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La résilience des marques de luxe mise à l’épreuve en 2024

Selon la dernière étude Bain-Altagamma sur le marché du luxe, le marché mondial du luxe connaîtra une croissance de 8 % à 10 % toutes catégories confondues. Toutefois, la croissance du segment des biens personnels de luxe ne devrait progresser que de 4 % aux taux de change actuels.

 

L’ensemble du marché mondial du luxe atteindra cette année 1 508 milliards d’euros. Ce total comprend également les résultats des secteurs automobile, activités, vins et spiritueux, ameublement et art. Les biens personnels de luxe représenteront 24 % du marché et clôtureront l’année avec un chiffre d’affaires d’environ 362 milliards d’euros. Ce segment comprend les secteurs suivants : mode, accessoires de mode, produits de beauté, bijoux et montres.

Claudia D’Arpizio, co-auteure du rapport, résume l’année qui vient de s’écouler en déclarant : « C’est un moment décisif pour les marques, et les grands gagnants se distingueront par leur résilience, leur pertinence et leur renouvellement, qui sont les fondements de la nouvelle équation du luxe centrée sur la valeur. »

Pourtant, à l’horizon 2024, Claudia D’Arpizio fait preuve d’un optimisme prudent pour le secteur des biens personnels de luxe, qui pourrait bien passer d’un taux de croissance de 4 % cette année à un taux moins élevé l’année prochaine, en raison de « la confiance fragile des consommateurs, des tensions macroéconomiques en Chine et des signes épars de reprise aux États-Unis ».

En outre, il est possible que les « changements perturbateurs de la situation sociopolitique mondiale », une façon diplomatique de dire que la situation mondiale est fragile, compliquent un peu plus le marché mondial du luxe.

 

Des bases solides

Tout en soulignant la solidité des bases de l’industrie du luxe, qui assurent aux marques de luxe une « résilience inégalée », Federica Levato, co-auteure de l’étude, a reconnu lors d’un appel téléphonique qu’il y avait de nombreux obstacles sur la route, en particulier l’incertitude des consommateurs de luxe face à un éventuel ralentissement économique.

Les consommateurs retardent déjà leurs achats discrétionnaires, même si leurs revenus et leur patrimoine restent solides. « Leur volonté d’acheter comporte des aspects plus souples, qui sont tout aussi pertinents que les données concrètes concernant le nombre de personnes capables de dépenser pour ces articles », a déclaré Federica Levato, ajoutant que le moteur de la croissance à long terme est la « convergence croissante entre les produits et les expériences ».

« La convergence entre les marchés du luxe entraînera une nouvelle expansion à moyen terme et à l’avenir », a-t-elle affirmé, expliquant que cette convergence se matérialisera par le fait que des marques de luxe de biens personnels offriront davantage d’expériences en magasin, ouvrant des restaurants, des hôtels et d’autres lieux expérientiels. Le marché des biens personnels de luxe ne se résumera plus à l’objet lui-même. Les marques vont mettre l’accent sur les sensations et les expériences que procure le fait de posséder et de porter l’objet en question.

Les marques expérientielles étendront leur marché aux produits et à la vente au détail, leur conférant ainsi une « pertinence au cours des différents épisodes de la vie des clients ».

Malgré le discours existentiel sur la convergence, les données révèlent une polarisation croissante du marché qui séparera les gagnants des perdants au cours de l’année à venir. En 2023, il y aura moins de gagnants et plus de perdants qu’en 2022, année au cours de laquelle 95 % des entreprises ont connu une croissance. En 2023, entre 65 % à 70 % des marques afficheront des résultats positifs. Pourtant, lors de la récession mondiale de 2008-2009, le pourcentage de gagnants parmi les marques de luxe est tombé à 35 %.

Il resta à espérer que la situation ne sera pas aussi grave que lors de la précédente crise, mais il semble y avoir plus de divergences que de convergences dans les données.

 

Des objets aux expériences

Le fossé se creuse entre les consommateurs qui préfèrent vivre des expériences, en particulier l’hôtellerie de luxe, les croisières et la gastronomie, car les mesures sanitaires liées à la pandémie de covid-19 sont désormais levées et chacun est libre de voyager. Cette catégorie de consommateurs progressera de 15 % en 2023 par rapport à 2022.

En outre, les consommateurs de biens de luxe sont plus nombreux à s’intéresser aux « biens fondés sur l’expérience », à savoir les beaux-arts, les voitures de luxe, les jets privés et les yachts, les vins et spiritueux raffinés et la gastronomie. Ces produits fondés sur l’expérience progresseront de 10 % cette année par rapport à l’année dernière.

Les biens de luxe ne progresseront que de 3 % cette année. Cela comprend les biens de luxe personnels et les meubles et articles ménagers haut de gamme. Le marché aura de la chance s’il reste stable par rapport à l’année dernière. Cette tendance est attribuée à la « normalisation », c’est-à-dire que les dépenses discrétionnaires « sont désormais tournées vers des expériences vécues ».

 

Différences générationnelles

Après avoir réussi la transition entre la génération des baby-boomers (nés entre 1946 et 1964) et les plus jeunes, les GenX (1965-1980) et les Millennials (1981-1996), les marques de luxe doivent maintenant s’orienter vers les GenZ (nés après 1997).

En 2016, les baby-boomers représentaient près d’un tiers des ventes de biens personnels de luxe, les GenX 38 % et les Millennials 27 %. En 2023, la part des baby-boomers est tombée à 11 % et celle des membres de la GenX à 24 %, tandis que les membres de la génération des Millenials représentent 45 % du marché et ceux de la GenZ 20 %.

En 2030, les Millennials domineront (50 % à 55 % du marché) et les GenZ détiendront une part de 25 % à 30 %, mais ils représenteront des sources de pouvoir différentes pour les marques de luxe à court terme. Plus âgés, les membres des GenX et GenZ auront le pouvoir de dépenser, Bain-Altagamma prévoyant qu’il y aura six à huit fois plus de membres de ces générations à « haut revenu » au cours des deux prochaines années.

Le pouvoir des jeunes de la GenZ se concrétisera par leur influence, en étant à l’avant-garde des changements culturels et sociétaux et en inspirant des changements de valeur au sein des générations plus âgées. « Les marques de luxe doivent les cibler pour atteindre leurs parents ou leurs frères et sœurs plus âgés », a déclaré Federica Levato.

La jeune génération se distingue par sa quête de sens pour définir ce qui compte le plus et par une évolution vers des achats plus « utiles », mettant l’accent sur les « expériences vécues » et le souci de l’environnement. Cependant, comme ils n’ont que 25 ans ou moins, ils sont en train de définir le sens et l’objectif de leur propre vie, de sorte que la place du luxe dans leur mode de vie est encore en train de se dessiner. Les Millennials et les GenX sont plus avancés dans ce processus.

 

Inégalité des revenus et de la richesse

Les consommateurs plus âgés disposant de la richesse et des revenus dont dépend le chiffre d’affaires des marques de luxe et les consommateurs plus jeunes étant des influenceurs en chef pour la croissance future, cela présente une dichotomie pour les marques, d’autant plus que les prix des biens de luxe ont augmenté de manière spectaculaire au cours de la période post-pandémique.

Le cabinet d’analyse de données Edited, basé au Royaume-Uni, a constaté que les prix des biens de luxe ont augmenté de 25 % depuis 2019, rendant les biens de luxe de plus en plus inaccessibles pour les consommateurs dits « aspirationnels » ou HENRY (highearners-not-rich-yet, ayant de hauts revenus mais pas encore riches), un segment vital sur lequel les marques de luxe ont longtemps compté pour leur croissance.

Luca Solca, analyste au Luxury Institute et chez Bernstein, estime que les 5 % les plus fortunés représentent 40 % des revenus de l’industrie du luxe, tandis que les 60 % restants proviennent de ceux qui se situent en dessous de ce seuil.

« Alors que l’inégalité des richesses s’accroît à l’échelle mondiale, les marques de luxe s’adressent à une part de plus en plus réduite de leur clientèle », rapporte le New York Times, qui observe que les prix des biens de luxe sont devenus si élevés que « personne ne peut soutenir ce marché ».

