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Le PDG de Plaid dévoile un plan ambitieux pour relancer la croissance de l’entreprise

PlaidZach Perret. Getty Images

Long-format |Après avoir atteint une valorisation de 13,4 milliards de dollars en 2021, la croissance du spécialiste des données pour les fintechs a ralenti de manière spectaculaire. Face à cette situation, le PDG Zach Perret entreprend désormais une expansion ambitieuse dans trois nouveaux secteurs d’activité.

Un article de Jeff Kauflin pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Zach Perret, cofondateur et PDG de la société Plaid, créée il y a 12 ans, a pris la parole lors de la conférence annuelle de l’entreprise en juin. Le PDG de 37 ans a entamé son discours en évoquant la période faste de la fintech en 2021, époque où Plaid, basée à San Francisco, avait levé 425 millions de dollars de financement pour une valorisation de 13,4 milliards de dollars, faisant de Perret brièvement un milliardaire sur le papier. « L’optimisme et l’énergie dans la fintech sont de retour », a-t-il déclaré, ajoutant plus tard : « La fintech s’impose sans exception dans tous les domaines. »

Malgré ses déclarations publiques confiantes, Perret garde une vision claire des défis qu’il doit relever alors qu’il s’efforce de redonner de l’élan à Plaid et de la préparer à une éventuelle introduction en bourse, peut-être d’ici 2026. Connu pour avoir conçu l’infrastructure de données pour la fintech, en connectant les consommateurs et leurs comptes bancaires à des services innovants comme Venmo, Chime, Robinhood et Affirm, il ambitionne désormais de développer des produits en exploitant cette connectivité et les vastes volumes d’informations financières que Plaid recueille en continu auprès de plus de 100 millions de consommateurs. Il développe des solutions dans trois domaines principaux : l’évaluation du risque de crédit, la prévention de la fraude, et le paiement par compte bancaire (permettant de régler directement depuis un compte bancaire sans passer par une carte de crédit ou de débit). Ces services partagent tous un point commun : le réseau existant de connexions de Plaid pourrait lui offrir un avantage concurrentiel significatif.

 

Un pari audacieux sur la croissance future de Plaid

Il reconnaît que lancer ces trois initiatives simultanément est ambitieux, et il admet ne pas savoir laquelle a les meilleures chances de succès. « Imaginez un énorme serpent avalant un éléphant. Vous le voyez ensuite digérer lentement l’éléphant à travers son corps. C’est un peu ce que nous avons vécu », dit-il. « Cela a été éprouvant. Nous avons dû faire preuve d’une grande vigilance dans la gestion de notre temps et de nos ressources. »

Il serait insensé de ne pas miser sur M. Perret. Dans l’univers de la fintech, dominé par les rois du marketing et les experts en battage médiatique, il a su bâtir une entreprise solide. Plaid a vu ses revenus augmenter de 12 % en 2023, contre 23 % en 2022, d’après des sources proches de ses finances. Malgré ce ralentissement, l’entreprise a tout de même généré 308 millions de dollars de revenus et semble bien partie pour enregistrer une croissance de 20 % en 2024, selon les mêmes sources.

Plaid n’est pas encore rentable. Mais elle a réduit ses pertes, qui sont passées de 70 millions de dollars l’année dernière à 50 millions de dollars ou moins cette année, et dispose encore d’environ 140 millions de dollars en banque. Ses marges bénéficiaires brutes sont d’environ 80 %, ce qui est supérieur à la moyenne pour un logiciel interentreprises.

La société ne vaut certainement plus 13,4 milliards de dollars aujourd’hui ; les estimations la placent entre 3,8 milliards de dollars (selon la société d’analyse du marché secondaire Caplight) et 8 milliards de dollars (d’après l’évaluation interne d’un de ses investisseurs). Malgré tout, la part de M. Perret reste valorisée à plusieurs centaines de millions de dollars. Le PDG d’une autre licorne de la fintech résume bien les incertitudes autour de l’avenir de Plaid : « Est-ce une entreprise qui, dans un environnement stable, génère un chiffre d’affaires annuel de 300 à 400 millions de dollars ? Ou s’agit-il d’une entreprise dont le chiffre d’affaires annuel se chiffre en milliards au fur et à mesure qu’elle se développe ? Je pense que personne ne le sait. »

 

Le parcours des cofondateurs à travers les défis du secteur fintech

Zach Perret et William Hockey, cofondateurs de Plaid, se sont rencontrés en tant que jeunes consultants chez Bain, à Atlanta. M. Perret avait étudié la chimie et la biologie à Duke, tandis que M. Hockey, son cadet de deux ans, était diplômé en informatique d’Emory. Leur passion commune pour le codage et l’escalade, ainsi que leur aversion pour les services financiers traditionnels, les a rapprochés. En 2012, ils ont quitté Bain pour lancer un assistant financier personnel, destiné à fournir des recommandations budgétaires. L’outil a été très mal accueilli par les utilisateurs.

