C’est un départ qui n’est pas passé inaperçu dans le monde de l’aéronautique. Pendant plus d’un quart de siècle, Akbar Al Baker a marqué de son empreinte l’ascension de Qatar Airways. Portrait d’un bâtisseur par Julien Ibsaïene (The Travelers Club)
Le nom du Président-directeur général du groupe Qatar Airways n’est pas inconnu tant ce dernier a su, au fil des ans, construire sa notoriété. Akbar Al Baker, dont la mission était d’offrir au Qatar un transporteur aérien capable de faire rayonner le pays par-delà ses frontières, a réussi en l’espace d’un quart de siècle à métamorphoser un semblant de compagnie aérienne en une marque internationale de premier plan, constellée de récompenses et régulièrement encensée. Al Baker, quant à lui, s’est hissé dans le même temps au rang de leader incontesté de l’industrie aéronautique. Pourtant, l’heure est à un nouveau départ pour la compagnie à l’oryx : Qatar Airways s’apprête en effet à tourner la plus longue page de son histoire.
Un plan de vol respecté à la lettre
En 1996, le Cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani, père de Tamim, l’actuel Emir du Qatar, confie à Akbar Al Baker les rênes du développement de ce qui doit devenir – rapidement – une compagnie aérienne de premier ordre. Le plan de vol est simple : l’homme d’Affaires doit mener, à partir d’une feuille presque blanche, le développement du futur transporteur d’excellence qui permettra de relier le Qatar au reste du monde et ainsi assurer le positionnement du pays à l’échelle du globe. Pour cela, il hérite de moyens considérables.
D’une flottille de 4 avions (la compagnie étant née officiellement en 1994), Al Baker a développé en moins d’un quart de siècle, une flotte de 200 appareils de dernière génération (cargo inclus) et un réseau de plus de 160 destinations desservies depuis son hub de Doha. Outre ce rapide et inégalé développement, le Président-directeur général du groupe Qatar Airways n’aura eu de cesse de proposer à ses clients un produit global de haut vol, assurant la position de sa compagnie comme l’un des acteurs clés du transport aérien mondial.
Qatar Airways, loin d’être isolée sur la scène internationale et à la différence de ses concurrentes du Golfe Emirates ou Etihad Airways, a intégré oneworld en 2013, afin de poursuivre son expansion au sein d’une alliance d’envergure. Sous l’impulsion du désormais incontournable « Chief », le groupe a également pris des participations au sein de compagnies de renom à l’instar de LATAM, Cathay Pacific ou encore China Southern et a noué des partenariats d’image historiques comme avec le Paris Saint-Germain ou le FC Barcelone.
Al Baker a, sans ménagement, passé des commandes d’avion aussi bien auprès d’Airbus que de Boeing afin d’assurer le développement de la compagnie pour laquelle il dévouait son enthousiasme et sa compétence – et, par la même occasion, assurer aux avionneurs des revenus considérables tant les commandes pouvaient être pharaoniques. La compagnie aérienne est même devenue l’une des plus importantes compagnies aériennes de transport de marchandises pendant le blocage du Qatar et la pandémie de coronavirus.
Outre ses victoires sur le plan numérique, Akbar est parvenu à satisfaire des passagers toujours plus exigeants. Fort de ses développements comme la Qsuite en classe Affaires (dont il connait les moindres détails comme le choix de la liseuse individuelle par exemple), Qatar Airways a été élevée au rang de « meilleure compagnie aérienne du monde » pendant 7 années (2011, 2012, 2015, 2017, 2019, 2021 et 2022) sans oublier sa position de leader au Moyen-Orient.
Une personnalité atypique
Indépendamment de ses succès indéniables, Akbar Al Baker est également connu pour avoir un avis sur tout, en interne comme à l’extérieur.
Tandis que la plupart des dirigeants de compagnies aériennes optent pour la discrétion et la prudence, ce dernier se distinguait en exprimant toujours ouvertement ses opinions – qu’on l’attende ou non sur le sujet. Nombreux sont les acteurs du transport aérien qui ont eu l’occasion, au moins une fois, de subir les foudres de cet intransigeant dirigeant.
Les avionneurs, il va sans dire : Al Baker est connu aussi bien chez Airbus que chez Boeing pour avoir eu l’audace de refuser une livraison d’avion à la dernière minute, ou presque, parce qu’un détail ne lui convenait pas à bord ou en amont de la cérémonie. Ses concurrents également, comme American Airlines et son PDG, accusés de cibler continuellement Qatar Airways, « jalousant son développement ». Akbar a même été jusqu’à menacer de quitter l’alliance oneworld à plusieurs reprises si la voix de sa compagnie n’était pas entendue – Willie Walsh, Président-directeur général d’IAG à l’époque lui assurant son soutien en conséquence.
