, notamment la santé.
Un mouvement auquel les entreprises privées de la région participent de plus en plus activement. Ainsi, la compagnie Grab – un des concurrents asiatiques de Uber, lancé en Malaisie et désormais installé à Singapour et qui vaut désormais plus de 10 milliards de dollars – vient de présenter un programme de 5 ans baptisé « Grab for Good ».
Ce programme prévoit de sortir de l’analphabétisme au moins 3 millions de personnes d’ici 2025, via des partenariats avec des organismes privés ou publics, dont plusieurs ONG. En tant que plateforme numérique, Grab va également fournir de l’aide technique et financière à plus de 5 millions de PME et microentreprises afin de les aider à être plus performantes économiquement grâce aux outils numériques. Le programme prévoit même de faciliter l’accès des technologies numériques aux malentendants. « La croissance économique doit être inclusive » a rappelé, à cette occasion, le ministre indonésien de l’industrie, Airlangga Hartato.
Un mouvement puissant en France également
L’Europe n’est pas en reste. Une enquête récente menée par Atomico assure que les fonds d’investissements du Vieux-Continent auront investi cette année plus de 4 milliards de dollars dans des start-up européennes à impact écologique et social, soit plus du double de l’année dernière. Les investisseurs voient dans ces investissements une opportunité de surfer sur un incontestable engouement, notamment des jeunes entrepreneurs européens, en faveur du développement durable. Mais ces investissements, à risque, ne s’éloignent pas de l’objectif de rentabilité associé à ce métier. Et les actionnaires de ces entreprises sont persuadés de la pertinence de modèles économiques associés à ces nouvelles solutions technologiques, par exemple pour déconditionner des déchets organiques issus de la grande distribution. S’ils parviennent à l’objectif, certaines de ces start-up européennes se positionnement de facto en potentiels leaders mondiaux, parce que – pour une fois – parties les premières. Ainsi, par exemple, le fonds SGH Capital, basé au Luxembourg, a investi dans Zipline, une start-up californienne qui conçoit des drones pour délivrer du sang et des médicaments dans des pays africains, avec un premier test réussi au Rwanda.
La France est particulièrement active dans ce domaine, même si les investissements, en valeur, sont encore limités. La fondation de France a ainsi lancé un fonds d’investissement à impact de 100 millions d’euros, aligné avec les objectifs de développement durable édictés par l’ONU. Ces fonds s’investiront aussi bien dans des projets d’innovation de rupture lancés par des start-up au début de leur cycle de croissance qu’au profit d’entreprises plus établies ayant besoin de capital pour industrialiser leurs solutions.
Le capital-risque américain à la traîne
Dans la Silicon Valley, qui reste le centre névralgique du capital-risque mondial, l’engouement est moins perceptible. Un paradoxe alors que même des investissements en faveur des clean tech s’y sont développés depuis plus d’une décennie maintenant, grâce notamment à l’initiative de l’ancien vice-président Al Gore qui a lancé le mouvement à partir de 2006 et la création de nombreux fonds dédiés. Mais depuis, la source de ces investissements s’est progressivement tarie. Les raisons ? Des cycles d’investissements trop longs (notamment en ce qui concerne les énergies renouvelables), un besoin en capitaux plus important que prévu, des modèles économiques fragiles (l’industrie chinoise a ruiné les start-up solaires de la région en deux ans). Pour ces raisons, et d’autres, la région s’est recentrée sur l’industrie informatique stricto sensu, en privilégiant désormais l’intelligence artificielle ou le Big Data, si possible appliquées aux applications mobiles pour les classes moyennes ou supérieures.
Ce faisant, la région prend le risque de passer à côté de la « Next Big Thing » et ne plus voir converger vers elle les start-up les plus innovantes et les talents les plus prometteurs, véritable carburant de ce petit bout de Californie du Nord. Déjà plusieurs des investisseurs vedettes de la Silicon Valley se sont relocalisés en Asie où l’environnement est nettement plus porteur. Un premier signal ?
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