Ils se sont alors concentrés sur un produit développé en parallèle : un logiciel permettant aux consommateurs de transférer rapidement des fonds depuis leurs comptes bancaires traditionnels vers des applications fintech. La commercialisation du produit et la recherche de financement en capital-risque se sont révélées ardues au départ, mais en 2014, ils ont décroché leur premier client avec le service de paiement pair-à-pair Venmo. Lorsque Venmo a pris son essor l’année suivante, Plaid a commencé à gagner en crédibilité. (À la mi-2016, Plaid était valorisée à 225 millions de dollars après une levée de fonds de série B de 44 millions de dollars, soutenue par des investisseurs comme American Express, Citi Ventures, Goldman Sachs et NEA. En 2019, Plaid était devenue une licorne, avec une valorisation de 2,65 milliards de dollars.)

Dès le début, Perret et Hockey ont opté pour ce qu’ils appelaient « une stratégie de ventes ascendantes » : ils ont conçu le logiciel et la documentation de Plaid de manière à être facilement accessibles aux développeurs, misant sur l’idée que l’enthousiasme de ces derniers stimulerait les ventes, sans avoir besoin de recruter une large équipe commerciale ni d’investir massivement dans le marketing. Cette approche a porté ses fruits. Plaid a connu une croissance bien plus rapide que ses concurrents déjà établis sur le marché de l’interconnexion bancaire, tels que Yodlee, basée dans la Silicon Valley, ainsi que Finicity et MX, basées dans l’Utah.

Il ne s’agissait pas uniquement de croissance organique. Début 2019, l’entreprise a déboursé environ 200 millions de dollars pour acquérir Quovo, un concurrent basé à New York comptant également environ 200 employés, un nombre comparable à celui de Plaid. « Ils nous ont rachetés pour éliminer un concurrent », affirme Michael Del Monte, cofondateur de Quovo et désormais cofondateur et directeur technique de MoneyKit, une société rivale de Plaid. Plaid conteste cette vision, précisant que Quovo bénéficiait d’une solide implantation auprès d’une clientèle distincte, notamment les sociétés de courtage et les applications d’investissement. En juin, le cofondateur Hockey a quitté Plaid, tout en restant au conseil d’administration de l’entreprise, avant de lancer Column, une banque axée sur la fintech, où il occupe désormais le poste de PDG.

 

Plaid et les banques trouvent un terrain d’entente

L’approche initiale adoptée par Plaid et d’autres agrégateurs de données pour connecter les applications fintech aux données bancaires était à la fois audacieuse et controversée. Ils ont mis au point un système permettant aux clients de saisir leurs identifiants bancaires, puis de se connecter en leur nom pour récupérer les informations nécessaires et les transmettre à l’application fintech concernée. Cette méthode a provoqué l’exaspération des banques, inquiètes des risques potentiels en matière de cybersécurité. Que se passerait-il si Plaid était victime d’une attaque ? Elles redoutaient aussi que cette technologie ne facilite le transfert des comptes bancaires principaux des consommateurs vers d’autres établissements.

Plaid, de son côté, a affirmé qu’elle agissait dans l’intérêt des utilisateurs, estimant que ce sont les clients, et non les banques, qui devraient avoir le contrôle de leurs propres données – une position soutenue par la section 1033 de la loi Dodd-Frank de 2010 sur la réforme de Wall Street et la protection des consommateurs. S’en est alors suivi un véritable jeu du chat et de la souris. Un cadre bancaire rapporte que sa banque a dépensé des millions pour protéger ses données contre les agrégateurs. « Plaid a dû recourir à des techniques de contournement pour déjouer les protections que nous mettions en place », explique-t-il. Un porte-parole de Plaid a rétorqué : « Il est inexact de dire que Plaid a « piraté » quoi que ce soit. Plaid a toujours permis l’accès aux données à la demande des consommateurs, de manière légale et conforme. »

Finalement, Plaid a commencé à conclure des accords de partage de données avec les banques, s’engageant à cesser la capture de données d’écran (screen scraping) dès qu’une banque aurait développé sa propre interface de programmation d’application (API) à laquelle Plaid pourrait se connecter. Grâce aux API, les banques ont pu partager des informations de manière plus sécurisée et limitée, ce qui a également permis d’améliorer les connexions de Plaid, réduisant ainsi les interruptions de service. (Aujourd’hui, Plaid déclare collaborer avec 12 000 institutions financières et n’utiliser la capture de données d’écran que pour 20 % de ses connexions, lorsque les banques n’ont pas encore mis en place d’API).

Ce mois-ci, Plaid a finalement conclu un accord d’API avec PNC Bank, la sixième plus grande banque du pays. Parallèlement, les deux entreprises ont convenu de rejeter une plainte déposée par la banque en 2020, qui accusait Plaid d’avoir enfreint ses marques en reproduisant son écran de connexion (incluant son logo et sa palette de couleurs). Dans un avis rendu par un juge fédéral dans cette affaire, il a été révélé qu’après que PNC a bloqué l’accès de Plaid en 2019, la fintech avait déployé en interne ce qu’elle qualifiait d’« option nucléaire » : un écran incitant les clients à déposer une plainte auprès du Bureau de protection des consommateurs en matière financière contre la banque, avec un lien direct pour le faire. La trêve a été conclue suite au refus du juge de rendre un jugement sommaire en août.

 

Visa et Plaid : entre ambitions de croissance et obstacles réglementaires

Malgré ces obstacles, Plaid a connu un succès suffisant pour que Visa accepte de l’acquérir en janvier 2020 pour 5,3 milliards de dollars – un excellent retour sur investissement pour les capital-risqueurs qui avaient injecté un peu plus de 300 millions de dollars jusque-là. Cet accord, comme l’a mentionné Perret dans un podcast, leur permettrait de résoudre plusieurs de leurs principaux défis, notamment celui de collaborer avec les banques. Cependant, le département de la Justice des États-Unis a engagé une action en justice pour bloquer la fusion, arguant que Plaid était un « concurrent émergent » de Visa, en train de développer une alternative moins coûteuse aux paiements par carte de débit traités par Visa. Tout en contestant le caractère anticoncurrentiel de l’opération, les deux parties ont finalement annulé l’accord en janvier 2021.

Il y a encore quelques jours, le département de la Justice a intenté une action antitrust de grande envergure contre Visa, l’accusant d’avoir illégalement maintenu sa position dominante sur le marché des cartes de débit (ce qui lui permet de facturer des frais excessifs) par le biais d’accords d’exclusion conclus avec les commerçants. La plainte allègue également que Visa a freiné le développement d’alternatives innovantes proposées par des start-ups fintech aux « ambitions de réseau » et qu’elle redoutait que d’autres réseaux, capables de stocker les données bancaires des consommateurs – à l’image de ce que fait Plaid – ne finissent par menacer sa domination. Bien que Plaid ne soit pas nommément cité dans le nouveau procès, dans un communiqué de presse l’annonçant, le département de la Justice a fait référence à la fusion contrariée de Plaid. (Dans un communiqué, Julie Rottenberg, conseillère générale de Visa, a déclaré : « Le procès ne tient pas compte du fait que Visa n’est qu’un concurrent parmi d’autres dans un espace de débit en pleine croissance, avec des nouveaux venus qui prospèrent… Ce procès est sans fondement, et nous nous défendrons vigoureusement »).

Eric Sager, directeur de l’exploitation chez Plaid, reconnaît que même si l’échec de l’acquisition par Visa en 2020 a été un revers, il a finalement renforcé la crédibilité et les ventes de Plaid. Cependant, cette transaction en suspens depuis un an a eu des conséquences, notamment en freinant l’innovation et le développement de nouveaux produits. « Lorsqu’on annonce que Visa nous rachète, cela ne se traduit généralement pas par une session de programmation qui dure toute la nuit », observe Alex Rampell, associé général chez Andreessen Horowitz, investisseur dans Plaid. Un autre investisseur en capital-risque souligne que l’attente d’une vente imminente a un « effet paralysant sur la culture de la start-up », expliquant que « l’urgence disparaît et il est extrêmement difficile de la retrouver ».

Perret décrit les trois mois suivant l’échec de l’acquisition comme les plus éprouvants de sa carrière, qu’il qualifie de flous. « Pendant un mois ou deux, je n’ai pratiquement aucun souvenir de ce qui s’est passé, car j’ai très peu dormi », confie-t-il. L’effectif de Plaid avait presque doublé l’année précédente, atteignant 650 personnes, et Perret s’est efforcé de contacter chaque employé pour expliquer sa nouvelle stratégie indépendante et les rallier à sa vision. « Les attentes, les rythmes, tout était différent, et nous avons dû clarifier les choses : « Voilà la direction que nous prenons » », explique-t-il.

 

De la valorisation record à la crise des cryptomonnaies

Parallèlement, le boom de la fintech et l’euphorie du marché des cryptomonnaies permettaient à Plaid de capitaliser sur chaque nouvelle connexion d’utilisateur effectuée par ses clients fintech. En avril 2021, Plaid a conclu une levée de fonds de série D de 425 millions de dollars, menée par Altimeter, une société d’investissement basée à Menlo Park, atteignant une valorisation de 13,4 milliards de dollars – soit 60 fois les revenus de Plaid en 2021, qui s’élevaient à environ 225 millions de dollars. Comment cette valorisation a-t-elle été déterminée ? « L’offre et la demande », explique Mark Goldberg, ancien partenaire chez Index Ventures, qui a participé à l’opération. « Tout le monde se bousculait pour investir. » (Ce fut aussi une période faste pour Perret. En mai de la même année, sa femme, l’entrepreneuse Afton Vechery, a vendu sa société de tests de fertilité pour 225 millions de dollars, une transaction largement médiatisée).

Puis, la bulle a éclaté. En 2022, avec la hausse des taux d’intérêt initiée par la Réserve fédérale aux États-Unis et la chute des prix des cryptomonnaies et des actions, les investissements dans les start-ups fintech se sont effondrés. Au dernier trimestre de 2022, le financement avait plongé de 70 % par rapport à l’année précédente, atteignant 11 milliards de dollars, selon CB Insights. Les clients de Plaid ont considérablement réduit leurs dépenses marketing, et le volume des échanges de cryptomonnaies a chuté de façon significative, entraînant une baisse des revenus pour l’entreprise de Perret. Plaid génère plus d’un dollar chaque fois qu’un consommateur relie son compte bancaire à une application fintech, selon les tarifs affichés sur son site web, ces derniers variant en fonction de la taille du client et d’autres facteurs. Toutefois, il manquait environ 25 millions de dollars pour atteindre son objectif annuel de 300 millions de dollars de revenus, selon des sources proches de ses finances. En réponse à cette situation, Plaid a licencié 20 % de ses effectifs en décembre.

Cette année-là, Plaid a également subi un revers financier en raison de certaines de ses pratiques historiques de capture de données d’écran. Elle a payé 58 millions de dollars pour régler un recours collectif sur la protection des données personnelles qui l’accusait de collecter plus de données que nécessaire et d’avoir une interface utilisateur qui avait l’apparence de l’écran de connexion du compte bancaire de l’utilisateur, alors que les utilisateurs fournissaient en fait leurs identifiants de connexion directement à Plaid. Tout en niant tout acte répréhensible, la société a accepté de supprimer certaines données sur les consommateurs qu’elle avait précédemment collectées, de réduire les informations qu’elle recueillait et de divulguer davantage d’informations.

Alors que l’hiver de la fintech se prolongeait, la croissance de Plaid a fortement ralenti, atteignant seulement 12 % en 2023.

Pour diversifier son offre et stimuler sa croissance, Plaid mise sur une nouvelle tendance appelée « cash flow underwriting ». Cette approche vise à évaluer la solvabilité des consommateurs en prenant en compte l’ensemble de leurs revenus et dépenses, plutôt que de se baser uniquement sur les paiements de prêts et de cartes de crédit déclarés aux agences de crédit traditionnelles. Après une année de travail pour se conformer aux exigences réglementaires, Plaid est devenue en novembre 2023 une agence de renseignements sur la consommation, lui permettant ainsi de vendre des analyses de risque de crédit. Jusqu’alors, ses produits de crédit ne fournissaient que des données brutes, sans projections ni estimations analytiques.

D’après Perret, le vaste réseau de données de Plaid sur les soldes bancaires et l’historique des transactions offre un avantage considérable dans l’évaluation des flux de trésorerie, en particulier pour les consommateurs « à dossier mince », c’est-à-dire ceux qui ont peu ou pas d’antécédents de crédit auprès des trois principales agences d’évaluation. En théorie, ces données de flux de trésorerie peuvent aider les prêteurs à approuver un plus grand nombre de ces emprunteurs ou à leur offrir des taux d’intérêt plus avantageux que ceux qui seraient disponibles autrement. Plaid peut également facturer un prix premium pour ces analyses, atteignant jusqu’à cinq dollars par évaluation de crédit pour un seul consommateur, selon sa grille tarifaire.

L’entrée de Plaid dans ce domaine est stratégique, mais elle pourrait être perçue comme tardive. Finicity, rachetée par Mastercard à la mi-2020 pour 825 millions de dollars, est un acteur clé dans la souscription de crédit et propose des analyses de flux de trésorerie depuis quatre ans. Yodlee offre également ce type de service, et Nova Credit, parmi d’autres start-ups, s’est déjà bien implantée sur ce marché. Nova Credit a d’ailleurs acquis le statut d’agence de notation il y a sept ans.

Jusqu’à présent, Plaid a réussi à attirer des clients dans le secteur des prêts non bancaires, comme le concessionnaire automobile Carvana et la société de prêts personnels Upstart. Cependant, elle n’a pas encore conquis ce qui serait le « Saint-Graal » de l’analyse des flux de trésorerie : les activités de cartes de crédit des grandes banques. « Bien que de nombreux prêteurs considèrent l’utilisation de cette analyse, peu l’ont adoptée à ce jour », affirme Mike Saunders, responsable du crédit chez Plaid. Perret souligne également que les cycles de vente avec les grandes banques sont longs, généralement entre 12 et 18 mois.

Un autre obstacle réside dans les relations historiquement tendues entre Plaid et les grandes banques. « Plaid a longtemps traité les banques comme de simples fournisseurs de données, les réduisant à des fournisseurs de matière première pour leur activité », explique un cadre du secteur financier. « Ils prenaient ces données, que cela plaise aux banques ou non. Maintenant, ils disent : « Nous voulons vous revendre ces informations ». Il y a un manque de confiance évident. »

Un autre dirigeant du secteur estime que Perret aurait pu rétablir les relations avec les banques plus rapidement en admettant qu’il avait probablement sous-estimé leurs préoccupations légitimes en matière de cybersécurité. « Lorsque vous déclarez soudainement que « les banques sont désormais vos alliées », cela manque de sincérité », explique-t-il. (Un porte-parole de Plaid a répliqué qu’il n’y a aucune preuve que la méfiance freine les activités de l’entreprise et que la cybersécurité a toujours été une priorité, avec des mesures telles que des tests de sécurité menés par des tiers pour garantir la conformité).

Si Perret pouvait revenir en arrière, que changerait-il ? « Un million de choses », répond-il. Il aurait noué des relations plus solides avec les banques bien plus tôt et développé des logiciels sur mesure répondant aux besoins spécifiques des banques pour qu’elles puissent acheter les produits de Plaid. « Les banques avaient vraiment l’impression que nous construisions des outils pour permettre aux fintechs, leurs concurrentes, de prospérer, mais sans fournir les mêmes outils pour elles. »

Il insiste sur le fait qu’au cours des quatre ou cinq dernières années, les relations de Plaid avec les banques ont été « très positives pour la plupart », et offre ce rameau d’olivier centré sur la technologie : « Je pense que les banques sont les plus grandes fintechs et qu’en ce sens, elles peuvent faire le plus grand bien aux consommateurs. C’est pourquoi nous sommes très attachés à entretenir des relations très positives et à long terme avec les banques. »

À long terme, les anciennes rancunes devraient perdre de leur importance, selon plusieurs cadres du secteur. Ce qui intéresse vraiment les banques, ce sont les profits, et si Perret parvient à développer des produits innovants et rentables, elles finiront par les acheter.

