Rechercher

La politique fiscale soutient-elle l’économie circulaire ?

économie circulaire
Seuls 8,6 % de l’ensemble des matériaux extraits et utilisés sont réintégrés dans notre économie. | Source : Getty Images

L’économie circulaire pourrait s’éloigner du modèle linéaire « prendre-fabriquer-jeter » au profit d’un système où les produits et matériaux sont réutilisés dans de nouveaux cycles. Bien que l’on commence à se concentrer sur une plus grande utilisation des ressources et sur la réduction des déchets, seuls 8,6 % de l’ensemble des matériaux extraits et utilisés sont réintégrés dans notre économie.

 

La transition vers l’économie circulaire figure en bonne place dans l’agenda politique de nombreux pays, comme en témoignent la récente loi américaine sur le climat (2022 Inflation Reduction Act) et le pacte vert pour l’Europe. Si des engagements juridiques explicites pour lutter contre le changement climatique sont essentiels pour promouvoir des pratiques commerciales durables, il est tout aussi important de s’assurer que l’adoption de modèles commerciaux circulaires n’est pas volontairement entravée par des règles juridiques antérieures, conçues lorsque le changement climatique n’était pas considéré comme une préoccupation majeure.

Les législations fiscales ont été rédigées il y a plusieurs dizaines d’années dans un monde de chaînes d’approvisionnement linéaires où les matières premières étaient extraites, transformées en produits et finalement jetées comme déchets. L’origine de la taxe sur la vente aux États-Unis remonte à la Grande Dépression. Les règles de l’Union européenne (UE) en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ont été promulguées pour la première fois en 1967. Bien que l’UE et les États-Unis aient apporté de nombreux changements à leur législation sur la fiscalité indirecte, l’adaptant aux réalités du commerce électronique et de l’économie numérique, pratiquement aucune réforme fiscale n’était directement liée à la question du changement climatique. À l’heure où les entreprises adoptent des modèles d’économie circulaire en recourant à des stratégies telles que le produit en tant que service, l’allongement de la durée de vie des produits ou la conception en vue du recyclage, il convient de vérifier si cette transition ne les exposera pas à des risques fiscaux et à des coûts de conformité supplémentaires.

 

Le produit en tant que service

Dans une approche du type « produit en tant que service », une société loue des produits à ses clients plutôt que de les vendre. Le passage de la propriété au service incite à la conception de produits écologiques et à l’utilisation plus efficace des produits, ce qui réduit la consommation de ressources naturelles. La location et le crédit-bail sont courants dans l’industrie automobile depuis des années, mais ils sont en train de gagner du terrain dans d’autres secteurs également. Par exemple, Stripe a constaté une augmentation de 550 % de l’argent dépensé pour la location de vêtements, d’équipements et d’outils au cours des trois premiers trimestres de 2022 par rapport à la même période en 2019. Néanmoins, les baux et les locations où aucun transfert de propriété n’a lieu peuvent créer des obligations fiscales supplémentaires.

En vertu de la législation américaine sur la taxe sur la vente, le fait de posséder un bien dans un État peut immédiatement créer un véritable lien fiscal pour le loueur et déclencher une obligation d’enregistrement de ladite taxe. En revanche, les ventes à distance réalisées par un vendeur hors de l’État créent un lien économique si certains seuils monétaires et quantitatifs sont dépassés. Dans la plupart des États américains, le bailleur est tenu de collecter et de verser la taxe sur la vente directement sur les paiements récurrents du locataire. Toutefois, dans certains États, comme le Maine, le bailleur doit payer la taxe sur la vente sur l’achat du bien en amont, alors que les paiements de location ne sont pas soumis à la taxe. Il existe également d’autres États (Californie, Nevada, Michigan) qui permettent aux bailleurs de choisir de verser la taxe sur les prix d’achat qu’ils ont payés pour acquérir le bien ou de percevoir la taxe sur les loyers. En outre, certaines juridictions locales imposent leurs propres taxes sur les locations et les baux. Par exemple, la ville de Chicago impose sa propre taxe de 9 % sur les transactions de location de biens personnels. Cette taxe s’ajoute à celle fédérale qui doit être payée par le bailleur lors de l’achat du bien.

Au sein de l’UE, bien que le crédit-bail ou la location de biens meubles soit généralement traité comme une prestation de services, certains pays comme l’Irlande ont adopté des dispositions relatives à l’utilisation et à la jouissance qui, dans certains cas, peuvent annuler les règles habituelles et déplacer le lieu d’imposition vers le lieu où le bien est effectivement utilisé. Les règles en matière d’utilisation et de jouissance sont connues pour leur complexité et varient selon les pays.

Tant aux États-Unis qu’au sein de l’UE, il peut exister des règles spéciales pour les locations de moyens de transport, les locations à court terme et les « contrats de location-achat » grâce auxquels le client acquiert la propriété du produit à la fin du bail. Si le bailleur fournit des services supplémentaires (installation et maintenance) dans le cadre d’un contrat unique, il convient de déterminer si ces services sont accessoires au contrat de location ou s’ils sont indépendants et disposent de leur propre traitement fiscal.

 

L’extension de la durée de vie des produits

Les modèles d’extension de la durée de vie des produits ralentissent le flux des matières premières dans l’économie, réduisant ainsi le taux d’extraction des ressources et la production de déchets. Lorsqu’il s’agit de prolonger la vie ou l’utilisation d’un certain produit, les deux approches habituelles sont la revente et la réparation.

Dans un modèle de revente, la chaîne d’approvisionnement devient une boucle. Une entreprise vend des biens à un consommateur, les rachète, puis les revend à nouveau avec une remise. Chaque fois que le produit est revendu, une taxe est perçue. Pour éviter l’accumulation de taxes sur un même produit, les entreprises de l’UE peuvent utiliser un système de marge leur permettant de comptabiliser la TVA sur la différence entre le prix de vente et le prix de rachat. Si le prix de vente est inférieur au prix d’achat, aucune taxe n’est due. Toutefois, les coûts associés à la préparation du produit en vue de sa revente (par exemple, la réparation ou l’entretien) ne sont pas pris en compte dans le calcul de la marge.

La réparation génère de la valeur pour le consommateur lorsqu’un produit peut être réparé et conserver des fonctionnalités satisfaisantes pour un coût nettement inférieur à celui de l’achat d’un produit neuf. De nombreux pays de l’UE appliquent des taux de TVA réduits à divers services de réparation afin de les rendre plus abordables. Aux États-Unis, les services de réparation peuvent être taxés ou exonérés de la taxe sur la vente, en fonction de nombreux facteurs. Par exemple, en Floride, les services de réparation nécessitant uniquement de la main-d’œuvre sont exonérés de taxe, mais les transactions nécessitant à la fois de la main-d’œuvre et des matériaux pour la réparation de biens meubles corporels sont taxables. L’inconvénient majeur pour les entreprises de réparation basées en Floride est qu’elles doivent payer la taxe sur tous les matériaux achetés qui seront utilisés durant le processus de réparation, alors même qu’ils ne feront pas partie du bien réparé. La taxation des intrants commerciaux augmente le coût de l’activité et place les fournisseurs de services de réparation dans une situation de désavantage concurrentiel par rapport à ceux qui sont situés dans des États qui n’appliquent pas de telles taxes.

 

La conception en vue du recyclage

La conception en vue du recyclage vise à maximiser la possibilité de récupérer les matériaux pour les utiliser dans de nouveaux produits. Malgré les avantages environnementaux évidents, les produits fabriqués à partir de matériaux recyclés sont taxés de la même manière que ceux fabriqués à partir de ressources nouvelles extraites. Plusieurs entreprises et ONG ont demandé aux gouvernements d’introduire des taux de TVA réduits pour les produits respectueux de l’environnement afin d’inciter à la consommation.

Bien que cela puisse sembler une bonne mesure pour renforcer l’économie circulaire, des études économiques (Institute for Environmental Studies, Copenhagen Economics) ont remis en question l’utilisation de taux de TVA réduits pour augmenter la consommation de produits « verts » pour plusieurs raisons. Premièrement, les réductions de taux de TVA n’affectent le comportement des consommateurs que si elles sont répercutées sur ces derniers. Or, les données empiriques suggèrent que cela se produit rarement et qu’il n’est pas possible d’obliger les entreprises à répercuter sur leur tarif ces réductions de taux de TVA. Par ailleurs, cette mesure est générale, ce qui signifie qu’elle profite également à ceux qui auraient pu acquérir des produits respectueux de l’environnement sans cette incitation financière. Pour ceux dont les ressources financières sont plus limitées, la différence de taux doit être significative pour avoir un effet réel sur la consommation. Enfin, le traitement préférentiel de certains produits peut entraîner des litiges concernant la classification des produits, ce qui accroît la complexité de l’ensemble du système fiscal et le rend vulnérable aux abus.

 

Conclusion

La mise en place de chaînes d’approvisionnement durables à grande échelle nécessite non seulement une nouvelle infrastructure technologique, mais également une nouvelle approche de la gestion des questions fiscales. Les entreprises qui adoptent des modèles commerciaux circulaires doivent savoir que, d’un point de vue fiscal, les modèles de prestation de services sont plus complexes que les ventes traditionnelles. Bien que de nombreuses sociétés réclament des taux d’imposition réduits pour les produits durables et les considèrent comme un élément clé de l’économie circulaire, les taux réduits ne sont peut-être pas la mesure politique la plus efficace pour inciter à l’utilisation de produits durables.

 

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles des organisations auxquelles l’auteur est affilié.

 

Article traduit de Forbes US – Auteure : Aleksandra Bal

<<< À lire également : Back Market : la start-up française la plus valorisée souhaite créer une économie circulaire pour la technologie >>>

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC