Par Dr Sylvie Blanco, Professor Technology Innovation Management / Ecosystem Partnerships Leader (Nanoelec Institute, UGA/MIAI (Institute of AI) & Dr. Yannick Chatelain Associate Professor IT / DIGITAL / GEMinsights Content Manager
Le mercredi 27 décembre 2023 le New York Times a décidé de poursuivre en justice Microsoft et OpenAI, créateur de ChatGPT pour violation de droits d’auteur. Une véritable bombe dans le monde de l’IA qui sonne comme la fin de la récrée, tout du moins pour une sous-partie de l’IA, l’IA générative ! Le porte-parole du grand quotidien américain, a explicité le recours en justice du « poids lourd » de la presse américaine, il a ainsi déclaré « Si Microsoft et OpenAI veulent utiliser notre travail pour un usage commercial, la loi les oblige à demander d’abord la permission ».
Nous pouvons désormais l’affirmer, le 27 décembre 2023 sera considérée comme une date majeure de l’histoire de l’IA générative. Un an plus tôt, en novembre 2022, OpenAI ouvre ChatGPT (Generative Pre-trained Transformer) au grand public. Instantanément, les médias annoncent que cette technologie va révolutionner le monde, par la vitesse à laquelle tout un chacun peut générer un nouveau contenu et le diffuser massivement via les réseaux sociaux. En moins d’un an, plus de 100 millions d’utilisateurs sont recensés, en particulier grâce à la gratuité et à la facilité d’utilisation de la technologie. L’IA générative est entrée dans l’économie et la société (Leaver et al., 2023)[i]. Les risques majeurs dont le vol de propriété intellectuelle sont rapidement identifiés et les annonces en faveur d’actions de réglementation germent sur tous les continents tout au long de l’année 2023. Pourtant, force est de constater que jusqu’à ce 27 décembre 2023, rien de déterminant ne s’est passé. La fulgurance de la diffusion de ChatGPT à l’échelle mondiale a empêché l’élaboration et la mise en œuvre de pratiques raisonnées de développement et d’utilisation, de cadres éthiques et juridiques appropriés. A ce stade, le New York Times avec sa puissance de frappe, sera-t-il capable d’infléchir cette trajectoire de diffusion et ses effets indésirables, par le levier juridique ?
Les défis juridiques du New York Times face à OpenAI : un regard sur un précédent, le cas Axel Springer.
Sans nous prétendre juristes, il est à noter que le plaignant détient une carte maîtresse. En effet, lorsque les défendeurs soutiendront (probablement) que le modèle GPT, en tant que logiciel, ne viole aucunement les droits d’auteur en soi, lorsqu’ils argueront (probablement encore) que ces droits s’appliquent plutôt à la manière dont le modèle est utilisé et aux résultats qu’il génère, ou qu’ils avanceront d’autres arguments visant à minimiser ce qui est, dans les faits, une appropriation de contenus à des fins d’amélioration du modèle, le New York Times pourra invoquer un précédent pour contester l’utilisation non rémunérée de ses supports.
En effet, en décembre 2023 le groupe de presse Allemand « Axel Springer inaugurait avec OpenAI un nouveau type d’accords avec la presse » OpenAI a ainsi convenu de rémunérer le groupe Springer pour l’utilisation de ses contenus dans le processus d’entraînement de ses modèles d’IA générative, notamment le GPT.
La collaboration vise un accès direct aux contenus des marques du groupe, avec une mise en avant particulière dans le partenariat. Reconnaître ipso-facto que l’usage de contenu nécessite une rétribution, légitime les préoccupations financières du New York Times. Cependant, la possibilité d’une entente future reste incertaine, et la complexité de la situation pourrait dépasser les apparences.
Pour preuve, si nous interrogeons chat GPT sur le partenariat que nous avons évoqué, la réponse a le mérite d’être honnête. Que répond l’application à la question: « Quels sont les problèmes qui peuvent être liés au partenariat conclu entre Axel Springer et Chat Gpt ? » ?
Rien que cette liste de problèmes selon Chat GPT ! Notons que la question de la protection des droits d’auteurs n’est pas résolue et que dans le même temps, la performance du modèle est mise en danger. Les dirigeants d’OPEN AI ont-ils interrogé leur modèle ? Gageons que oui et que les enjeux de ce partenariat se trouvent probablement ailleurs…
Ceci dit, il n’en demeure pas moins que ce partenariat peut servir la cause du New York Times. Aussi, nous notons que quelques jours après notre première requête les réponses avaient déjà « évoluées », pondérant les choses.
Expérimenter c’est connaître : essayez : https://chat.openai.com/ « Quels sont les problèmes qui peuvent être liés au partenariat conclu entre Axel Springer et Chat GPT ? »… Alors ?
Une bataille juridique et en arrière-plan, une bataille d’IA ! Tu peux mettre ! Sinon non, c’est vraiment un truc de contributeurs quand même plan là
C’est un duel juridique sans précèdent qui s’engage, comme le soulignait le 29 décembre Noah Feldman professeur de droit à Harvard University, dans une tribune pour The Seattle Times intitulée : « Clash of the titans: The New York Times vs. OpenAI » cette bataille devrait s’avérer « titanesque »… L’accusation portée par le New York Times contre OpenAI et Microsoft pour avoir entraîné les modèles de langage (LLM) à la base de ChatGPT et de Copilot (anciennement Bing Chat), n’est pas une simple demande d’excuses polie : « Le journal estime à « plusieurs milliards de dollars » le préjudice subi, dans les faits et d’un point de vue légal ! » En attendant d’y voir plus clair, le New York Times, CNN, et d’autres éditeurs ont pris des mesures concrètes en bloquant le GPTBot d’OpenAI, empêchant ainsi le robot d’exploration web d’analyser leurs plateformes. Ils cherchent à éviter que ChatGPT soit « formé » sans leur consentement ni compensation.
Bloquer un bot dans « l’IAmonde » Autre époque, nouvelles méthodes !
Sans connaître la méthode choisie par le New York Times et les autres éditeurs concernés pour bloquer GPTbot, on peut craindre une surenchère technologique entre solutions de neutralisation versus de contournement.
Aujourd’hui, plusieurs méthodes de détection et de neutralisation des bots existent : le captcha qui requiert l’intervention humaine pour résoudre une tâche, le filtrage par user-agents, la limitation des taux d’accès… Mais leur efficacité dans la durée est en question. Nous entrons dans une ère où les bots utiliseront de l’IA pour contourner ces défenses. Face à ce phénomène de surenchère, l’approche dite de l’IA défensive se développe. D’autres approches émergent comme l’analyse comportementale basée sur l’IA, c’est-à-dire permettre au système informatique de distinguer les schémas de comportement humain de ceux des machines pour détecter les interventions de bots automatisés. C’est à notre sens, vers ces modes de défense que les éditeurs qui s’estiment spoliés sont, ou vont s’engager. Mais n’est-ce pas qu’une bataille pour temporiser, et n’est-ce pas in fine une bataille dans le monde de l’édition d’une autre époque face à une machine lancée à toute vitesse ?
Plus qu’un procès dantesque : vers un tournant pour l’édition mondiale ?
Si Sam Altman a été démis de ses fonctions pendant un temps court par son conseil d’administration, c’est que ce dernier avait jugé qu’il ne respectait plus la mission d’OPEN AI… entre autres : le bien-être de l’humanité et une éthique irréprochable. Sam Altman est revenu, « accompagné d’un nouveau conseil d’administration ». Ils vont devoir faire face à l’action en justice du NYT qui soulève de nombreux questionnements : peut-être cette première approche de blocage par « le taulier » de la presse, va être largement suivie par d’autres médias, d’autres éditeurs, et va voir les plaintes s’enchainer, s’accumuler dans l’attente de la fin de la procédure qui risque de s’avérer longue ! Tout comme des groupes médias pourraient, sans attendre l’issue du procès, être tentés par la mise en place rapide de partenariat sur le modèle de Springer.
L’IA générative va continuer à avancer bien plus vite que les procédures engagées. En effet, la démocratisation poussée par OpenAI, lui permet comme nous l’avons souligné d’accélérer le développement d’une multitude d’applications de l’IA générative, avec la participation massive des citoyens, futurs utilisateurs. Cette phase initiale d’expérimentation, a rapidement ouvert la voie à une valorisation commerciale au service de la croissance des entreprises. Gains de productivité, efficience, innovation sont les maîtres mots pour booster l’adoption par les entreprises – avec aujourd’hui un enjeu encore supérieur, celui de la pénurie de talents mais concomitamment de suppressions de postes : « Le groupe de médias allemand Axel Springer invoque l’intelligence artificielle pour supprimer des postes ».
Et si la finalité du partenariat avec Springer (NDLA. En l’espace de dix ans, le groupe de médias allemand a drastiquement réduit sa dépendance à l’imprimé) était, par-delà le financier, de lever ce verrou et d’accompagner la rupture technologique dans le monde de l’édition, dont un corollaire est de faire tomber les leaders mondiaux ? Là peut-être se joue l’enjeu véritable de ce Procès – la rupture cognitive et son impact dans le monde de l’information, de la connaissance, de l’édition.
En matière d’IA : “Etre à l’heure c’est déjà être en retard.” – François Raux
[i] Leaver, T., & Srdarov, S. . (2023). ChatGPT Isn’t Magic : The Hype and Hypocrisy of Generative Artificial Intelligence (AI) Rhetoric. M/C Journal, 26(5). https://doi.org/10.5204/mcj.3004
À lire également : Est-ce que l’infrastructure critique des entreprises est prête pour l’IA ? |
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