 

Plaid multiplie ses efforts contre la fraude avec des acquisitions stratégiques et des outils innovants

Si les banques restent à convaincre des avantages de la souscription basée sur les flux de trésorerie, les services de lutte contre la fraude connaissent déjà une des croissances les plus rapides dans la fintech, et cela se comprend aisément. En 2023, les consommateurs américains ont signalé un montant record de 10 milliards de dollars de pertes dues à la fraude financière, selon la Federal Trade Commission, les virements bancaires étant le moyen le plus utilisé par les fraudeurs pour récupérer leurs gains. (Plaid a investi ce marché en plein essor dès 2021 en lançant Signal, un outil qui évalue les risques des virements bancaires en attente. Ce service répond à un besoin, car les virements interbancaires aux États-Unis peuvent prendre plusieurs jours à être traités – une faille que les fraudeurs exploitent en retirant les fonds avant que la transaction (souvent frauduleuse) ne soit finalisée. Aujourd’hui, Signal analyse 50 milliards de dollars de transactions par an, contre 25 milliards il y a un an, et compte Robinhood parmi ses clients.

En 2022, Plaid a acquis Cognito, une société spécialisée dans la vérification d’identité basée dans l’Oregon, fondée neuf ans auparavant, pour un montant de 250 millions de dollars. Les produits de Cognito aident les institutions financières à vérifier l’identité des utilisateurs et à se conformer aux réglementations fédérales sur la connaissance du client, en utilisant diverses informations, telles que les numéros de téléphone, de sécurité sociale, des selfies, et même les habitudes de frappe. (Il est important de noter que le service de vérification d’identité de Plaid ne s’appuie pas sur les données issues du réseau Plaid, comme l’historique des ouvertures de comptes bancaires).

Plaid affirme qu’au cours de l’année écoulée, ses produits de vérification d’identité et de liste de surveillance contre le blanchiment d’argent ont connu une croissance de près de 200 % et qu’elle a vérifié 19 millions d’identités. Il y a au moins 140 entreprises qui fournissent des services de vérification d’identité aux États-Unis, selon le cabinet d’études de marché Liminal. L’un des leaders du marché, Socure, affirme avoir vérifié 206 millions d’identités au cours de l’année écoulée.

Cependant, le rôle de Plaid en tant que pipeline de données pourrait bien lui offrir un avantage compétitif. Son nouveau produit phare, Layer, annoncé en juin, est présenté comme « l’intégration financière la plus rapide d’Internet ». Il permet d’accélérer l’inscription des consommateurs ayant déjà lié un compte via Plaid. Les entreprises peuvent utiliser Layer de deux manières : pour permettre aux utilisateurs de se connecter plus rapidement à leurs comptes bancaires et pour vérifier leur identité. Plaid affirme que Layer est capable de vérifier l’identité et de lier un compte bancaire en seulement dix secondes pour les utilisateurs récurrents, contre 30 à 60 secondes pour son service standard de vérification d’identité et 20 à 30 secondes pour la fonction de liaison de compte classique.

Layer est déjà devenu le produit à la croissance la plus rapide de l’histoire de Plaid, avec des dizaines de clients – dont 5 de ses 20 plus grands – qui l’expérimentent ou l’utilisent déjà. Plaid affirme que Layer améliore significativement le taux de conversion, en faisant passer le taux d’inscription des consommateurs qui commencent le processus de 40 à 60 %, avec une augmentation moyenne de 17 points de pourcentage.

 

Le paiement par compte bancaire : Plaid explore de nouvelles perspectives

Le paiement direct par compte bancaire, dernier pari de Perret, repose sur un changement de comportement des consommateurs. Aux États-Unis, les consommateurs, attirés par les programmes de récompenses, effectuent presque tous leurs achats avec des cartes de crédit ou de débit, ne réglant directement depuis leur compte bancaire que quelques factures comme l’assurance auto ou les services publics. En revanche, ce mode de paiement est déjà largement répandu au Brésil, en Inde et dans certaines régions d’Europe, en grande partie grâce aux politiques gouvernementales favorables et aux infrastructures de paiements instantanés facilement accessibles.

Néanmoins, les commerçants américains apprécient l’idée du paiement par compte bancaire, car il leur permet de réduire de 40 % le coût de l’acceptation des paiements. Aujourd’hui, de plus en plus d’Américains commencent à utiliser le paiement par banque pour payer numériquement grâce à des transferts facilités par Plaid et une liste croissante de concurrents, dont Stripe, Trustly, JPMorgan et Finicity de Mastercard.

Plaid a lancé sa fonctionnalité de paiement par compte bancaire, appelée Transfer, en 2021, mais ce n’est que l’année dernière que les demandes des clients ont vraiment décollé. Le développement récent de réseaux de paiements plus rapides aux États-Unis, tels que le Real Time Payments Network et FedNow, a rendu cette option encore plus attractive pour les commerçants, car elle leur permet d’accéder immédiatement aux fonds reçus, sans avoir à attendre un jour ou plus pour le règlement de la transaction. À ce jour, Plaid compte parmi ses clients deux des cinq plus grandes entreprises de télécommunications américaines ainsi que la plateforme de paiement de factures en ligne Bill.

Plaid ne précise pas le volume exact des paiements de factures traités via sa fonctionnalité de paiement par compte bancaire, mais il est évident que cette activité en est encore à ses débuts. Cependant, c’est le dernier secteur dans lequel Perret a choisi de s’investir pleinement. Il a perçu une forte demande du marché et craignait de voir la fenêtre d’opportunité se refermer alors que ses concurrents se précipitaient.

Il y a toutefois un problème majeur : en dehors des paiements de factures récurrentes, rien ne garantit que les consommateurs adopteront le paiement par compte bancaire pour leurs transactions quotidiennes. C’est pour cette raison que Perret considère cela comme un pari. « Cela pourrait soit devenir un succès monumental, soit ne pas décoller du tout. Nous avons une forte conviction en son potentiel, mais pour moi, c’est une véritable incertitude », admet-il.

 

Une progression remarquable malgré des doutes quant à une future introduction en bourse

Perret et ses collaborateurs décrivent l’entreprise comme étant à un « point d’inflexion », prête à accélérer considérablement son expansion. L’investisseur Rampell affirme que Plaid affiche « le rythme d’innovation le plus rapide » qu’il ait observé depuis le début de leur collaboration.

Cependant, d’importants défis subsistent. L’un des principaux est que les trois nouveaux segments de produits que vise Plaid sont tous extrêmement compétitifs. De plus, avec ses 1 100 employés, l’entreprise n’est plus une petite start-up flexible et devra faire des choix rapides et décisifs sur les secteurs à prioriser et ceux dans lesquels réduire ses investissements.

Parallèlement, Plaid fait face à une pression croissante sur les prix dans son activité principale de connexion aux comptes bancaires. Le secteur devient de plus en plus concurrentiel, avec l’arrivée de plusieurs grands acteurs. De plus, alors que le CFPB finalise les règles relatives aux droits sur les données financières personnelles en vertu de la section 1033, les connexions entre fintechs et banques seront davantage normalisées, ce qui risque d’accélérer la banalisation du service. (Un porte-parole de Plaid souligne que ses produits de liaison de comptes sont fortement différenciés, précisant que 86 % de ses 50 premiers clients d’il y a cinq ans sont toujours fidèles à l’entreprise aujourd’hui).

De plus, certains dirigeants du secteur financier anticipent que, dans les prochaines années, les grandes fintechs pourraient commencer à se connecter directement aux plus grandes banques via leurs API, en utilisant Plaid ou un autre agrégateur uniquement pour accéder aux milliers de petites banques. Ryan King, cofondateur de Chime, l’un des principaux clients de Plaid, exprime des doutes quant à l’intérêt pour de nombreuses fintechs d’opter pour des connexions directes. « Les grandes banques et les grandes fintechs disposent d’API opérationnelles depuis plusieurs années, et pourtant, elles continuent d’utiliser Plaid pour leurs connexions », souligne John Pitts, responsable des politiques chez Plaid.

La grande question qui préoccupe les investisseurs et les employés actionnaires de Plaid est la suivante : quelle est la véritable valeur de Plaid et quand pourrait-elle entrer en bourse ? Les fintechs cotées en bourse sont toujours en baisse d’environ 50 % par rapport à leur pic de 2021.

Concernant le calendrier d’une éventuelle introduction en bourse, Perret reste prudent, indiquant qu’il surveille de près les marchés financiers, la taille de l’entreprise ainsi que la maturité de ses nouveaux produits. « À un moment donné dans les prochaines années, ces éléments s’aligneront pour indiquer que le moment sera opportun. Toutefois, ce moment n’est pas encore arrivé, bien que nous espérions qu’il se présente prochainement. »


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