Le secteur du luxe ne connaît pas la crise. Des records ont encore été dépassés, s’il on en croit les chiffres de l’année 2022, avec en cumulé, 27,895 milliards d’euros de ventes enregistrées, rien que pour les trois groupes ayant le mieux performé auprès des consommateurs, à savoir LVMH, Hermès et Kering. Des montants qui donnent le tournis mais qui ne doivent pas faire oublier l’enjeu crucial du secteur du luxe : celui d’anticiper l’arrivée des consommateurs de la génération Alpha, amenés à être le moteur de ses ventes à partir de la prochaine décennie. Alors que le monde s’installe dans un climat de crises pérennes, ce secteur parfois désigné comme aux antipodes des considérations sociétales a une carte décisive à jouer, et ce grâce au digital.
L’enjeu de la « brand equity »
Les consommateurs sont de plus en plus regardants vis-à-vis des marques. L’arrivée des réseaux sociaux a poussé encore plus loin l’accès à l’information tout en lançant l’ère de la conversation entre les clients et les entreprises. Les Maisons de Luxe, tout particulièrement, ont longtemps fait le pari du silence ou du monologue sur les réseaux sociaux, restant ainsi dans leur tour d’ivoire statutaire. Elles sont désormais de plus en plus dans la transparence et l’ouverture. Elles permettent de voir l’envers du décor et ouvrent les portes des ateliers de confection au sens propre comme au figuré. Celles qui aujourd’hui tirent leur épingle du jeu en ligne sont celles qui ont adopté une prise de parole à 360°, pour s’adresser en toute transparence aussi bien à leurs actionnaires, aux talents actuels et futurs, et évidemment à leurs consommateurs.
Car bien au-delà du seul critère du chiffre d’affaires de l’entreprise, la brand equity représente la valeur d’ensemble d’une marque. Elle se construit sur le long terme et l’expérience client proposée par la marque est l’une des composantes qui la détermine. En 2022, la qualité d’un produit ou d’un service importe toujours, mais les valeurs sociales et sociétales sont désormais au cœur des considérations des citoyens. A l’heure de la transparence accrue induite par les réseaux sociaux, chaque prise de parole, chaque publication est scrutée par les consommateurs, qui souhaitent s’assurer que les Maisons dont ils achètent les produits ne sont pas en contradiction avec leurs valeurs. Et la transparence elle-même est une de ces valeurs. De fait, les entreprises sont obligées de prendre part à des discussions et des engagements qui vont au-delà de leur sphère première.
Se positionner, refléter les attentes des consommateurs, sans tomber dans un schéma de récupération, mais toujours dans un objectif de s’inscrire dans l’ère du temps, telles sont les qualités requises pour qu’une marque soit bien perçue et appréciée du public. En effet, le luxe a toujours renvoyé l’idée d’un monde rêvé, quasiment inaccessible, mais qu’il est possible d’effleurer du bout des doigts grâce à la commercialisation de quelques produits.
Si l’image du luxe a pu se construire, entre autres, à travers le cinéma et les médias plus traditionnels, le digital a radicalement apporté une autre dimension. Les égéries ne sont plus uniquement les top models et les stars du grand écran, mais également des influenceurs qui ont construit leur carrière sur les réseaux sociaux. Cette nouvelle façon de consommer l’imaginaire a redistribué les cartes pour les grandes marques. Pour rester pertinent, il faut publier, interagir avec son audience, écouter et prendre position. Les consommateurs ont aujourd’hui un accès continu aux informations et un pouvoir jusqu’alors inexploité : celui d’être lui-même influent dans la stratégie des entreprises, même les plus installées.
De nouvelles thématiques et des considérations de plus en plus partagées fédèrent des communautés à travers le monde en quelques clics. De ce fait, le luxe se retrouve dans un entre-deux paradoxal : celui de continuer de faire rêver tout en étant le plus proche de ses cibles. L’enjeu de savoir comment les marques doivent réussir à se positionner pour convaincre, fidéliser et attirer les consommateurs est une recette qui ne doit pas faire oublier que le luxe a toujours voulu être le vecteur d’un plaisir sur la durée, loin du consumérisme effréné. Au vu des considérations écologiques très présentes de nos jours, c’est peut-être aussi sur ce terrain que ces grandes maisons ont tout à parier.
La dualité d’un secteur qui se réinvente rapidement
Si l’arrivée du digital a vu éclore, de toute part, des oiseaux de mauvais augure pour le monde du luxe, allant même jusqu’à prédire sa mort, force est de constater que ces mauvais présages se sont avérés erronés. Mais là où le luxe oscille dans un paradoxe difficile à concilier, entre philanthropie et exclusivité ; il a aussi une carte à jouer pour rester dans la course, et se réinventer brillamment.
Porter des valeurs chères aux consommateurs, être transparent dans sa communication, prôner la réactivité pour éviter tout scandale, le digital permet aux marques de le faire, si elles sont décidées à utiliser les outils numériques qui se présentent à elle et conquérir une génération qui sera réceptive. On le sait, aujourd’hui les plus jeunes générations peuvent faire et défaire des réputations. Elles sont celles qui seront derrière la croissance de ce marché, d’ici à 2030, comme le souligne Bain & Company dans sa dernière étude sur le luxe. Bien plus regardantes sur les questions d’écoresponsabilité, leur appétit pour des biens de qualité ne leur fera pas oublier leurs positions pour des thématiques essentielles comme la planète et l’inclusion. Et quoi de mieux que le pouvoir du digital pour toucher cette génération dès aujourd’hui ? Les ambassadeurs de ces marques via les réseaux sociaux sont le relai idéal pour véhiculer des informations qui seront déterminantes sur la durée.
On assiste à la construction de ce nouvel imaginaire du luxe grâce au digital, où tout est plus transparent, et où les attentes des consommateurs sont prises en compte. L’image des grandes maisons de luxe est d’ailleurs amenée à évoluer, si ce n’est déjà fait. Lorsque Vogue décide d’éliminer de son nom la tagline « Paris » et de la remplacer par « France », cela n’a rien d’anodin. La « Bible » de la mode et du luxe donne le ton, celui d’inclure, au-delà d’un cercle encore jusqu’ici fermé et désormais plus accessible, sans pour autant renier son héritage. Elle le fait pour refléter la société actuelle, bien plus mouvante, ouverte sur le monde et libérée de ses barrières. Le luxe doit aujourd’hui aller plus loin pour satisfaire ce désir personnel et inclure les considérations sociétales. Il faut trouver le bon équilibre entre la part de mystère et la transparence, ce sentiment d’exclusivité du luxe et d’ouverture sur la société.
L’alliance du luxe et du digital promet l’écoute active, un dialogue constant avec les communautés pour leur proposer des expériences toujours plus qualitatives. Le secteur se voit plus ouvert et transparent et cela permettra d’aller plus loin dans la création d’une proximité qui répondra aux attentes d’un public de plus en plus pointilleux, et soucieux du respect des engagements pris.
Tribune rédigée par Olivier Lagane, Senior Director Business Value Team, Sprinklr & Stéphanie Barret, Global Head of Luxury, LinkedIn
<<< A lire également : Tradition et digitalisation : quand le luxe se modernise >>>
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits