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Le milliardaire français à qui Amazon confie ses opérations logistiques les plus complexes

Éric Hémar, fondateur et PDG de ID Logistics
Éric Hémar, fondateur et PDG de ID Logistics / Crédits : Astrid Lagougine

L’entrepreneur français Éric Hémar, dont la fortune s’élève à 1,19 milliard d’euros grâce à un pari précoce sur la logistique contractuelle il y a vingt ans, pourrait bien voir son entreprise prospérer à nouveau, portée cette fois par les droits de douane et les turbulences économiques.

 

La société française de logistique ID Logistics a subi de plein fouet les droits de douane annoncés par Donald Trump cette semaine : son action a chuté de 10,7 % après la déclaration du président américain mercredi soir dernier. Son fondateur et PDG, Éric Hémar, dont la fortune repose sur une participation de 55 % dans l’entreprise, a vu sa richesse fondre de 200 millions de dollars, retombant à 1,3 milliard de dollars. Rien d’étonnant à ce qu’ID se retrouve en première ligne de cette confrontation commerciale mondiale.

Leader de la logistique en France, ID Logistics gère les flux de marchandises pour des géants comme Amazon ou Inditex, en prenant en charge le conditionnement et l’expédition des produits vers les consommateurs. Présente dans 19 pays, l’entreprise réalise près de 70 % de ses 3,6 milliards de dollars (3,3 milliards d’euros) de chiffre d’affaires à l’international, avec une forte présence en Pologne, aux États-Unis, en Espagne et au Portugal.

Cependant, Éric Hémar, âgé de 61 ans, ne semble pas perturbé par la tourmente. Fidèle à sa vision à long terme, il reste concentré sur l’avenir plutôt que sur les soubresauts du marché. « C’est sa force », souligne Mohamed Mansour, analyste chez IDMidCaps. « Contrairement à beaucoup de concurrents, il a une véritable vision à long terme, forgée par l’expérience. » Interrogé sur les tarifs douaniers, le dirigeant est resté mesuré. « Mon activité est nationale », a-t-il rappelé. « Directement, je ne suis pas concerné. Je ne gère pas le volume d’échanges entre l’Amérique et l’Europe. » En revanche, il reconnaît que le climat économique global peut influencer ses résultats. « Si la conjoncture se dégrade, les consommateurs achèteront moins de produits chez des clients comme Carrefour, Nespresso ou Amazon. Mais cela reste un impact indirect. »

Selon un analyste interrogé par Forbes, le ralentissement économique actuel pourrait inciter davantage d’entreprises à externaliser leur logistique, ce qui profiterait à ID Logistics. « La plupart des efforts d’externalisation interviennent en période d’incertitude économique, lorsque le contexte macroéconomique est morose », explique Nicolas Delmas, analyste chez Portzamparc (Groupe BNP Paribas). « Les entreprises cherchent alors de nouveaux leviers pour réduire leurs coûts. »

Il y a encore quelques décennies, la logistique contractuelle était marginale : les entreprises géraient elles-mêmes l’emballage et l’expédition de leurs produits. Aujourd’hui, la donne a changé. Externaliser ces opérations devient un moyen stratégique de maîtriser les dépenses, d’autant plus que les chaînes d’approvisionnement se complexifient et que les délais se resserrent, notamment sous l’effet de la montée en puissance du commerce en ligne. Ce dernier impose la gestion d’un flux continu de nouveaux produits — parfois des milliers ajoutés ou retirés chaque semaine — ainsi qu’une logistique des retours de plus en plus sophistiquée.

Le potentiel de croissance du secteur reste considérable : selon BNP Paribas, le marché américain de la logistique contractuelle ne serait encore structuré qu’à 20 %. Même au Royaume-Uni, pays le plus avancé en la matière, ce taux ne dépasse pas 60 %. « Hémar ne reste jamais campé sur ses positions », observe un analyste. « Certains PDG, formatés par leur parcours, peinent à s’adapter aux évolutions. Ce n’est clairement pas son cas. »

Un bon exemple de cette agilité : Amazon. Le géant du commerce en ligne, qui assure encore en interne une grande partie de sa logistique, a commencé à l’externaliser par petites touches — et c’est à Éric Hémar qu’il a confié cette tâche stratégique aux États-Unis. Le partenariat entre ID Logistics et Amazon a démarré en France en 2017, s’est étendu à l’Allemagne l’année suivante, et s’étend désormais à six pays, dont les États-Unis, où ID gère trois entrepôts, selon BNP Paribas. Amazon fait appel à Hémar pour ses opérations les plus complexes : manipulation de produits dangereux, lourds ou encombrants — des marchandises peu compatibles avec l’automatisation, qui nécessitent parfois l’intervention de chariots élévateurs.

Dans l’univers de la logistique contractuelle, décrocher un client de cette envergure peut s’avérer déterminant. Changer de prestataire comporte des risques trop importants pour les entreprises, qui préfèrent souvent s’inscrire dans la durée. « C’est un peu comme un mariage », confie Hémar. « Une fois qu’un client s’engage, il a tendance à rester pour très, très longtemps. » Et les chiffres le confirment : plus de 90 % des clients d’ID renouvellent leur contrat. Toutefois, le choix d’un partenaire logistique est compliqué par le fait que la plupart des entreprises ne sont pas si différentes les unes des autres. Hémar admet même qu’ID et ses plus grands rivaux, comme GXO et DHL, ont pratiquement tous les mêmes prix, les mêmes offres technologiques et les mêmes stratégies d’acquisition de clients.

En l’absence d’un avantage concurrentiel évident, comment ID se distingue-t-elle ? « Nous avons compris, peut-être un peu mieux que certains concurrents, que la véritable valeur ajoutée d’une entreprise comme ID Logistics était le service, et non les actifs », explique Éric Hémar. L’entreprise n’est pas propriétaire de ses entrepôts (elle les loue), ni des technologies robotiques qu’elle utilise sur les lignes d’assemblage d’emballages (elle sous-traite la fabrication des robots, en obtenant généralement une période d’exclusivité de six mois avant que les fabricants ne puissent les vendre ailleurs). Cela permet à ID d’adapter ses entrepôts aux besoins de chaque client et, plus important encore, de changer rapidement de système lorsque ces besoins évoluent. « Nous mettons beaucoup l’accent sur l’innovation », explique-t-il. « Nous proposons d’utiliser cette solution aujourd’hui, mais il est probable qu’elle ne sera pas exactement la même dans trois ans. »

« C’est vraiment ce qui a tout changé pour moi », confie Grégoire Hirtz, vice-président des opérations chez ManoMano, la place de marché européenne spécialisée dans l’univers de la maison et du jardin. En 2021, insatisfait de son partenaire logistique, ManoMano prend une décision rare : rompre le contrat. L’entreprise entame alors une série de rencontres avec de nouveaux prestataires, dont Éric Hémar. « Ce qui m’a convaincu chez ID Logistics, c’est leur approche. Ils ne nous vendaient pas une solution toute faite, mais un cadre souple dans lequel construire ensemble. Ils avaient compris que notre vision allait évoluer. À l’inverse des approches habituelles, où la logistique se résume à une prestation standard qu’on achète comme un bien de consommation », explique Hirtz.

Le partenariat débute sur un véritable test de résistance : en seulement trois mois, ID doit ouvrir un entrepôt, créer un système d’emballage de A à Z et transférer l’ensemble des stocks — le tout avant le Black Friday, pic d’activité incontournable du commerce en ligne. Le défi est relevé haut la main. Impressionné, Hirtz décide d’étendre le contrat initial de trois à cinq ans.

Aujourd’hui, ID Logistics gère environ 30 % des opérations logistiques de ManoMano. Depuis le début de la collaboration, la surface de l’entrepôt a doublé et le volume de marchandises traité a été multiplié par six. Et malgré le fait que ManoMano reste un petit client dans le portefeuille d’ID, Hémar prend soin de rencontrer Hirtz deux fois par an. Un geste qui, selon ce dernier, illustre bien l’attention et la flexibilité qui font la force du dirigeant.

