L’application de réseaux sociaux TikTok compte sur Donald Trump pour annuler la loi qui pourrait l’interdire. D’un point de vue juridique, ce n’est pas ainsi que les choses sont censées fonctionner.
Article d’Emily Baker-White pour Forbes US
Lundi 9 décembre, TikTok a demandé à une puissante cour d’appel d’arrêter temporairement une loi qui pourrait interdire l’application aux États-Unis dès le 19 janvier. Parmi les arguments avancés par l’entreprise pour justifier ce délai figure l’idée que la cour devrait donner au gouvernement Trump le temps de décider ce qu’il pense de la loi avant qu’elle n’entre en vigueur.
C’est un mauvais argument. Les tribunaux n’empêchent pas les lois d’entrer en vigueur simplement parce qu’un futur président pourrait ne pas les aimer. En outre, les présidents n’ont pas le pouvoir d’abroger les lois : ce pouvoir appartient au Congrès.
La clause « Take Care »
Les avocats spécialisés dans la sécurité nationale des États-Unis ont déjà commencé à discuter en privé de l’obligation de Donald Trump d’appliquer la loi en vertu de la clause « Take Care » de la Constitution, qui exige que les présidents « veillent à ce que les lois soient fidèlement exécutées ». Les interprétations de cette clause varient considérablement, mais la plupart des spécialistes s’accordent à dire que les présidents ont le devoir d’exécuter la volonté du Congrès, qui a adopté à une écrasante majorité la loi TikTok en avril dernier. En 2020, le juriste conservateur John Yoo a qualifié la clause de « commandement au président de mettre les lois en application ».
Cela signifie que la bataille autour du projet de loi d’interdiction et la manière dont Donald Trump la gère pourraient faire jurisprudence bien au-delà de TikTok et des réseaux sociaux : elle pourrait déterminer le pouvoir dont dispose Donald Trump pour appliquer ou non d’autres lois, également.
Le gouvernement Trump pourrait ne pas appliquer la loi
En ce qui concerne TikTok, le gouvernement Trump pourrait bien décider de ne pas appliquer la loi. Cette dernière resterait en vigueur, mais le gouvernement pourrait choisir de ne pas poursuivre les entreprises qui ne la respectent pas. Donald Trump a affirmé qu’il allait « sauver TikTok », et refuser de défendre la loi pourrait être l’un des moyens qu’il utilise pour y parvenir. Ronald Reagan a choisi de ne pas appliquer certaines lois en matière de pratiques anticoncurrentielles, Bill Clinton a décidé de ne pas poursuivre certaines lois sur le contrôle des armes à feu et George W. Bush ainsi que Donald Trump (au cours de son premier mandat) ont choisi de ne pas poursuivre certaines infractions en matière d’environnement. Souvent, les tribunaux ont choisi de ne pas remettre en cause ces décisions.
Cependant, il n’est pas certain que la non-application de la loi permette à Donald Trump d’aller jusqu’au bout dans ces circonstances. À moins qu’un sursis ou une prolongation ne soit accordé, la loi imposera des amendes de plusieurs milliards de dollars à Apple et Google, qui gèrent les deux magasins d’applications du pays, ainsi qu’aux fournisseurs de cloud comme Oracle et Amazon s’ils contribuent à rendre TikTok disponible aux États-Unis après le 19 janvier. Même si le gouvernement Trump déclare qu’il ne recouvrera pas ces amendes, cela ne sera probablement pas une garantie suffisante pour les entreprises américaines, car Donald Trump pourrait toujours revenir sur sa position ultérieurement, ou un futur gouvernement pourrait intenter une action en justice pour faire appliquer les amendes à une date ultérieure. C’est la raison pour laquelle les entreprises américaines ne pourront maintenir TikTok en ligne que si un juge leur dit qu’il est légal de le faire.
La Cour pourrait tout de même poursuivre l’affaire
TikTok a fait valoir que le fait de donner « au nouveau gouvernement le temps de déterminer sa position […] pourrait rendre caduque […] la nécessité d’un examen par la Cour suprême ». Cependant, même en supposant que le département d’État à la Justice de Donald Trump refuse de défendre la loi, l’affaire ne sera pas nécessairement sans objet, que ce soit d’un point de vue juridique ou pratique. D’un point de vue juridique, une affaire n’est sans objet que lorsque la question sous-jacente n’est plus d’actualité, de sorte que la décision de la Cour n’aurait aucun impact. Le fait de ne pas appliquer une loi ou de refuser de la défendre n’a pas d’incidence sur la façon dont le tribunal voit les choses. En fait, dans d’autres cas où le gouvernement a abandonné la défense d’une loi ou d’une décision en vigueur, la Cour suprême a parfois choisi d’entendre l’affaire malgré tout.
On peut citer, par exemple, l’affaire de la peine de mort de Richard Glossip. Dans cette affaire, le bureau du procureur général de l’Oklahoma, qui avait placé Richard Glossip dans le couloir de la mort, s’est vu présenter de nombreux éléments prouvant que l’homme qu’il avait condamné était en fait innocent. Après avoir pris connaissance de ces nouveaux éléments, le procureur général est revenu sur sa position et a décidé que l’homme potentiellement innocent ne devait pas être exécuté. Au début de l’année, plutôt que de juger l’affaire sans objet, la Cour suprême a désigné un autre avocat pour défendre la condamnation à mort de Richard Glossip, même si l’Oklahoma ne voulait pas le faire.
L’affaire TikTok pourrait donner lieu à une situation similaire. Si le gouvernement Trump décide de ne pas appliquer la loi TikTok ou de ne pas la défendre devant les tribunaux, la Cour suprême pourrait désigner un autre avocat pour plaider contre cette loi.
Une issue qui en dira long sur la manière dont Donald Trump agira à l’avenir
La loi TikTok confère au président américain certains pouvoirs limités : elle lui permet d’accorder une prolongation de 90 jours pour empêcher l’entrée en vigueur de l’interdiction, si la société mère de TikTok, ByteDance, a fait de réels efforts pour vendre le logiciel à une entreprise américaine, et elle lui permet de déterminer (dans un cadre étroit) si une vente est suffisante pour éviter l’interdiction. Cependant, aucune de ces dispositions ne répondrait à la question qui sera bientôt soumise à la Cour : celle de la constitutionnalité de la loi. Et aucune ne permettrait à Donald Trump d’empêcher l’entrée en vigueur de la loi.
L’issue de cette affaire pourrait donner un aperçu de la manière dont Donald Trump traitera les nombreuses lois en vigueur avec lesquelles il a déjà indiqué qu’il n’était pas d’accord. En 2021, un tribunal fédéral a estimé que le premier gouvernement Trump avait violé la clause « Take Care » en n’appliquant pas suffisamment la loi sur les soins abordables (Affordable Care Act). Le fait que Donald Trump puisse choisir de ne pas appliquer d’autres lois, sur des questions allant de l’intégrité et de la corruption électorales à l’immigration, montre que l’enjeu dépasse largement TikTok.
Une traduction de Flora Lucas
À lire également : La bataille autour de la politique sur TikTok
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits