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La Voiture Autonome, Planche De Salut Du Capitalisme ?

Voiture autonome
Par Getty Images

Et la palme de la transformation numérique de grand groupe en 2018 revient à [roulement de tambours]… General Motors ! Si de prime abord le géant centenaire de Détroit ne respire pas la disruption start-upesque, plusieurs annonces de l’année écoulée pointent vers une mutation qui mérite l’attention de plus d’un PDG de grand entreprise. Voyez plutôt.

En 2016, GM parie – relativement – tôt sur la voiture autonome en faisant l’acquisition d’une des start-up les plus avancées du domaine, Cruise Automation, passée par le célèbre accélérateur Y Combinator. Facture : 1 milliard de dollars. Une acquisition classique à première vue mais, chose plus rare, Cruise n’est pas dissoute dans l’organigramme de l’acquéreur et demeure une filiale autonome au sein de GM.

Et, en 2018, 3 annonces importantes – qui sont venues confirmer cette autonomie – ont été faites :

  1. En mai, le SoftBank Vision Fund (le fameux fonds qui valait 100 milliards) annonce qu’il va investir 2,25 Md$ dans Cruise, donnant à terme une participation d’environ 20% dans la société ; GM remet d’ailleurs 1 Md$ au capital.
  2. En octobre, c’est au tour du japonais Honda d’unir ses forces à GM, en apportant 750 M$ au capital de Cruise, assortis d’un engagement de financement de 2 Md$ sur 12 ans du développement d’un véhicule autonome commun. Cruise est à ce titre valorisé 15 Md$.
  3. En novembre, Dan Ammann, l’un des principaux dirigeants de GM annonce qu’il prendra la direction de Cruise au 1er janvier 2019.

 

Vers un capitalisme industrialo-entrepreneurial ?

A mes yeux, cette valse à trois temps est annonciatrice d’opérations similaires à venir, et le symptôme avant-coureur d’une véritable hybridation entre grands groupes et start-up.

En premier lieu parce que cette structuration résout l’une des plus épineuses questions de la transformation numérique à grande échelle : celle du financement. Pour soutenir une activité prometteuse mais gourmande en financement, autant directement ouvrir le capital de cette dernière. Ainsi, pour 1 Md$ apporté par GM, 3 Md$ sont levés à l’extérieur. Et le géant de Détroit continue à garder le contrôle.

Ensuite parce que cette structuration est une véritable arme dans la guerre des talents – tant pour leur acquisition que pour leur rétention.

Pour les fondateurs, qui continuent à diriger leur affaire et vivre les mêmes étapes que leurs pairs restés indépendants. Pour les dirigeants plus classiques, qui à l’image d’un Dan Ammann peuvent trouver là une belle occasion de rejoindre un projet entrepreneurial. Pour tous les autres talents, conquis par l’opportunité de travailler au sein d’une start-up. Et c’est ce que vend aujourd’hui Cruise sur sa page carrières.

Troisièmement, cette structuration laisse beaucoup de flexibilité dans le tour de table, en impliquant les bons partenaires pour des projets souvent complexes. Ce que les start-up savent très bien faire, en allant chercher au gré des tours de financement le soutien dont elles ont besoin à un stade de développement donné : un partenaire industriel, un fournisseur majeur, un client déterminant, un fonds spécialiste de l’expansion internationale…

Enfin, maintenir cette autonomie et encore plus, y mettre les bouchées doubles, signifie donner encore plus de chances de succès à une activité émergente. En y apportant la contribution des seules ressources pertinentes (le savoir-faire industriel à l’échelle, dans le cas de GM), sans le passif des manières-de-faire d’avant-hier ou la politique interne vu les potentiels enjeux d’auto-cannibalisation. En bref, se donner la chance d’une entreprise 2 à côté de l’entreprise 1. C’est-à-dire, dans une période où les entreprises sont plus mortelles que jamais, d’une solide planche de salut au cas où la situation de la maison-mère tournerait au vinaigre.

Attention, ce développement n’est pas dénué de questionnements, et nous n’en sommes qu’au début. En particulier, côté business : combien d’entités autonomes, autant soutenues, peuvent coexister au sein d’un même groupe ? Et du côté humain : quelles opportunités propose-t-on à ceux qui restent dans le coeur historique, avec des perspectives a priori moins favorables que la nouvelle entité ?

 

Après l’industrie automobile, à qui le tour ?

Cette année 2018 chez Cruise & GM est d’autant moins anecdotique que l’on retrouve exactement la même démarche à l’oeuvre chez Ford. Ce dernier a en effet acquis une start-up dédiée à la voiture autonome, Argo AI, en août 2017. Par le biais d’une infusion de capital substantielle, à hauteur de 1 Md$.

Il faut dire qu’avec l’avènement de la voiture autonome, l’industrie automobile cumule les facteurs favorables à ce mouvement récent :

  1. La voiture autonome est l’un des plus gros enjeux stratégiques du secteur.
  2. Les grands groupes capables d’allonger les billets pour des acquisitions sont nombreux (par exemple, pas moins de 13 groupes automobiles réalisent plus de 50 Md$ de CA annuel).
  3. L’expertise (technique, en l’occurrence) est cruciale, or les spécialistes de longue date sont peu nombreux. Autant dire que les entrepreneurs ont du levier dans les négociations, et peuvent imposer de conserver leur autonomie.
  4. Le développement de la voiture autonome est intense en capital.

En gardant ces 4 facteurs en tête, à quels nouveaux secteurs le modèle pourrait-il prochainement s’étendre ? On se mouille : pour nous, c’est du côté des services financiers qu’il faut porter l’attention. Parce que :

  1. Si l’on prend la peine de regarder au-delà des buzzwords, le triptyque fintech / IA / blockchain promet de transformer de nombreuses expériences (paiement mobile qui s’immisce partout, évaluation plus fine des risques liés à un prêt ou à contrat d’assurance, prix des transferts d’argent à travers le monde en chute libre…), et donc le paysage concurrentiel qui va avec.
  2. Les groupes de grande taille ne manquent pas dans le secteur.
  3. Mettre en place une infrastructure technique impeccable est très complexe vu les volumes d’opérations et crucial pour l’expérience utilisateur (ne pas recevoir sa dernière commande e-commerce, c’est finalement pas si grave ; voir son virement de 10 000 euros envolé dans la nature, un peu moins).
  4. Le besoin en capital est important, pour déployer l’infrastructure, pour pouvoir proposer certains produits (ex : prêts) et pour garantir une solide assise financière en cas de crise, ce que la réglementation impose dans bien des domaines des services financiers.

Quelle que soit l’industrie dans laquelle ce mouvement se poursuivra, on se souviendra que c’est en 2018 qu’il aura débuté. Et que, ironie de l’histoire, c’est à l’épicentre du bon vieux capitalisme managérial typique du XXe siècle, dans ce mastodonte nommé GM, qu’aura émergé le capitalisme industrialo-entrepreneurial du XXIe.

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