Alors que la Responsabilité Sociétale des Entreprises est un sujet majeur dans le secteur de l’assurance, les enjeux réglementaires sont encore relativement méconnus et vont impacter lourdement le secteur dans les prochaines années. Nous sommes allés à la rencontre de Valérie Loizillon et Sophie Laxenaire qui ont cofondé Assurance for good afin de comprendre les enjeux en lien avec la RSE et notamment le poids croissant des reportings extra-financiers pour le secteur de l’assurance.
Quelles tendances percevez vous de la part des acteurs de l’assurance sur les sujets RSE ?
L’engagement des assureurs a évolué ces dernières années en lien avec l’accélération des enjeux qui marquent le 21ème siècle : le dérèglement climatique, bien sûr, qui entraîne la survenance d’évènements de plus en plus extrêmes. Mais aussi l’accroissement démographique, la hausse des inégalités sociales et la multiplication des risques comme les risques cyber, terroristes, ou sanitaires.
Un autre facteur d’évolution des stratégies RSE est une pression externe de plus en plus forte de la part des parties prenantes : les assurés, les collaborateurs, les candidats, et le régulateur, avec une règlementation qui s’est accélérée sur ces dernières années.
En 30 ans, on est ainsi passé d’un engagement essentiellement centré sur le mécénat, le financement de fondations et le soutien à des associations à une politique d’engagement qui progressivement s’intègre au cœur de la stratégie de l’entreprise et s’exprime sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’assurance.
Les assureurs ont conscience des défis auxquels le modèle assurantiel actuel doit faire face : complexité croissante dans la modélisation des risques, augmentation de la charges de sinistres, modification de la nature même des sinistres. C’est bien en intégrant leurs politiques RSE de plus en plus intimement à leur activité et en la faisant évoluer que les assureurs pourront assurer la durabilité de leur modèle.
Quelles sont les étapes à mettre en œuvre pour installer une politique RSE ?
Les assureurs, comme toute entreprise, agissent sur les 3 piliers de la RSE : social, environnemental, économique. Compte tenu de la spécificité de leur activité, ils vont se concentrer sur 3 enjeux : être une organisation responsable, un assureur responsable et un investisseur responsable.
Pour déployer une politique RSE cohérente avec les enjeux de développement, un prérequis essentiel est l’engagement du top management qui doit manifester une volonté sincère d’intégrer la RSE au cœur de la stratégie et de la culture de l’entreprise.
La première étape est la réalisation d’un état des lieux des pratiques existantes. Cette phase de diagnostic intègre un recensement des attentes des parties prenantes et des obligations règlementaires.
Les orientations RSE stratégiques établies, la définition de la feuille de route opérationnelle, d’objectifs chiffrés et d’indicateurs de performance extra-financière (KPI), est la deuxième étape structurante. Les KPI permettent de suivre et d’évaluer l’efficacité des initiatives RSE dans le temps au regard des ambitions fixées.
Une fois la feuille de route établie, le déploiement de la politique RSE peut commencer. Pour que celle-ci soit efficace, elle doit être pilotée, animée, et pleinement intégrée dans les opérations de l’entreprise. Une formation de l’ensemble des collaborateurs aux enjeux de la RSE est ici un véritable levier pour assurer leur adhésion.
Enfin, une politique RSE s’inscrit dans une démarche d’amélioration continue. Elle doit donc être régulièrement challengée pour s’assurer de sa pertinence et de son efficacité dans le temps.
Quels sont les impacts réglementaires à venir pour les assureurs ?
Lors du sommet mondial sur le climat fin 2019 (COP25 à Madrid), la Commission européenne a lancé son « Pacte vert pour l’Europe ». Ce plan vise à faire de l’Europe le premier continent neutre sur le plan climatique, avec des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 1990. Dans ce contexte et pour permettre d’identifier les acteurs économiques qui contribuent à la transition écologique, l’Union européenne a travaillé ces dernières années à l’établissement d’une taxonomie et à une harmonisation des pratiques de reporting extra-financier pour intensifier les exigences de transparence sur les sujets de durabilité des acteurs privés.
La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) est la nouvelle directive européenne en matière de reporting extra-financier. Elle remplace et approfondit la NFRD (Non-Financial Reporting Directive), transposée en droit français par la Déclaration de performance extra-financière (DPEF). Avec l’entrée en vigueur progressive de la CSRD à compter de 2024, la réglementation européenne prend un tournant en encadrant de manière stricte les obligations de publication en matière d’informations extra-financières. On parlera alors de reporting de durabilité.
Quelles conséquences pour les entreprises européennes et les assureurs ?
Tout d’abord un changement d’échelle avec un champ d’application étendu. Les seuils d’application de la CSRD étant abaissés par rapport à la NFRD, on estime que près de 50 000 entreprises seront impactées par cette nouvelle règlementation contre 11 000 précédemment.
Le rapport de durabilité sera publié au sein du rapport de gestion et audité par un organisme tiers indépendant (OTI), avec une assurance modérée à l’entrée en vigueur pour s’orienter progressivement vers une assurance raisonnable.
L’information attendue est précisée et standardisée. La directive CSRD introduit de nouvelles normes européennes de durabilité communes, exigeant un volume important d’indicateurs, à la fois quantitatifs et qualitatifs. Pour chaque thématique de durabilité identifiée, les entreprises devront publier leurs politiques, actions ou plans d’actions, objectifs et mesures. Les objectifs seront assortis d’échéances à court, moyen et long terme, avec un suivi annuel des progrès réalisés.
Enfin, la directive renforce le principe de double matérialité qui était déjà en germe dans la NFRD. Véritable socle de la CSRD, cet exercice permet aux entreprises d’identifier les incidences de l’entreprise sur les enjeux de durabilité ainsi que les impacts de ces enjeux sur l’évolution de l’entreprise.
La CSRD constitue une évolution majeure pour les entreprises qui entreront dans son périmètre d’application : au-delà des enjeux de disponibilité et de fiabilité des données, elle implique une nécessaire montée en puissance de la gouvernance sur les sujets de RSE et de transformation de l’activité vers un modèle plus durable.
Quelle est votre vision des prochaines années sur les métiers en lien avec la RSE ?
Face à cette évolution règlementaire et aux enjeux sociaux et environnementaux toujours croissants, les métiers liés à la RSE sont en pleine évolution et prennent une importance capitale. Ces défis diversifiés – climat, biodiversité, inégalités sociales, cyber-risques – nécessitent des compétences transversales, allant de l’analyse des risques à la stratégie en passant par le reporting et l’audit.
La question se pose : qui doit porter la responsabilité de la RSE ? Auparavant, elle relevait principalement du responsable RSE, souvent rattaché historiquement aux ressources humaines. Toutefois, avec l’accélération de la réglementation, comme la CSRD, et la pression croissante des parties prenantes, la RSE revêt plus que jamais des dimensions stratégiques et transverses. Il devient impératif d’intégrer la RSE dans toutes les directions, y compris les risques et la finance.
La transformation des métiers liés à la RSE est en cours. Nous pourrions assister à une évolution profonde de la fonction RSE ou à l’émergence de nouveaux rôles transversaux, qui combinent les compétences en stratégie, risques, finance et développement durable.
Cette approche intégrée permettra aux entreprises de faire face efficacement aux défis RSE et de contribuer plus efficacement à la transition vers une économie durable.
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