Depuis des années, la même question : pourquoi la France ne compte-t-elle pas davantage de licornes ? Pourquoi l’Hexagone ne parvient-il pas à faire émerger des leaders technologiques mondiaux alors qu’ils existent dans le luxe ou la grande distribution ? La réponse se trouve, encore et toujours, quelque part en Californie du Nord…
C’est un fait : si la France est devenue « une start-up Nation », on ne prévoit pas l’éclosion imminente sur son sol des géants de la tech de demain. Ce n’est certes pas la faute d’essayer, notamment au niveau des pouvoirs publics, qui favorisent de multiples dispositifs financiers : des exemptions de charges jusqu’aux banques publiques d’investissements, en passant par les aides financières à l’export, le Crédit d’Impôt recherche ou le statut de Jeune Entreprise Innovante.
Alors pourquoi y-a-t-en France moins de 10 « licornes » (start-up sensées valoir plus d’un milliard de dollars/euros), alors qu’elles se comptent par centaines dans le monde, dont la moitié aux Etats-Unis ?
« Sur le papier, c’est assez simple à expliquer », assure Chris Burry, co-fondateur de US Market Access Center, une structure d’accélération de start-up basée dans la Silicon Valley, qui n’accompagne depuis un quart de siècle « que » des start-up non-américaines, et, à ce titre, travaille avec des dizaines de gouvernements et structures privées du monde entier. « Celles qui réussissent bénéficient de trois facteurs principaux : l’accès à de grands marchés, (régionaux et mondiaux), l’accès aux capitaux (abondants et disponibles très tôt dans la vie de la start-up) et enfin, l’accès à des réseaux globaux ». Cette troisième dimension, si elle est la moins visible, n’en n’est pas pour autant la moins importante. Ces réseaux globaux, c’est le « soft power » des start-up, la garantie que les meilleurs du monde, en technologies ou dans le circuit des prises de décisions économiques, vont mettre leurs compétences et leur notoriété au service de la future licorne.
C’est probablement sur ce terrain-là que, pour la France au moins, le déficit sera le plus délicat à combler. Mais le défi vaut pour tous. A Singapour ou à Kuala Lumpur, les start-up innovantes ne manquent pas ; les capitaux non plus ; et de nombreuses réussites locales (comme Grab, valorisé à plus de 10 milliards de dollars) sont là pour montrer que tout est possible dans cette région du monde. Mais même les plus belles réussites locales, y compris les champions Chinois, restent des champions régionaux, pas (encore) de véritables leaders technologiques mondiaux comme les GAFA(M) américains.
A l’évidence, malgré le dynamisme d’innombrables centres d’excellence technologique qui fleurissent un peu partout sur la planète – souvent accompagnés d’une abondance de capitaux – nulle part ailleurs que dans la Silicon Valley on ne sait, avec autant d’efficacité, allier les trois conditions à la réussite mentionnées par le patron de US MAC.
« Ici, lorsqu’une idée naît dans un garage, ce n’est pas pour la vendre en Silicon Valley, puis en Californie, puis dans le reste des Etats-Unis, en enfin ailleurs dans le monde », résume Jeff Snider, qui accompagne lui aussi des start-up innovantes depuis des années, à partir de ce petit bout de Californie du Nord. Derrière le thème passe-partout autoproclamé par les startuppers locaux de vouloir « changer » le monde, c’est bien leur volonté de le conquérir d’emblée qu’ils affichent. « C’est un fait que c’est encore ici qu’on sait faire cela le mieux », poursuit Jeff Snider. Une réalité qui s’applique même aux start-up américaines : comment expliquer sinon la relocalisation à Palo Alto de Facebook, né pourtant sur la côte Est des Etats-Unis ?
Alchimie
Heureusement, le constat qu’il faut associer étroitement capital humain de très haut niveau à capital financier est désormais admis par un nombre croissant de structures d’accélération en France. Comme par exemple au Village by CA de Sophia-Antipolis où les start-up retenues dans les programmes d’accompagnement se voient offrir (littéralement) les services de professionnels avérés du management, des ressources humaines ou business développement.
Ailleurs aussi. En Ile de France, des acteurs, tels Creative Valley, ont mis en place des dispositifs d’accès accéléré au capital auprès d’investisseurs français et internationaux tout en accompagnant les entreprises technologiques. De son côté, la Région Grand Est, sous l’impulsion de Jean Rottner, le président de la région et Lila Merabet, vice-présidente et responsable de l’innovation, a mis en place Grand E-Nov et Scal’E-Nov. Ces structures facilitent aussi, y compris financièrement, l’accompagnement et l’accélération des start-up.
Mais il semble nécessaire de franchir un cap supplémentaire. Transformer une start-up en un leader mondial n’est pas simplement affaire d’excellence technologique. C’est avant tout une affaire de bonne exécution : il faut allier à une stratégie d’expansion ambitieuse un savoir-faire prouvé dans la réalisation celle-ci, qui permettra de bénéficier à plein de la fenêtre d’opportunité. Pour le dire autrement : occuper l’espace en premier.
C’est là que l’accès aux talents qui savent aussi bien exécuter qu’ouvrir les bonnes portes devient décisif si on sait le combiner avec un accès aux marchés globaux et à des sources de financement suffisantes. Mais là encore le bas blesse: des dizaines de start-up en France ont fait leurs preuves de concept, rencontré un premier succès d’estime, mais peinent à transformer ce premier essai en un modèle qui pourrait conquérir le monde. Pourquoi le concept de Yuka, qui peut se targuer de millions d’utilisateurs en France, ne séduirait-il pas également les consommateurs du reste du monde, tout aussi soucieux de la qualité de leur alimentation ?
La France est-elle condamnée, après avoir lancé de brillantes idées, à attendre que celles-ci soient ou rachetées à petit prix ou copiées ailleurs mais abondamment financées pour atteindre d’emblée un marché mondial ?
L’issue n’est pas fatale. Les start-up qui trouvent, près de leurs bases, un capital abondant mais surtout apte à courir des risques (c’est la nature même capital « risque »), n’ont aucune raison ni de se relocaliser à ailleurs – où elles perdraient leurs racines – ni de s’avouer vaincues à l’avance. Or, de l’aveu général, plus encore en France qu’ailleurs, la levée de fonds est un parcours quotidien du combattant. Mais surtout pendant la phase cruciale : celle qui succède à la mise au point d’un premier prototype, et celle que précède un deuxième ou un troisième tour de financement conséquent pour financer une réussite déjà avérée. C’est la « traversée du désert » ou « la vallée de la mort », pour reprendre les terminologies consacrées. Une période d’une ou deux années, pendant laquelle l’entrepreneur enchaîne les rendez-vous avec de possibles investisseurs, récoltant souvent trop peu avec trop de mal.
Dans un monde idéal, la solution existe. Il s’agit de fonds d’investissements focalisés sur cette période délicate, qui lient étroitement accès sécurisé au capital avec recours aux ressources d’accélération de haut niveau. Ces fonds multiplient les chances de faire éclore des licornes dans l’Hexagone. De tels programmes existent aux Etats-Unis et commencent à apparaître en Europe. Mais timidement. Pourquoi ne pas favoriser leur éclosion ?
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