Les marques de luxe sont confrontées à un dilemme : élargir leur portée en développant leurs offres d’entrée de gamme ou s’appuyer sur les consommateurs du vrai luxe qui peuvent s’offrir leurs produits les plus exclusifs. « Il y a toujours ce paradoxe de la croissance pour l’industrie, car certaines de ces marques représentent des milliards de dollars et doivent se développer en élargissant leur base de clientèle », a déclaré Federica Levato. « Mais ce qui se passe cette année, c’est que la clientèle de base n’augmente pas, de sorte que les marques doivent se concentrer sur ceux qui dépensent le plus et sur les clients clés. »

Plus récemment, la Chine a été le marché que les marques de luxe ont exploité pour étendre leur base, mais en 2023, il y a eu un rééquilibrage de la distribution géographique avec l’industrie beaucoup moins dépendante des consommateurs chinois. En 2019, les Chinois représentaient un tiers du chiffre d’affaires des biens personnels de luxe. Ils ne représenteront plus qu’un cinquième à un quart de ce chiffre d’affaires en 2023. En revanche, la part des Américains a augmenté, passant de 22 % en 2019 à 29 % ou 31 % en 2023. Cela représente un autre défi pour les marques de luxe.

 

Les États-Unis, un indicateur ou un cas isolé ?

Le marché américain du luxe a progressivement ralenti jusqu’en 2023. C’est d’autant plus problématique que Bain-Altagamma estime qu’environ 50 % de la population mondiale très fortunée vit sur le continent américain.

L’année se terminera avec une baisse du marché du luxe de 8 % sur le continent américain, ce qui en fera le seul marché géographique en déclin. Et comme l’Europe connaîtra une poussée de croissance de 7 % en 2023, en partie grâce aux dépenses des Américains à l’étranger, le continent américain cédera sa place de premier marché mondial du luxe à l’Europe, avec 111 milliards de dollars de chiffre d’affaires contre 112 milliards de dollars pour l’Europe.

Cependant, les consommateurs américains représentent toujours la plus grande part des dépenses de luxe dans le monde (29 % à 31 %), et c’est là le plus grand défi pour les marques de luxe en 2024.

« Les États-Unis tombent rapidement dans une récession du luxe, s’ils n’y sont pas déjà », a déclaré Chandler Mount, fondateur de l’Affluent Consumer Research Company (ACRC). La dernière enquête de l’ACRC auprès des consommateurs américains de biens de luxe (revenu moyen d’environ 400 000 dollars) révèle que leur confiance financière est passée d’un indice de 64,2 points en juin, le plus élevé de l’année, à 55,6 points en octobre, son niveau le plus bas. L’indice mesurant les dépenses de luxe futures est passé de 58,3 points en juin à 49,7 points en octobre.

« Cela m’indique que la croissance des dépenses de luxe va probablement s’arrêter à court terme, mais je ne suis pas encore sûr qu’elle se transformera en déclin », a ajouté Chandler Mount.

Sur les 22 catégories de biens et de services de luxe/expérientiels incluses dans l’enquête, toutes sauf une (les sièges de cabine des compagnies aériennes haut de gamme) ont enregistré une baisse de l’incidence des achats au cours des trois derniers mois.

Les accessoires de mode et la maroquinerie de marque de luxe ont été particulièrement touchés, passant de 21 % d’incidence d’achat en juillet à 11 % en octobre, et les vêtements de mode de marque de luxe, de 25 % à 19 %. « Nous entrons dans une période de baisse des dépenses, car nous avons l’impression qu’il est de plus en plus coûteux de bien vivre », a observé Chandler Mount.

Si c’est le cas ici, il est logique que le phénomène s’étende, car l’incertitude qui touche les consommateurs américains de produits de luxe affecte également d’autres pays. « Les guerres et les rumeurs de guerre, ainsi que la crise humanitaire qui en résulte, effraient les consommateurs et les dissuadent de dépenser. La “politique” prend le pas sur la “gestion des affaires publiques”, ce qui entraîne une incertitude quant à la création de richesse et à sa durabilité », selon Chandler Mount. « Enfin, l’inflation et l’augmentation du coût de la vie touchent un plus grand nombre de personnes à revenus élevés, ce qui a un impact sur leur pouvoir d’achat discrétionnaire. »

Le rapport Bain-Altagamma pose cette question déroutante : « En 2023, sommes-nous à un moment décisif de l’histoire du marché du luxe ? » Il n’y a qu’une seule véritable réponse : oui !

 

Article traduit de Forbes US – Auteure : Pamela N. Danziger

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