Alors que de nombreux experts ont renvoyé dos-à-dos les programmes économiques du Rassemblement national et du Nouveau front populaire, une grande partie d’entre eux se positionne désormais contre l’extrême droite.
Locaux du Parisien Aujourd’hui en France pendant l’entre-deux tour de la présidentielle 2022. Un des journalistes du service économie désespère. La vieille, il a distribué, avec deux de ses confrères, les bons et les mauvais points sur le programme économique d’Emmanuel Macron. Alors qu’il cherche à faire de même pour celui du Rassemblement National de Marine Le Pen, impossible de trouver un seul expert susceptible de nuancer son article. Tous étrillent le manque de sérieux et de cohérence de la part de l’extrême-droite sur ce domaine. Le papier, dont le titre est assez évocateur « Marine Le Pen et les cinq failles de son programme économique », sera ainsi uniquement à charge.
Cette anecdote résume une vérité plus large : dans la grande famille des économistes, les soutiens au Rassemblement national sont quasi-inexistants. Preuve que la dédiabolisation n’a pas opéré dans toutes les sphères. Le parti présidé par Jordan Bardella, est le seul à ne pas travailler, à priori, avec cette catégorie d’experts. « Et si c’est le cas, ils ( les économistes, NDLR ) ne le revendiquent pas », pointe un observateur auprès des Echos. Les deux hommes qui s’expriment sur les questions économiques, Jean-Philippe Tanguy, député sortant et ancien membre de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, et Renaud Labaye, ancien de Bercy passé par HEC, sont conseillés par une petite équipe uniquement composée de technocrates de d’hommes d’affaires : les « Horaces ».
Le premier tour, un révélateur pour les économistes
Ce manque d’appui au niveau universitaire semble avoir ses limites. La volonté de clarifier et de crédibiliser le programme économique du RN a échoué auprès des économistes. Dans les jours qui ont précédé le premier tour des élections législatives, de nombreux experts sont montés au créneau pour vilipender les mesures prônées par l’extrême-droite. Parmi eux, Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI et Jean Tirole, prix Nobel d’économie en 2014, ont publié une tribune commune dans le Point pour dénoncer « les impostures économiques du RN ». Selon eux, le programme du Rassemblement national est « un catalogue de cadeaux, sans cohérence ni vision, destinés à attirer les électeurs ».
Reste que nombre de spécialistes ont renvoyé dos à dos les visions économiques du RN et du Nouveau Front Populaire, Olivier Blanchard le premier. « Les programmes du Nouveau Front populaire et du RN sont irréalistes. Il faut rester au centre », plaidait également l’économiste et professeur au Collège de France, Philippe Aghion dans Les Échos, le 21 juin dernier. Mais les résultats de dimanche ont, semble-t-il, joué un rôle de révélateur chez les experts du domaine. Le parti du président est désormais hors course. Seule la coalition de gauche peut empêcher l’extrême d’obtenir une majorité de députés à l’Assemblée nationale. Le même Philippe Aghion, accompagné de ses confrères Jean Pisani-Ferry et Alexandra Roulet, viennent de pousser une tribune ce mardi 2 juillet dans les Echos, où ils pointent que les programmes du RN et du NFP ne peuvent pas être mis sur un pied d’égalité.
« Craignez les bruns »
Ces économistes ne se sont pas, pour autant, transformés subitement en défenseur du NFP, à l’instar de Julia Cagé, Thomas Piketty ou encore Michaël Zemmour. Ils estiment toujours que le modèle défendu par la gauche est « aventureux et dommageable ». Toutefois, « le deuxième tour impose des choix tranchés », soulèvent les experts, qui mettent en avant une balance de risques en faveur du NFP. « Avec le NFP, nous risquons de nous faire rappeler à l’ordre par l’UE et par les marchés. Ce serait humiliant et coûteux, pas tragique », détaillent-ils, signalant que l’alliance de gauche n’aura pas de majorité seule et ne pourra pas appliquer son programme. A l’inverse, une arrivée du RN au pouvoir provoquerait de multiples maux à l’économie selon eux. Recul de l’attractivité, secteur mis en difficulté par l’expulsion de travailleurs sans papiers, recession causée par ce choc électoral sont autant d’hypothèses redoutées dans l’article.
Les experts redoutent également un affranchissement vis-à-vis de l’Europe : « Avec le RN, nous risquons de nous engager dans un long parcours solitaire, et de détruire méthodiquement les solidarités internationales que nous avons patiemment construites au fil des ans. Parce qu’elle ne pourra pas obtenir de résultats, une Europe entravée risque de ne pas survivre. Comment ne pas voir le coût économique que cela représenterait ? ». Un constat que partage également Ludovic Subran, chef économiste chez Allianz qui intiment sur X (anciennement), de ne pas avoir peur des « rouges ». « Craignez les bruns, ils sont aux portes du pouvoir et vous coûteront votre emploi et votre épargne », assure-t-il. Si le patronat et les milieux financiers préfèrent voire le parti d’extrême droite l’emporter dans ce duel, le microcosme des économistes semble encore échapper aux sirènes du RN.
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