Si nos routes seront bientôt couvertes de véhicules électriques, et parsemées d’un assez grand nombre de bornes de recharge indispensables, reste à mettre en place le réseau électrique intelligent qui saura gérer cette nouvelle configuration dont le Vehicle-to-Grid est l’une des composantes. Pas si simple.
C’est une affaire entendue : d’ici 10 à 20 ans, les véhicules propulsés par des moteurs thermiques et consommant du pétrole raffiné n’auront, nulle part dans le monde, l’autorisation d’être commercialisés à l’état neuf. A priori, la source d’énergie qui remplacera le combustible fossile sera l’électricité, soit de façon directe (via des batteries), soit indirecte (hydrogène produite par électrolyse).
Les constructeurs s’y préparent, les nouveaux par choix (Tesla), les autres par nécessité (réglementations contraignantes), et annoncent des programmes d’investissement colossaux pour les années à venir : 30 milliards d’euros pour Toyota, 23 milliards pour Renault-Nissan, des montants du même ordre pour Volkswagen et les grands constructeurs américains traditionnels. Les chiffres chinois sont moins connus (ou trompeurs), mais largement aussi conséquents.
Au-delà des défis techniques encore à relever pour rendre ces futurs véhicules financièrement abordables pour le marché grand public, ainsi que l’effort industriel et humain sans précédent que ces constructeurs devront accomplir pour basculer de la production thermique vers l’électrique, l’autre enjeu est celui de l’intégration au réseau électrique de ce nouvel écosystème.
Il s’agit de produire l’électricité pour alimenter les véhicules, et de distribuer ce nouveau « carburant » au plus près des consommateurs… et au meilleur coût.
Et à l’heure actuelle, il faut bien le reconnaître : (presque) tout reste à faire, surtout au niveau de la distribution, car les bornes ne sont pas encore assez nombreuses.
Certes au niveau de la production, en France du moins, on se montre rassurant. Selon RTE, l’opérateur du réseau électrique français, même si 15 millions de véhicules électriques sont sur les routes de l’Hexagone en 2035, cela ne représenterait qu’un surcoût de consommation d’électricité de 8% par rapport à aujourd’hui, qui serait largement absorbable. D’une part par des augmentations de capacité (qui ne pourraient venir que du renouvelable d’ici 15 ans car les nouveaux réacteurs nucléaires ne seront pas encore en service), mais également par des techniques d’optimisation de la consommation d’énergie…
Le réseau intelligent : un effort mondial
Quoi qu’il en soit, même si la production d’électricité supplémentaire brute nécessaire à l’alimentation électrique des nouveaux véhicules se révélait suffisante et qu’un parc de bornes de recharge soit également au rendez-vous d’ici une dizaine d’années, un autre maillon de la chaîne – rarement évoqué – reste à adapter. Hier, le réseau de distribution électrique, partout dans le monde, était vertical : il descendait du producteur pour arriver chez le consommateur.
Aujourd’hui et plus encore demain, avec la multiplication des points de consommation – y compris mobiles puisque l’on parle de véhicules électriques – cette distribution devra être nettement plus horizontale et même… bidirectionnelle.
En conséquence, le réseau devra non seulement proposer des points de recharges partout mais surtout être capable de répondre à des demandes instantanées – certaines imprévisibles – en provenance d’une multitude de points d’entrée. Et pour obtenir davantage de souplesse, le réseau devra aussi être capable de « reprendre » de l’électricité directement auprès des consommateurs, le cas échéant. Plus de 90% du temps, une voiture – électrique ou non – est à l’arrêt, et donc éventuellement disponible (pour les modèles électriques) pour remettre de l’énergie sur le réseau.
Ce concept de réseau intelligent, en plein devenir, est déjà ancien : en Californie, une association d’électriciens du monde entier, l’Electric Power Research Association (EPRI) avait décrit dès les années 2000 un tel « Intelligrid », devenu depuis Smart Grid, qui est désormais expérimenté presque partout sur la planète. Il s’en était suivi des expérimentations, notamment en Californie du Nord et dans l’Orégon, où des foyers pouvaient programmer leurs appareils et remettre de l’électricité sur le réseau, moyennant des tarifications modulables et même des incitations financières pour le faire.
Arrivé au pouvoir en 2004, Barack Obama avait mis 11 milliards de dollars sur la table pour financer ce Smart Grid de nouvelle génération, suite à une gigantesque panne d’électrique à New-York en 2003 qui avait coûté des milliards de dollars à la ville et montré à quel point le réseau électrique américain était incapable de souplesse et fragile.
Depuis, les progrès ont été relativement lents – pour différentes raisons politiques et budgétaires notamment – mais des déploiements visibles ont déjà eu lieu : par exemple, dans l’Illinois, où un micro-grid installé par le distributeur local, S&C Electric, alimenté via des énergies renouvelables, un million de résidents qui peuvent choisir une consommation électrique à la carte.
En Chine, où l’objectif est que 40% des véhicules mis sur le marché en 2030 soient à propulsion électrique, les expérimentations ont commencé. Une première expérience a été tentée à Shangaï dès 2020, prévoyant la possibilité pour les véhicules électriques connectés au réseau de remettre de l’électricité à disposition sur celui-ci. Par la suite, une quarantaine d’autres tentatives à travers la Chine auraient été lancés, tous sous la forme de programmes pilotes.
La France et l’Europe à la manœuvre
Et en France ? Pour la première fois, à la fin de l’année dernière, RTE a certifié des batteries de véhicules électriques en circulation à travers une technologie développée par DREEV, une co-entreprise créée par EDF et une startup californienne NUVVE. Ce principe, baptisé V2G (Vehicle-To-Grid) permet donc à ces véhicules de prendre ou de remettre de l’électricité sur le réseau. De quoi ouvrir des perspectives d’innovation intéressantes. Récemment, Renault Group et EDF ont développé une solution de recharge intelligente qui permet d’optimiser le coût de sa facture d’énergie, en rechargeant le véhicule au moment où l’électricité est la moins chère.
Pour autant, il reste encore beaucoup de chemin à faire pour généraliser le principe du V2G. Dans un premier temps, DREEV compte tester ce concept auprès d’entreprises et de collectivités locales, dont les mouvements de flottes sont plus prévisibles que ceux de la population générale.
Au-delà, un problème de normes devra être résolu. Ces micro-grids, s’ils offrent une souplesse inédite, devront être interconnectés pour donner leur pleine mesure. Il existe déjà un projet européen – EVVE – qui prévoit de déployer des bornes dans plusieurs pays européens dont les normes sont aujourd’hui différentes, afin de travailler sur cette indispensable interopérabilité au niveau du Vieux Continent. Un défi colossal dans la mesure où l’informatique et l’électronique ont montré, depuis des décennies combien les enjeux de normalisation étaient ardus à traiter. Peut-être que la récente décision européenne d’obliger tous les fabricants de smartphones commercialisant en Europe de respecter un standard unique pour la recharge de ces terminaux, se révèlera être un bon présage…
Michel Ktitareff
Président de Scale-up Booster
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