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Le Pari Du Luxembourg Sur L’Industrie Spatiale Commence À Porter Ses Fruits

Luxembourg
Crédits Pixabay

Le Ministère de l’Économie luxembourgeois, tombé amoureux de l’espace, s’attendait à recevoir environ deux cents personnes au forum New Space Europe, qu’il co-sponsorisait la semaine dernière, notamment afin de montrer l’intérêt et l’avancée du pays dans cette industrie encore nouvelle.

Les organisateurs ont donc eu la bonne surprise de voir environ le double de personnes s’inscrire à l’événement. Et, plus surprenant encore, la majorité des inscrits sont effectivement venus, faisant salle comble dans le centre de congrès pour une exploration multi-disciplinaire du potentiel de gains (en milliers de milliards de dollars) et de la possibilité d’une transformation radicale de nos quotidiens.

« C’était un événement unique en son genre en Europe ! s’est exclamé l’un des organisateurs luxembourgeois. On n’avait jamais vu des orateurs de cette qualité rassemblés ».

Pendant plus de deux jours, des conférences comme « La route pour Mars », « Viser la Lune », « Le modèle d’investissement dans l’industrie spatiale » et « Qu’est-ce qui empêche les nouveaux PDG de l’espace de dormir ? » se sont enchaînés devant des hommes d’affaires en costumes, des femmes de pouvoir en tailleur et des entrepreneurs en jeans se mêlant les uns autres, comparant leurs notes, et se réjouissant que ce qui n’était jusqu’alors que de la science-fiction devienne une réalité et un paradis pour les industriels et les entrepreneurs à la vitesse de la lumière.

« Ce qui rend l’espace si attractif, à la fois pour les entrepreneurs et pour les investisseurs, c’est son potentiel de transformation à grande échelle », explique Peter Platzer, PDG de Spire, qu’il a co-fondé en 2012 pour fournir une couverture satellite sur l’ensemble du globe.

Facebook, Google et Apple ne touchent que 10 % à 15 % de la population mondiale, continue M. Platzer, tandis que « Spire veut concerner 10 milliards de personnes d’ici dix ans ».

De nombreux invités de ce congrès sponsorisé par le Luxembourg, l’organisation à but non lucratif Space Frontier Foundation, basée à Arlington, Virginie, et Spire, n’ont eu que des louanges pour le pays hôte, comme Laurent Schummer, associé du cabinet luxembourgeois Arendt & Medernach :

« Le Luxembourg propose un écosystème et une expertise pour lever des fonds, avec le cadre légal dont on a besoin, et un gouvernement qui fournit toute l’infrastructure nécessaire, expliquait-il à son public. Tous les connaisseurs du milieu savent que le Luxembourg est un endroit sûr. Tous nos clients, des startups aux acteurs de la scène spatiale, ont besoin d’argent, et nous pouvons les aider à lever ces fonds ».

Pour améliorer encore ce cadre, le gouvernement luxembourgeois a mis 200 millions d’euros de côté, voire plus, pour des investissements dans des entreprises qui voudraient rejoindre la course à l’espace, en échange de leur présence, sous une forme ou une autre, sur le sol du Grand Duché. Spire a par exemple annoncé la semaine dernière qu’il ouvrirait des bureaux au Luxembourg, en échange de quoi le gouvernement participe à la troisième levée de fonds de Spire, visant 70 millions d’euros.

Le partenariat public-privé apparaît comme le plan de vol capable d’emmener l’industrie aérospatiale dans le futur. De plus en plus d’agences gouvernementales, dont la NASA et l’Agence Spatiale Européenne (ESA), proposent des modes de financement aux entreprises qui mettent des fonds privés sur la table.

SpaceX, l’entreprise d’Elon Musk, a récemment mis en orbite un satellite pour SES, la plus grosse entreprise d’exploitation de satellites au monde elle-même née d’un partenariat public-privé au Luxembourg. La directrice de l’exploitation de SpaceX, Gwynne Shotwell, a expliqué que c’est ce modèle qui a permis à son entreprise de décoller.

« Le partenariat public-privé nous a permis de développer notre capacité, explique-t-elle en indiquant qu’un investissement de centaines de millions de dollars de la NASA avait convaincu des investisseurs privés de mettre le double de ce montant. Ces 340 millions d’euros de la NASA doivent être l’un des meilleurs investissements qu’elle et le gouvernement américain aient jamais réalisé ».

De son côté, l’ESA soutient 140 startups chaque année, et en cherche davantage. Frank Salzgeber, responsable du programme de transfert de technologie et de couveuses d’entreprise, expliquait que 88 % de leurs startups existaient toujours. Paradoxalement, il regrette que ce chiffre soit si haut, parce qu’il prouve que son agence ne prend pas suffisamment de risques, d’après lui.

« C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de startups : elles n’ont peur de rien et ne respectent rien », a-t-il dit.

L’investissement n’est qu’une partie de l’implication du Luxembourg dans le développement de l’industrie spatiale. Le ministre de l’économie luxembourgeois, Étienne Schneider, a été le moteur de ces initiatives, et si elles portent leurs fruits, on se souviendra de lui comme de l’homme qui a lancé la dernière transformation majeure du Grand Duché, notamment à travers la loi relative aux ressources spatiales, votée au Parlement en juillet dernier. Elle pose le cadre légal de l’exploitation minière dans l’espace et de la propriété des ressources collectées.

