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L’Auto-Édition Va-T-Elle Remplacer Les Éditeurs Traditionnels ?

Par Getty Images

Le 4 septembre dernier, la liste des ouvrages retenus pour le Prix Renaudot a été dévoilée. Parmi eux, un livre sort du lot, pas tant pour ses qualités littéraires que par son mode de publication. “Bande de Français” de Marco Koskas, n’est pas passé par le processus éditorial classique : il a été auto-édité par son auteur via la plateforme Kindle Direct Publishing du géant américain Amazon. Et cela a eu le don d’agacer fortement la planète littéraire – un appel au boycott du Prix Renaudot a été lancé par certains (mais pas vraiment suivi…).

La comparaison entre les deux modes d’édition reste compliquée du fait de leur approche différente sur la gestion d’un ouvrage.

Les éditions traditionnelles sélectionnent les manuscrits, effectuent les corrections nécessaires, organise l’impression, gèrent les stocks, et assurent la promotion des œuvres. Le financement des projets se négocient en direct entre l’auteur et l’édition.

L’auto-édition, par définition, ne nécessite aucune sélection car l’auteur va lui-même prendre en charge l’édition de son livre, l’obtention de l’ISBN, le dépôt légal à la Bibliothèque Nationale. Ce processus est réalisé systématiquement par les services d’auto-édition. L’auteur peut définir sa couverture, choisir son papier, et même calculer le prix de ventes (et sa marge sur chaque ouvrage).

Ce que l’on a longtemps appelé l’édition à compte d’auteur n’est pas une nouveauté. Elle a longtemps eu une presse mitigée, et même si les mentalités évoluent, elle était souvent évoquée comme synonyme d’échec. L’auteur d’un ouvrage littéraire, de cette manière semblait avouer qu’il avait été refusé par les maisons d’éditions dites “sérieuses”.

L’auto-édition : l’outil préférable pour les « livres de niche »

Le monde de la B.D. est depuis longtemps habitué à ce phénomène. Les Éditions Albert René, par exemple lancé par Albert Uderzo en 1979, ont permis aux albums d’Astérix d’être édités directement par l’auteur, après la fin du contrat avec les éditions Dargaud. Ironie de cette aventure indépendante, la maison d’édition d’Astérix a ensuite été rachetée par un géant du secteur, Hachette en 2008, qui a acquis 60 % de la société.

D’autres auteurs, à l’instar de Claire Brétécher, ont suivi le même processus. Cependant ce sont souvent des auteurs qui se sont fait connaître avant de s’auto-éditer. Ils ont donc pu appuyer leur viabilité économique du projet sur leur notoriété.

Ainsi le sulfureux écrivain Marc-Edouard Nabe, après avoir récupéré les droits de ses livres auprès de son ancien éditeur, Les Éditions du Rocher, a décidé en 2010 de s’auto-éditer afin d’échapper au circuit traditionnel et d’augmenter ses marges sur les ventes.

Quant à Jonathan-Simon Sellem, auteur de « Charles De Gaulle : antisémite ? », a longuement expliqué aux médias avoir décidé de passer l’auto-édition pour des raisons de praticité. « Je voulais faire un livre court, intense et ludique, avec une totale liberté d’expression. Je voulais le proposer le plus rapidement possible, au plus grand nombre de lecteurs, et à un prix accessible ! Je voulais avoir accès aux statistiques de vente et m’occuper moi-même de la promotion. C’est ce que propose Amazon. Après avoir écrit l’ouvrage, il n’aura fallu que trois jours pour qu’il soit en vente à travers le monde, avec une livraison à 1 centime partout ou presque à travers la planète. »

De fait, avec le système KDP, pas la peine d’attendre un éventuel retour des éditeurs, ni de perte de temps à négocier un contrat ou à réécrire des chapitres entiers. Tout reste transparent.

Résultat : après une grande campagne de relations-presse en Israël, pays qui compte 1 million de francophones dont beaucoup sont intéressés par les thèmes liés à l’antisémitisme, « Charles De Gaulle : antisémite ?» s’est vendu à plusieurs milliers d’exemplaires en quelques jours ! Un succès si important que certaines librairies ont commandé des dizaines d’ouvrages à Amazon pour des commandes passées par des clients en boutique ! « Cela n’aurait jamais été possible avec une maison d’édition traditionnelle, surtout avec ce thème précis » explique M. Sellem. « Amazon m’a permis de toucher mon public cette fois-ci, mais rien ne dit que pour un thème plus général, je ne passerais pas par une maison d’édition classique. »

Et Internet bouleversa la donne…

Si l’auto-édition existe depuis longtemps sur internet, l’entreprise d’e-commerce Amazon a permis de multiplier ce phénomène grâce à la visibilité qu’elle permet d’offrir sur sa plateforme Kindle Direct Publishing (KDP).

Le KDP permettait initialement à chacun de pouvoir publier son manuscrit afin qu’il puisse être téléchargé sur la liseuse. Amazon n’en est pas resté là, et a associé en 2016 un service inédit : le print-on-demand (impression à la demande).

Cette option est la véritable révolution qui pourrait bouleverser le monde de l’édition. En effet, elle offre la possibilité d’imprimer un exemplaire papier d’un livre, au moment de sa commande sur le site. Le concept de print-on-demand réside dans l’absence de stock, tout se déroule en flux tendu, chaque livre étant imprimé au moment de l’achat du livre par un client – évitant ainsi un gâchis écologique et économique. La disparition du concept même de stock est fondamentale car cela évite de mobiliser inutilement du capital.

Et pour Amazon, cela permet de publier la terre entière, sans dépenser un seul centime. En ce qui concerne la France, en 2009, un sondage Ifop-Le Figaro Littéraire indiquait que 6 % des Français avait un manuscrit dans leur tiroir…

Cette absence de risque, Amazon l’utilise afin de proposer des contrats d’édition très avantageux. Les droits d’auteurs, selon les contrats, varient de 35 % à 70 %. Pour un auteur, débutant ou réputé, ces chiffres sont tout simplement sans commune mesure avec ce que peut proposer une maison d’édition classique, dont le pourcentage varie, selon le nombre d’exemplaires vendus, entre 8 et 12 %. Le calcul est donc simple : un écrivain doit vendre près de 9 fois plus d’exemplaires d’un livre ayant été édité par un éditeur traditionnel, pour espérer gagner autant par le biais d’Amazon.

Le succès d’Amazon est réel dans le secteur de l’édition. Amazon est aujourd’hui, et de très loin, le première libraire de France !

Une réflexion possible : si le circuit de l’édition, incluant les éditeurs, les distributeurs et les revendeurs disparaît, quel relai resterait-il dans un monde de monopole digital et physique?

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