Alors que le groupe Vinci est sur le point de devenir le leader des travaux routiers sur la côte est des Etats-Unis, grâce à l’acquisition de Lane Construction, à quelques jours de cette annonce, un communiqué rectificatif du groupe français de BTP, en date du 1er août 2018, informait le marché d’un « dysfonctionnement informatique au sein du réseau bancaire ayant entraîné une erreur dans la comptabilisation des droits de votes exerçables lors de son Assemblée Générale du 17 avril 2018 ».
Cette erreur, loin d’être anecdotique, en modifiant le nombre de droits de vote exercés, a eu pour conséquence le rejet de la 12ème résolution, initialement approuvée.
Celle-ci, au demeurant particulièrement contestée, portait sur l’approbation d’une convention réglementée de prestation de services conclue entre Vinci et l’un de ses administrateurs.
Elle a donc été résiliée avec 50,51% des voix (contre 49,63 %).
Cet épisode passé sous silence au bénéfice de la période estivale tombe pourtant à point nommé. En effet, alors que les actionnaires, notamment les activistes, réinvestissent leurs droits d’associé, que la loi Pacte, transposant la Directive européenne des droits des actionnaires, rappelle en plein et en creux l’importance de leur rôle, il n’a jamais été autant question de démocratie actionnariale.
Or, l’assemblée générale est le lieu d’expression et d’exercice de cette démocratie actionnariale, et pose les fondations du pouvoir dans l’entreprise. Elle est l’organe souverain de la société, seul habilité à prendre les décisions les plus fondamentales, en particulier dans sa formation extraordinaire.
Elle est souveraine car elle est hiérarchiquement supérieure aux organes d’administration, de direction et de surveillance. Elle est souveraine en ce qu’elle nomme et révoque les principaux organes sociaux.
De sorte que l’entier édifice juridique ainsi que l’exercice du pouvoir dans l’entreprise reposent sur le fonctionnement efficace, fiable et transparent des assemblées générales, au risque de dépouiller les actionnaires de leurs prérogatives, notamment le droit de vote, prérogatives accordées en contrepartie du risque social qu’ils ont accepté de courir.
L’erreur de vote relevée lors de l’assemblée de Vinci prouve que l’assemblée générale pourrait bien être un colosse aux pieds d’argile. Car on prend trop souvent pour acquis le fait que celles-ci sont transparentes et fiables, transparentes donc fiables, conférant à leurs décisions souveraines les caractères d’intangibilité et d’incontestabilité.
L’erreur décelée lors de l’assemblée générale de Vinci distille un doute préoccupant sur la réalité de la démocratie actionnariale et rappelle le caractère artisanal, pour ne pas dire anachronique, des assemblées générales. Quel est le sens de tous les dispositifs de contrôle et de décision s’exprimant par la voie du vote en assemblée générale si les scrutins se révèlent tronqués.
Ainsi, et pour n’évoquer qu’un sujet récent, le dispositif du say on pay permettant aux actionnaires de se prononcer par un vote contraignant depuis la loi Sapin 2 sur la rémunération des dirigeants repose sur l’infaillibilité du vote. Sujet de place sous haute surveillance, compris comme un pouvoir de contrôle accordé aux actionnaires, la non fiabilité des votes menace l’intégralité du dispositif. Rappelons ainsi qu’en avril 2016, l’assemblée générale de Renault avait émis un vote négatif à 54% sur la rémunération de son PDG Carlos Ghosn, démontrant que les scrutins peuvent être serrés.
Or, si la question de la transparence et de la fiabilité des votes n’est que rarement soulevée, les causes de dysfonctionnement de nature à fausser les résultats des scrutins sont nombreuses et touchent l’intégralité de la chaine du vote et ses acteurs.
Ainsi, l’identification des actionnaires, notamment des actionnaires au porteur et des actionnaires non résidents, l’attestation de détention des actions au jour de l’assemblée générale, la liste ainsi que la feuille de présence des actionnaires, la transparence des votes effectués par procuration et par correspondance, votes dont on sait qu’ils représentent une part substantielle des scrutins, l’opération du vote elle-même, le décompte des votes exprimés enfin sont autant de maillons pouvant générer des erreurs.
La chaîne des intermédiaires est longue. Si les sociétés sont en première ligne, les établissements bancaires, à la fois dépositaires et centralisateurs en ce qu’ils recueillent les votes, assurent un rôle essentiel dans la fiabilité et la transparence des votes, notamment au regard des questions de traçabilité de cessions et d’acquisitions de titres. Or, ces établissements demeurent non contrôlés.
Enfin, à l’heure du digital, contre toute attente, le travail demeure essentiellement manuel, notamment en ce qui concerne les votes par correspondance. Le nombre de votes en présence est immense, augmentant significativement les risques d’erreur.
Ces dysfonctionnements ne sont pas nouveaux. Colette Neuville, présidente de l’Adam, les dénonce depuis plus de quinze ans. « Il m’est arrivé à plusieurs reprises de procéder à des contrôles de scrutin, et j’ai pu constater des erreurs très significatives. De nombreux votes avaient été comptabilisés qui auraient dû être annulés. A l’inverse, des votes valides peuvent avoir été considérés comme nuls ou non pris en compte sans qu’on en sache jamais rien. L’actionnaire n’a aucun moyen de savoir si son vote a bien été reçu d’une part, s’il a été pris en compte dans le sens qu’il souhaite d’autre part. Il n’existe en effet aucune obligation de l’informer. Ainsi, en 1995, lors du contrôle de l’assemblée générale de Crédit Foncier, des erreurs importantes de scrutin avaient fait l’objet d’un constat d’huissier. »
Un nouveau groupe de travail, réunissant des membres de la Commission Emetteurs et de la Commission Epargnants de l’Autorité des Marchés Financiers, devrait rendre un nouveau rapport. On a du mal à comprendre cette démarche alors que la Commission Consultative Epargnants de l’AMF a remis en mars 2017 un rapport remarquable intitulé « Pour un vote transparent et effectif en assemblée générale », apportant des propositions concrètes pour améliorer le système existant. Ces recommandations auraient elles embarrassé les établissements bancaires ?
De manière concrète, on peut espérer que le vote électronique mette de la discipline. Votaccess, la plate-forme de vote par internet initiée en 2012, demeure néanmoins peu utilisée. Par ailleurs, la transposition de la Directive sur les droits des actionnaires, à travers la loi Pacte qui devrait voir le jour dans les prochaines semaines, apportera quelques améliorations, notamment la confirmation du vote à l’actionnaire ayant recouru au vote par correspondance.
Quelques pistes permettraient d’améliorer la fiabilité et la transparence des votes, notamment le contrôle des différentes opérations menées par les établissements bancaires en amont des assemblées générales, la présence systématique d’huissier, voire d’un notaire, lors de la tenue de l’assemblée, le recours systématique au vote informatique, enfin un contrôle posteriori de la régularité des votes par sondage.
L’épisode Vinci jette une suspicion majeure et rappelle que la régularité et la fiabilité des décisions prises en assemblées générales constituent la clé de voûte de la démocratie actionnariale.
Les enjeux sont majeurs, notamment la faculté d’attraire les investisseurs en leur garantissant l’efficacité de leurs prérogatives essentielles de contestation à travers le vote. Il est probable que la discipline provienne des activistes, qui ne manqueront pas de se saisir du sujet s’ils considèrent leurs droits d’actionnaires menacés.
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