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La récession est là… Mais pas pour tout le monde !

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Source : Getty Images

Gap France, San Marina, Camaïeu, Kookaï ou bien encore les Galeries Lafayette sont en grande difficulté et la situation économique est souvent retenue comme cause principale de ces problèmes. Cette ligne d’arguments oublie la croissance du e-commerce qui continue de se développer. Ainsi, il est possible que la récession actuelle masque la destruction créatrice à l’œuvre dans le secteur de la distribution. Si tel est le cas, les informations entendues depuis quelques semaines ne sont qu’un prélude à des annonces tout aussi douloureuses concernant les fleurons de la distribution.

 

Selon les données publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la croissance économique en France a atteint 2,6 %, en valeur, en 2022. A priori, notre économie a retrouvé son dynamisme après la levée des restrictions liées à la Covid 2019. On ne pourrait donc que s’en féliciter. Pourtant, en raison de la remontée des taux d’inflation, le produit intérieur brut (PIB) montre une quasi-stagnation en termes réels. La croissance de celui-ci est de 0,1 % au dernier trimestre 2022 et 0,2% au trimestre précédent. Ce phénomène ne se limite pas à la France. La croissance de la zone euro est tout juste positive (+0,1% au 4ème trimestre 2022). Seule la contribution du commerce extérieur a permis à l’U.E. d’échapper à la récession. Toutefois, ce dernier n’est pas porté par le dynamisme des exportations des pays européens mais par le fort repli des importations énergétiques. Ce dernier signale le ralentissement important de la production. D’une façon plus globale, la croissance en volume du commerce mondial des marchandises a atteint 3,5% en 2022, et devrait redescendre, selon les prévisions de la Banque de France à 1,0% en 2023. L’économie mondiale est donc en panne. La baisse du volume des importations de l’U.E. (-3.8%), des Etats-Unis (-5.7%) ou encore de la Chine (-3.6%) en 2022 semble montrer que les principales économies du monde sont affectées.

 

La remontée des taux d’inflation et la baisse du pouvoir d’achat ainsi générée sont souvent citées comme première cause explicative de cette atonie.

Plusieurs éléments peuvent être mentionnés pour expliquer cet arrêt brutal de la croissance. Bien sûr, les tensions géopolitiques et en particulier l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 ont impactés la disponibilité et les prix de l’énergie, mais également d’un bon nombre de matières premières et de biens intermédiaires nécessaires à nos entreprises. La persistance d’une forte inflation affecte le pouvoir d’achat des ménages. Les augmentations de prix des denrées alimentaires et du coût de l’énergie sont vécues très durement par tous nos compatriotes. Selon une première estimation de l’INSEE, le recul du pouvoir d’achat par unité de consommation a atteint 0,8 % en France en 2022 (pourcentage établi à partir des trois premiers trimestres de l’année).

Au 4ème trimestre 2022, la baisse de la consommation des ménages a couté 0,5 point de PIB à la France. Au sein de l’Union Européenne, les salaires horaires n’ont progressé que de 3,2% alors que le taux d’inflation moyen est de 10,4%. Dans un tel contexte, il est peu probable que les entreprises françaises, dont la compétitivité prix est discutable, trouvent au sein de l’U.E. des relais de croissance intéressants. Enfin, la multiplication des facteurs d’incertitude conduit les Français à constituer une épargne de précaution, au détriment d’une consommation immédiate. La Banque de France rapporte que le flux trimestriel de placements des ménages s’établit à 53,0 milliards, au 2ème trimestre 2022, en hausse de 21,5 milliards par rapport au trimestre précédent.

Dans ce contexte, l’annonce de la réorganisation voire de la cessation d’activité de nombreuses enseignes commerciales est perçue comme une conséquence de la baisse du pouvoir d’achat des ménages associée à leur volonté d’augmenter leur niveau d’épargne[1]. Notamment, la grande distribution souffre et les enseignes implantées dans les zones commerciales comme C&A, Camaïeu, Go Sport, André, Kookaï, Célio, Burton, Damart, la Halle et Orchestra sont sévèrement touchées. Le 18 février 2023, San Marina a fermé ses 163 magasins. Le problème dépasse largement la distribution habillement & chaussures. D’autres secteurs comme l’ameublement (Conforama, Alinéa) et la restauration (Courtepaille, Flunch) déjà fragilisée par les confinements successifs montrent des signes de fragilité.

 

Pourtant le e-commerce continue de se développer 

Les relations établies entre la baisse du pouvoir d’achat, la volonté de hausser le niveau de l’épargne de précaution, et la baisse de la consommation sont certainement pertinentes. Cependant, elles conduisent à passer sous silence les modifications profondes des habitudes d’achat des Français. Heureusement, le dernier rapport Médiamétrie permet d’entrevoir ce qui est en train de se passer.

Suivant ce rapport, 45 millions de Français surfent chaque jour sur Internet, 42 millions d’entre-eux effectuent régulièrement des achats sur le net. Le temps de connexion moyen est de 2h18 par jour, à peine moins que durant les périodes de confinement. Les gérants de salles de cinéma ont été les premiers témoins de cette mutation casanière de nos compatriotes : les salles de cinéma se désertifient et les plateformes de VOD se multiplient. Le phénomène gagne d’autres secteurs d’activité et les sites de livraison food, le quick commerce et le VTC séduisent chaque mois près de 9 millions d’internautes, une progression de 25% par rapport à la période pré-Covid. Casaniers dans leurs vie quotidienne, les Français utilisent massivement le net pour organiser leurs voyages. Les sites de voyage accueillent 47 millions de visiteurs chaque mois.

Le nombre de visiteurs de sites liés aux préoccupations écologiques (calculettes carbone, maîtrise de sa consommation énergétique, reforestation, achat de panneaux solaires…) a augmenté de 52% en un an. D’autre part, près d’un tiers des Français visitent chaque mois les sites censées les aider à sauvegarder leur pouvoir d’achat (Hard discount ou mode de seconde main).

Le e-commerce continue de gagner des parts de marché. Alors qu’il ne représentait que 9.8% du commerce de détail en 2019, sa PDM s’est élevé à 13.4% en 2021, puis 14.1% en 2022

Le secteur de la mode et de l’habillement est le premier marché de e-commerce en France. Les ventes d’habillement représentent 34 % des achats en ligne et affichent une progression annuelle de 20% (2021/2020). Leur croissance n’est certainement pas étrangère aux difficultés rencontrées par les distributeurs traditionnels évoqués plus haut. En 2021, plus d’un acheteur en ligne sur 2 affirme avoir effectué au moins un achat de prêt-à-porter au cours de l’année, contre 41 % pour des produits culturels et 38 % pour des jeux/jouets.

Les marketplaces continuent de gagner en popularité en France, représentant 49% du volume d’affaires total du e-commerce en France en 2021. Amazon pèse à lui seul 20% du commerce en ligne.

La plateformisation de la distribution tend à s’imposer car elle réduit drastiquement les coûts de transaction supportés par les consommateurs. Ceux-ci accèdent en un clin d’œil à la totalité des offres présentes sur le marché et peuvent, sans effort, comparer les caractéristiques des produits et les qualités des vendeurs. Également, la plateformisation profite aux commerces de niche et aux micro-entrepreneurs qui bénéficient, grâce à leurs adhésions à des plateformes numériques d’une meilleure visibilité et d’un accès à un marché plus important. Les plateformes est alors semblable à un archipel regroupant une myriade d’ilots que les visiteurs peuvent explorer. Enfin, le commerce en ligne présente des charges d’exploitation plus faibles que la distribution traditionnelle. Il permet de découpler les pics de fréquentation des clients, toujours difficile à prévoir, de la présence du personnel conduisant à une réduction des frais de personnel. Implantés loin des centres-villes ou des galeries marchandes les coûts liés aux locaux commerciaux sont également moins importants. Ainsi, les e-commerces présentent des charges fixes plus faibles que les commerces traditionnels et le seuil de rentabilité des premiers est donc inférieur à celui des seconds.

Les enseignes traditionnelles du mass-market sont donc attaquées frontalement par un modèle d’entreprises commercialement et comptablement plus efficient. A ce moment de notre exposé la tentation est grande d’évoquer le concept de destruction créatrice popularisé par Schumpeter. Si on suit cette voie, les problèmes actuels du mass-market ont moins à voir avec la crise qu’avec la fin d’un modèle de distribution supplanté par une forme répondant mieux aux attentes des consommateurs et économiquement plus efficient.

[1] En janvier 2023, la collecte d’épargne par le livret A s’est accrue de € 9,3 mds pour atteindre un nouveau record historique de € 385 mds.

Tribune rédigée par Eric BRAUNE – Professeur associé – INSEEC Bachelor, Pascal MONTAGNON – Directeur de la Chaire de Recherche Digital, Data Science et Intelligence Artificielle – OMNES EDUCATION

 

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