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Le Syndrome du Wonderparent* ou comment la société a loupé le virage de la parentalité active?

La société nous a transmis l’idée que travailler et avoir des enfants est un non-sujet, que cela va de soi. Pourtant, tout parent actif (c’est-à-dire qui travaille et a au moins un enfant à charge) éprouve au quotidien la difficulté de mener de front éducation des enfants et carrière professionnelle satisfaisante. Comment en est-on arrivé à créer un modèle de société intenable et quelles en sont les conséquences sur les parents actifs ? 

 

Une mise en perspective avec l’Histoire permet de mieux contextualiser et de comprendre les transformations qui ont conduit à une parentalité active aussi difficile. La révolution industrielle du XIXe est à l’origine du modèle moderne d’une certaine répartition genrée des tâches. D’un côté, l’homme va à l’usine ou au bureau et de l’autre, la femme s’occupe de la sphère domestique et familiale (ce qui était le cas de 70% des femmes dans les années 1900). Avec l’avancée fulgurante des droits des femmes au XXe siècle, ces dernières ont gagné leur autonomie et leur indépendance financière. Elles ont alors investi massivement le monde du travail visible et rémunéré et de fait, quitté la sphère familiale. Mais à aucun moment, la société ne s’est souciée de savoir qui allait prendre le relai à la maison. Cette évolution des mœurs aurait dû s’accompagner d’une révolution de la société toute entière : si les deux parents travaillent, soit la société doit faciliter la prise en charge des enfants, soit le travail doit occuper moins de temps pour leur permettre de réaliser le travail non rémunéré que faisaient les femmes avant… Mais rien n’a changé.

 

Ce non-dit, pour ne pas dire ce déni autour de la parentalité active a créé le “Syndrome du Wonderparent”. Autrement dit, d’un côté les parents se doivent d’être aux petits soins pour leurs enfants, leur préparer des purées bio maison, organiser un anniversaire surprise des semaines à l’avance, aller à Disneyland alors que l’on déteste les parcs d’attraction… Et d’un autre, ils ne doivent rien lâcher au travail, accepter les réunions tôt le matin avant d’avoir pu déposer leur enfant à l’école, se remettre sur leur ordinateur le soir, faute d’avoir eu le temps de traiter les 200 emails reçus au cours de la journée. 

En conclusion, on ne peut s’étonner que le modèle de carrière sans enfant perdure. Le Syndrome du Wonderparent est le fruit de la double injonction que subissent les parents actifs : travailler comme si on n’avait pas d’enfants, élever nos enfants comme si on n’avait pas de travail. 

 

Quelles sont les conséquences de cet impensé sociétal ? Sans surprise, les parents craquent et en premier lieu les femmes qui ont gardé une grande partie de la charge familiale ou qui vivent seules (elles représentent 80% des familles monoparentales). Les statistiques le disent, les femmes passent aujourd’hui 4h30 par jour à gérer enfants et maison, contre 2h15 pour les hommes, soit du simple au double. Cela ne veut pas dire que les pères ne sont pas concernés, au contraire, ils s’impliquent aussi de plus en plus dans la vie de famille, mais le problème reste clairement plus prégnant pour les mères que pour les pères. Organisation millimétrée, course permanente, fatigue voire épuisement, évincement professionnel faute d’une disponibilité à toute épreuve, les parents ont l’impression de n’être jamais au bon endroit au bon moment. Ils ressentent une culpabilité permanente et usante. De plus, ils portent individuellement la responsabilité de ce piètre résultat après des efforts colossaux alors que le problème comme on l’a vu est systémique. 

 

En attendant que la société évolue, les parents sont condamnés à bricoler au quotidien pour tenir. Les pistes – telles que prioriser, se faire aider, s’affirmer avec ses contraintes, sortir des stéréotypes – apportent plus de sérénité et permettent de mieux tenir dans la durée… Mais sans résoudre complètement la question – la réponse à ce problème ne peut être qu’au niveau sociétal et non au niveau de chaque individu. En attendant l’avènement d’une société plus facilitante pour les parents, reste l’adage : “à l’impossible, nul n’est tenu”.

 

Par Anne Peymirat, autrice, spécialiste parentalité, conférencière et chroniqueuse sur BFMTV

 

* Le Syndrome du Wonderparent, travailler comme si on n’avait pas d’enfants, élever nos enfants comme si on n’avait pas de travail (Anne Peymirat, Editions Payot, Paris, 23 janvier 2023) 

 


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