Éric Hémar rend visite à ses clients chaque semaine. Quelques jours après une rencontre avec Amazon au Luxembourg, il s’est entretenu avec Forbes par appel vidéo depuis Paris. La semaine précédente, il était en Espagne pour échanger avec le géant de la mode rapide Inditex (maison mère de Zara), pour lequel ID Logistics gère les commandes, les retours et certaines réparations. Le PDG s’efforce de visiter au moins une fois par an chacun des pays où ID dispose d’entrepôts, quitte à voyager le week-end. Il partage son temps entre Paris, où il vit — deux jours par semaine — et Orgon, une petite ville du sud de la France où se trouve le siège d’ID.

Né à Paris mais d’origine bretonne, il revendique un caractère tenace, hérité, selon lui, des habitants de cette région du nord-ouest. Son parcours scolaire illustre une trajectoire classique de l’élite française : grâce à ses brillants résultats, il a intégré l’ENA, l’école prestigieuse chargée de former les hauts fonctionnaires. L’école a formé pas moins de 13 présidents et Premiers ministres. Critiquée pour son rôle dans la formation d’une élite fermée, l’institution a été dissoute en 2021 par Emmanuel Macron, lui-même ancien élève. « Il incarne parfaitement le profil type d’un PDG du SBF 120 », observe Nicolas Delmas, analyste chez Portzamparc, en référence à l’indice regroupant les entreprises les plus échangées à la Bourse de Paris. « Mais à la différence de certains dirigeants au parcours similaire, il ne reste pas figé dans ses habitudes. Il sait s’adapter. »

Cette capacité d’adaptation remonte sans doute à son enfance, lorsque Hémar a pris conscience des limites du rôle de simple dirigeant. Son père, cadre chez le géant Suez, grimpait les échelons de la multinationale. Mais à la maison, à Paris, il partageait ses frustrations : il évoquait le poids des actionnaires et rêvait des investissements qu’il aurait réalisés s’il avait eu les pleins pouvoirs. Au début des années 1990, il est nommé à la tête d’ISM, une filiale de Suez regroupant plusieurs sociétés immobilières. Mais il assiste impuissant à la restructuration imposée par un Suez en difficulté, contraint de céder une partie des actifs pour renflouer ses finances. L’épisode se termine par un départ à la retraite anticipée. « J’ai observé tout cela et je me suis dit : j’aimerais être mon propre patron », se souvient Hémar. « J’ai toujours dit que si j’en avais la possibilité, je créerais ma propre entreprise. J’ai eu cette chance dans la logistique, un secteur où l’on peut commencer modestement, sans investissements colossaux, et grandir progressivement. »

À sa sortie de l’ENA, Éric Hémar entame un parcours classique de haut fonctionnaire : quatre années à la Cour des comptes, un passage au ministère de l’Équipement et des Transports — où il développe son intérêt pour la logistique — puis un poste dans une filiale de la SNCF. En 1995, la compagnie ferroviaire décide de regrouper ses activités non ferroviaires au sein d’une nouvelle entité, Geodis, et propose à Hémar de rejoindre une unité logistique en création. Son supérieur de l’époque ne lui vend pas le poste avec des pincettes : « Personne n’en veut », lui aurait-il dit.
« La logistique n’intéressait personne à l’époque », se souvient Hémar. « C’était perçu comme un simple levier pour gonfler le volume des activités de transport. » Il tente pourtant l’aventure.

Il y restera cinq ans, dont quatre en tant que directeur général adjoint, une période qu’il considère comme sa véritable école de la logistique. Mais au début des années 2000, la situation financière de l’entreprise se dégrade. Lorsqu’une nouvelle direction arrive en 2001 avec des menaces de réorganisation, Hémar voit là un parallèle avec les difficultés rencontrées par son père une décennie plus tôt. Cette fois, il décide de ne pas rester passif. Il prend le pari de se lancer et de réaliser son rêve : fonder sa propre entreprise.

L’opportunité se présente lorsqu’il identifie un potentiel client : Carrefour. Il reprend une petite société de logistique près d’Avignon, déjà partenaire de l’enseigne, et fonde ID Logistics. Le montant de l’investissement initial est de 1 million d’euros, dont un tiers provient de ses propres économies, le reste venant de celles de son père et de son beau-père. « Je les ai remboursés depuis », ajoute-t-il.

Contrairement à la majorité des grandes entreprises françaises, qui se concentrent à Paris, Hémar choisit de rester dans le Sud, là où tout a commencé. Pour lui, ce choix a du sens : « C’est une région idéale pour attirer les talents… et les garder.»
Grégoire Hirtz, de ManoMano, fait une comparaison amusée : « C’est un peu comme si, au lieu de baser son siège à New York, on s’installait en Alabama. »

« Il avait une vision », souligne Florent Thy-Tine, analyste chez TP ICAP. « À l’époque, le taux d’externalisation était relativement bas. Mais il avait bien vu que la logistique contractuelle allait se développer. » Hémar avait remarqué que les détaillants français exportaient de plus en plus vers ce qu’on appelait alors les « marchés émergents », en Amérique du Sud et en Asie de l’Est, mais qu’ils n’avaient pas de systèmes logistiques efficaces dans ces régions. « Personne ne voulait s’aventurer dans ces pays », se souvient-il.

ID Logistics ouvre sa première filiale à Taïwan en 2002, suivant ainsi Carrefour dans son expansion. Dix ans plus tard, l’entreprise est présente dans une dizaine de pays, en grande partie grâce à une stratégie d’implantation judicieuse, souvent dictée par les besoins d’un client existant élargissant son réseau. En 2012, elle fait son entrée en bourse en mettant 25 % de ses actions sur le marché, levant ainsi environ 35 millions de dollars (32 millions d’euros).L’année suivante, Hémar concrétise un premier achat important en acquérant CEPL, un concurrent français spécialisé dans l’exécution des commandes de détail. Plus récemment, ID Logistics a renforcé son portefeuille avec l’acquisition de Kane Logistics, basé à Atlanta (2022), et de Spedimex, implanté à Stryków, en Pologne (2023).

L’intelligence artificielle est l’un des domaines qui retient l’attention d’Hémar, bien qu’il ne s’attende pas à une révolution immédiate. L’entreprise expérimente actuellement une technologie d’IA qui génère un « jumeau numérique » d’un entrepôt, permettant de visualiser les flux de marchandises en temps réel. Ce modèle envoie des alertes instantanées en cas de problème et suggère des pistes pour améliorer l’efficacité. À ce jour, cette technologie est utilisée dans quelques entrepôts particulièrement complexes. Cependant, pour Hémar, l’impact majeur de l’IA viendra principalement de l’automatisation, avec une plus grande dépendance aux robots pour la gestion de l’emballage et de l’entreposage. Bien qu’il soit convaincu qu’un jour les entrepôts entièrement robotisés resteront improbables en raison des difficultés d’automatiser environ 60 % des processus, il n’est pas inquiet de l’impact de cette évolution sur l’emploi. En effet, le secteur de la logistique souffre depuis longtemps d’une pénurie de main-d’œuvre.

Malgré les tensions mondiales, l’expansion en Amérique du Nord reste une priorité pour Éric Hémar. Il précise qu’ID vient de s’implanter pour la première fois au Canada, sans pour l’instant dévoiler le nom du client, et qu’une expansion au Mexique est également envisagée. L’entreprise voit encore un grand potentiel aux États-Unis, où son chiffre d’affaires a augmenté de plus de 40 % l’année dernière, malgré une part de marché inférieure à 2 %.

Cette croissance sur le marché nord-américain, en plein essor, est cruciale pour qu’ID continue de doubler son chiffre d’affaires tous les cinq ans, un objectif cher à M. Hémar. Heureusement, élargir le portefeuille de clients est l’un des aspects qu’il préfère dans son travail : « Gagner un nouveau client, c’est la reconnaissance de notre capacité à convaincre par notre expertise. C’est une véritable source de satisfaction. »

 

Un article de Monica Hunter-Hart pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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