L’atmosphère du congrès était très intense, comme on peut s’y attendre pour un domaine récent aux inconnues aussi nombreuses que pour toute révolution industrielle. Lors d’une conférence, le modérateur a ainsi demandé à l’un des invités de prédire le nombre d’explosions de fusées dans l’année à venir.

Et même si l’éventail des possibles est difficilement appréhendable, de la remise en service de milliers de satellites désaffectés, aux robots nettoyant l’orbite de la Terre des millions de débris qui menacent toutes les navettes, et des astéroïdes à exploiter pour leurs ressources minières aux colonies à établir sur la Lune, Mars, ou au-delà, une conviction s’est établie pour tous au fil des sessions : « l’espace est plein de difficultés ».

Si l’on peut isoler deux principaux facteurs ayant permis de transformer un rêve d’enfant en vrai potentiel économique, ce sont les innovations suivantes : les fusées réutilisables (comme celles développées et employées par les entreprises fondées par Elon Musk et Jeff Bezos, par exemple), et l’impression industrielle en 3D. Ensemble, elles vont permettre l’exploitations de matériaux et de carburants, la construction d’équipements dans l’espace plutôt que sur Terre, pour remplacer des envois très coûteux de navettes pleine de matériel et de réserves.

Prenons un exemple. Aujourd’hui, envoyer un litre d’eau dans l’espace coûte 17 000 €. Extraire l’eau d’un astéroïde de 500 millions de tonnes en fournirait assez pour toutes les fusées déjà lancées. Et on dénombre 16 000 astéroïdes considérés comme assez proches de la Terre pour être des candidats à l’exploitation non seulement d’eau, mais aussi de métaux rares utilisés sur la plupart des appareils électroniques de la planète.

Quant au Luxembourg, il souffre d’une sorte de « schizophrénie positive ». Il est partagé entre une longue tradition de résistance au changement, et une histoire qui montre comment le pays s’est plusieurs fois transformé pour conserver sa place en tant que l’un des pays les stables politiquement, économiquement et socialement.

En réalité, sa capacité à se réinventer est la clef de son succès : le pays a d’abord muté de l’économie fermière au statut de géant de l’acier (autrefois première source de revenu pour ce 8ème plus grand producteur d’acier) fin XIXe et début XXe ; il est ensuite devenu un centre bancaire dans les années 1970, suivi par les industries de fonds, pour devenir le deuxième plus grand centre bancaire mondial ; et finalement, il y a maintenant trente ans, le Grand Duché s’est tourné vers les satellites en fondant ce qui est aujourd’hui la première entreprise mondiale dans ce domaine.

Aussi bizarre que cela puisse paraître pour ce petit pays enclavé de 600 000 habitants, l’espace est devenu la nouvelle frontière à repousser, en y accordant, d’après M. Schneider, près de 2 % de son PIB tous les ans.

« Le Luxembourg a l’habitude de réussir quand il prend des risques, expliquait récemment-il récemment à un magazine. Pour réussir, il faut oser prendre des risques ».

Le ministre de l’économie nous a raconté que quand il s’était intéressé à ce domaine il y a quelques années, grâce à Georges Schmit, alors consul à San Francisco, il avait écarté cette idée en l’assimilant à de la science-fiction. Depuis, il s’est beaucoup impliqué dans ce secteur d’activité. « Politiquement, je prends un pari plutôt risqué », nous confie-t-il en rappelant que quand son ministère a lancé cette initiative sur les ressources spatiales il y a moins de deux ans, les gens ont cru qu’il était devenu fou.

L’entreprise VitalBriefing suit cette industrie toutes les semaines pour un client, d’après elle cette initiative a connu un succès très rapidement. En plus des nouvelles entreprises déjà sur place ou sur le point d’y être, plus de 60 compagnies ou centres de recherche autour du monde voudraient travailler avec ou depuis le Luxembourg.

  1. Schneider compare ce phénomène avec l’entrée de son pays dans l’industrie logistique : « À titre de comparaison, lorsque nous avons commencé à développer l’industrie logistique ici il y a 10 ans, c’était plus facile à comprendre pour tout le monde. Les gens pensaient « vous êtes au cœur de l’Europe, c’est normal ». Mais ça a tout de même pris six ans pour démarrer, rien qu’avec les bâtiments, et il a fallu presque une décennie et 850 millions d’euros d’investissement du gouvernement pour que cette activité se développe ».

Jusqu’ici, cependant, le gouvernement dit n’avoir investi que 15 millions d’euros dans l’idustrie spatiale, ce qui comprend les investissements en capitaux dans l’entreprise d’exploitation minière d’astéroïdes Planetary Resources, même s’il réserve plusieurs centaines de millions d’euros pour développer des infrastructures ou investir dans de nombreuses autres entreprises du domaine.

L’avenir politique de M. Schneider étant tout sauf assuré, son parti socialiste risquant d’être vaincu lors des prochaines élections en octobre 2018, l’actuel gouvernement de coalition joue contre la montre pour s’assurer que l’industrie spatiale du pays est suffisamment implantée pour résister à tout changement de cap du prochain gouvernement.

Au vu des progrès réalisés lors des 18 derniers mois, il est plus que probable qu’il y parvienne.

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