Au cours de sa carrière s’étendant sur un quart de siècle, on peut également relever quelques épisodes controversés, notamment sa réponse négative à la question de savoir si une femme pourrait exercer sa profession, arguant que celle-ci est « difficile ».
Au sein de la compagnie aérienne, le dernier mot lui revenait sur tout – de la configuration de ses avions à la gestion de ses invités, illustres comme anonymes, lors de divers événements à Doha.
Mais Al Baker a toujours justifié ses prises de position et décisions dans l’intérêt de Qatar Airways.
Un départ vécu comme un secret de polichinelle
Dans un communiqué de presse aussi soudain qu’inattendu, Qatar Airways a confirmé lundi 23 octobre 2023, le départ d’Akbar Al Baker, mais n’a pas fourni d’autre commentaire sur le sujet.
Pourtant, le départ de ce visionnaire qui a positionné la compagnie aérienne du Qatar sur le devant de la scène internationale se murmurait depuis plusieurs mois. Déjà, avant la Coupe du Monde de football qui s’est tenue dans l’émirat en décembre dernier, des rumeurs circulaient quant au départ imminent de Son Excellence. De nombreux ouvrages publiés sur le Qatar à cette période évoquaient déjà la fin de l’ère de Al Baker.
Le fait est que le Président-directeur général du groupe aurait fait grincer des dents dans les rangs de l’élite du pays.
En effet, si le dernier conflit en date entre Qatar Airways et l’avionneur européen portant sur la dégradation de la surface de l’Airbus A350 s’est soldé en février dernier par un accord à l’amiable « mutuellement acceptable », il semblerait qu’une intervention des gouvernements français et qatari ait été nécessaire pour y parvenir. Al Baker en avait pourtant fait son cheval de bataille allant même jusqu’à saisir la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni plutôt que d’avoir recours à un arbitrage privé comme souhaité par Airbus à cette époque.
Malgré cela, la famille Al Thani n’a eu de cesse de louer publiquement l’oeuvre de ce serviteur de l’État, né à Bombay en 1962, depuis l’annonce de son départ à l’instar de Al Mayassa bint Hamad Al-Thani, Princesse du Qatar, sur les réseaux sociaux.
Al Baker tire donc sa révérence après 27 années de bons et loyaux services, tout en ayant traversé avec brio des crises sans précédents comme le blocage du Qatar ou la pandémie de coronavirus. À 62 ans, l’homme d’affaires deviendra dans quelques jours le conseiller spécial de Mohammed bin Abdulrahman Al Thani, Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar.
L’avenir de Qatar Airways
Qatar Airways va donc devoir réinventer son mode de fonctionnement. La compagnie aérienne n’aura d’autre choix que d’apprendre à voler de ses propres ailes et à prendre elle-même les décisions pour son avenir, là où Al Baker avait, jusqu’à présent, le dernier mot sur tout.
Ainsi, si le départ de l’actuel Président-directeur général du groupe est prévu pour le 5 novembre 2023, la transition se prolongera sans doute jusqu’au début de l’année 2024, le temps pour les nouvelles équipes de prendre une position qui leur est, encore maintenant, inconnue au sein de la compagnie aérienne.
Mais Badr Mohammed Al Meer, le successeur d’Akbar Al Baker, n’est pas un débutant. Depuis 2014, ce dernier assume la responsabilité de directeur des opérations de l’aéroport international de Doha. Ainsi, pendant les neuf dernières années, il a joué un rôle décisif dans la métamorphose de l’aéroport en une plateforme mondiale de premier plan, procurant ainsi aux voyageurs l’une des expériences aéroportuaires les plus exceptionnelles au monde. L’aéroport a été consacré « meilleur aéroport du monde » par le classement Skytrax en 2021 et 2022 et a, en 2023, conservé son titre de « meilleur aéroport du Moyen-Orient » pour la neuvième année consécutive.
Ce dernier a d’ailleurs déjà posé les bases de sa gouvernance en affichant une volonté inébranlable d’atteindre l’excellence opérationnelle et d’offrir une expérience client de premier plan aux voyageurs du monde entier.
Qatar Airways poursuivra donc sa route sans Al Baker tout en perpétuant cependant son héritage.
<<< Pour aller plus loin : Comment Qatar Airways s’est consolidée pendant la crise ? >>>
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits