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La numérisation de la procédure pénale, l’enjeu de la justice de demain

La numérisation des services publics est un enjeu fondamental pour l’efficacité de l’action publique, pour la confiance des administrés dans les institutions et pour la fluidité du travail de l’administration. Cependant, si la législation a largement fait évoluer la doctrine de l’utilisation des données numériques en France, des lourdeurs demeurent et la France peine à faire émerger un cadre légal et règlementaire clair.

La numérisation couvre à la fois la dématérialisation des procédures et actes administratifs, la gestion des données numériques des administrés mais également les relations entre les autorités publiques elles-mêmes.

Chaque ministère propose aujourd’hui son programme de dématérialisation, parfois insuffisamment ambitieux, notamment au regard de la multiplication des données numériques dans l’espace public. Dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi), le ministère de l’Intérieur a par exemple entériné la fusion des différentes directions du ministère en charge des questions numériques, afin de rationaliser leur travail. Le ministre, enfin, n’a cessé de souligner le fait que la moitié des 15 milliards d’euros supplémentaires, affecté à la place Beauvau, viendrait soutenir la digitalisation du ministère.

La numérisation des ministères de l’Intérieur et de la Justice, un jeu d’efficacité de la procédure pénale

Les évolutions légales et règlementaires de ces dernières années constituent indéniablement des avancées mais il convient d’aller plus loin concernant un certain nombre de questions, notamment lorsqu’elles affectent directement le travail de plusieurs ministères. C’est particulièrement vrai dans le domaine de la procédure pénale, où se côtoient le ministère de l’Intérieur et de la Justice. Le lien police-justice souffre aujourd’hui d’un certain nombre d’insuffisances qui viennent affecter l’efficacité du travail des juridictions et qui pèsent sur la légitimité des deux ministères.

L’usage des preuves vidéo illustre très justement ces difficultés. En effet, ce type de preuve n’est aujourd’hui utilisée que de manière très anecdotique par les pouvoirs publics. L’ouverture de la possibilité, pour les forces de l’ordre, de recourir aux caméras-piétons, aux caméras embarquées et aux drones, par les lois sécurité globale de 2021 et sécurité intérieure de 2022 va pourtant entrainer la multiplication des vidéos captées durant les opérations. Or, ces preuves vidéo auront vocation à être partagées, en cas de litige, avec les services du ministère de la justice. L’absence d’une règlementation harmonisée ne favorise pas le développement d’une réponse efficace.

Les ministères de l’Intérieur et la Justice ont entamé, depuis janvier 2018, des efforts considérables pour répondre à ces difficultés, en mettant en place le programme interministériel « Procédure pénale numérique » (PPN). L’enjeu majeur de cette démarche est de rendre la justice pénale plus efficace en la modernisant, grâce à l’abandon du papier et de la signature manuscrite, depuis la plainte jusqu’à l’exécution de la peine et de rapprocher la justice des citoyens en améliorant les informations qui leur sont transmises sur les suites de leur plainte. Elle vise ainsi à dématérialiser tant les échanges entre l’autorité judiciaire et les services enquêteurs, pour le cœur de la procédure pénale (grâce notamment à la production et à l’échange de documents nativement numériques), que l’ensemble des échanges entre les acteurs de la chaîne pénale (qui sera accompli par l’intermédiaire de flux de données). Des expérimentations de la première version de la PPN, intitulée PPN Lab, ont été lancées dans les ressorts des tribunaux de grande instance d’Amiens et de Blois. La PPN devrait ainsi être mise à disposition de l’ensemble des juridictions du territoire métropolitain dans les années à venir.

 

Aller plus loin dans l’utilisation des preuves numériques  

Les efforts des deux ministères semblent aujourd’hui se concentrer sur la suppression des formulaires papier et la numérisation des démarches administratives. La question du traitement des preuves numériques risque dès lors de constituer un angle mort qu’il convient à tout prix d’éviter. En effet, avec la multiplication des preuves numériques provenant des caméras-piétons, de la vidéosurveillance et des smartphones du grand public, la police et le système judiciaire doivent s’adapter. Les nouvelles technologies permettent déjà de répondre aux exigences actuelles du maintien de l’ordre et de bénéficier au système judiciaire. A titre d’exemple, la London Metropolitan Police au Royaume-Uni a révélé, dans une étude de 2018, une hausse de nombre de plaider-coupable précoces par les suspects, dès lors qu’ils pouvaient visionner les preuves vidéo au moment des interrogatoires. Un état de fait qui a non seulement fait réaliser des économies aux tribunaux, mais qui a également permis de renforcer la confiance des agents qui passent désormais plus de temps sur le terrain.

Il serait opportun, que les vidéos captées, par les caméras-piétons par exemple, puissent être récupérées rapidement par les enquêteurs de plusieurs secteurs pour certaines affaires. Pourtant, elles sont encore stockées en local. Une décentralisation qui accentue également le flou autour de la traçabilité des accès à ces formats de preuves que la CNIL régule et empêche la possibilité de faire des statistiques. Alors comment faire pour que non seulement les agents puissent les utiliser mais aussi que ces preuves soient prises en considération plus rapidement et facilement par la justice ?

Une idée consisterait à centraliser les procédures judiciaires qui contiennent des preuves au format numérique, par exemple en créant une plateforme de partage logicielle commune entre le Ministère de la Justice et de l’Intérieur. Un des bénéfices directs d’une telle initiative serait la rapidité de traitement des affaires judiciaires qui comportent des preuves vidéo mettant en évidence le flagrant délit, comme l’illustre l’étude mentionnée précédemment. Un autre bénéfice direct concerne les statistiques de gravure de disques et les budgets clés USB des différents commissariats. En s’équipant d’une solution cloud, la police régionale de Durham, au Canada, a économisé près de 56 000$ en fournitures et environ 3 500 heures de travail. Il faut compter entre 5 et 30 min de temps de travail d’un agent par disque gravé et apporté en mains propres au parquet, lorsque les transferts par le Cloud ne prennent que quelques secondes.

De fait, il ne suffit pas que le Ministère de l’Intérieur modernise ses infrastructures ; l’effort doit être conjoint au Ministère de la Justice. Si la justice utilise davantage les outils numériques, et exige systématiquement le partage des preuves vidéo, alors les forces de l’ordre devront moderniser le traitement qu’ils en font de manière agile et sécurisée. Sans cela, les agents des forces de l’ordre n’utilisent pas pleinement les avantages des technologies vidéos qui pourraient faciliter leur travail et donc leur permettre de mieux servir aussi bien les citoyens que la vérité des faits.

Tribune rédigée par Cathy Robin et Christophe Thibault, Axon France

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