A chaque élection, l’emploi industriel revient sur le devant de la scène. Lors de la campagne présidentielle américaine, le candidat républicain avait pointé un doigt accusateur vers la Chine et le Mexique. En France, ce point a déjà été soulevé à de nombreuses reprises et ne doutons pas que d’ici au 23 avril, date du 1er tour de l’élection, le thème va être rebattu.
Un rôle historique dans la croissance des revenus
L’accent mis sur l’industrie est simple à comprendre. Les gains de productivité au sein d’une économie se font essentiellement dans ce secteur. La période des trente glorieuses en France a été celle de l’industrie. La croissance de l’industrie s’accompagne de taux de croissance de l’économie très élevés et d’une création de revenus très importante.
L’économie des pays industrialisés s’est progressivement déplacée vers les services car l’amélioration des conditions de vie et la hausse des revenus poussent à une demande différente.
Il y a eu aussi un changement du côté de l’offre.
La production s’est délocalisée, depuis une vingtaine d’années, vers des pays à coûts plus réduits, principalement l’Asie. Il s’agissait aussi d’une région où le potentiel de croissance était élevé. La hausse du poids de l’économie de l’Asie dans l’industrie mondiale traduit ces deux phénomènes. L’économie s’y est délocalisée d’abord, puis un marché s’y est développé rapidement de telle sorte que la production a aussi servi la demande locale. Une nouvelle géographie de la production mondiale s’est ainsi progressivement dessinée. Depuis les années 90, le cadre de l’économie globale a changé de façon radicale donnant aux pays émergents un poids nouveau. Dans un livre récent, Richard Baldwin date de cette période le moment où le poids de l’activité des pays du G7 dans le monde diminue en continu au profit en grande partie de l’Asie.
L’autre remarque sur l’offre est que l’érosion de l’emploi industriel commence bien avant cette rupture. Les innovations et l’automatisation dans la fabrication des biens manufacturiers ont progressivement modifié le partage entre emploi et capital dans la fonction de production du secteur industriel. Cela date du début des années 80.
Pourquoi reparler d’emploi industriel ?
Depuis la crise de 2008/2009 la croissance des pays développés est réduite. Aux USA, depuis le point bas du cycle au 2ème trimestre 2009, l’activité mesurée par le PIB n’a augmenté en moyenne que de 2.1% par an, ce qui est bien au-dessous de tous les cycles d’après-guerre. En France, depuis 2011, la croissance annuelle moyenne n’a été que de 0.7% (à la fin du 3ème trimestre 2016). On comprend bien l’appel vers l’industrie pour retrouver une allure de croissance plus solide et plus élevée.
Pourtant, il parait peu probable que l’on revienne vers cette période d’après-guerre tant aux USA qu’en Europe.
La dynamique de l’activité se développe maintenant principalement en Asie avec la Chine comme leader incontesté. Quelles pourraient être les incitations à mettre en œuvre pour que ces activités se relocalisent dans les pays développés? Pour des secteurs pour lesquels la production se fait à grande échelle, l’avantage des coûts et du développement du marché ne plaident pas pour un retour aux USA ou en Europe.
Les pays développés, sur l’industrie, doivent alors s’orienter vers des productions à forte valeur ajoutée avec un contenu innovant fort. Cela redonnerait un avantage comparatif aux pays occidentaux. Cela ne créerait probablement pas beaucoup d’emplois car la production ne se fait pas sur une échelle à la hauteur des attentes.
Un peu de nostalgie
De ce point de vue, il y a dans les discours tant aux USA qu’en France une sorte de nostalgie des cols bleus. Dans les années 50 et 60 les sorties d’usine faisaient la joie des photographes avec un flux massif de personnes qui, épuisées, rentraient chez elles. Cette période-là est révolue, on ne la retrouvera plus. N’imaginons pas que même si l’industrie se redéveloppe il y aura avec elle le retour de l’emploi industriel tel qu’on l’observait dans les années 60. C’est fini. L’industrie aujourd’hui dégage d’importants gains de productivité mais elle n’embauche plus beaucoup. L’effet d’innovation déjà évoqué s’est prolongé avec une accentuation du poids du capital au détriment du travail. Forcer les entreprises à maintenir un poids important du travail, ce serait réduire drastiquement les incitations pour une entreprise à développer son activité. Ce serait donc contre-productif. L’activité industrielle ne pourra se redévelopper dans les pays industriels qu’avec un poids réduit pour l’emploi.
La question de redistribution des gains de productivité
Cela pose d’ailleurs une autre question. Dans les années 60, les gains de productivité étaient distribués en salaires pour les cols bleus. Aujourd’hui ces gains peuvent aller en baisse de prix pour le consommateur et/ou en rémunération pour le capital. Cela change toute la problématique que l’on associe à cette nostalgie de l’industrie. Celle-ci n’a plus les mêmes vertus que par le passé. L’appropriation des gains de productivité contribue aux inégalités dans la distribution des revenus posant un autre type de questions.
Développer un nouveau modèle
Le retour vers l’emploi industriel est probablement une nécessité car il faut trouver les moyens d’accroître les gains de productivité, mais c’est aussi un souhait marqué d’une grande nostalgie. Le modèle des pays industrialisés est probablement encore à inventer car le cœur de la croissance mondiale ne passe plus par l’Atlantique, et parce que l’industrie ne sera plus un pourvoyeur majeur d’emplois. Il est inutile aussi dans ce cadre de montrer du doigt tel ou tel pays et de mettre en place des mesures contraignantes. Cela serait très coûteux en termes de croissance et de développement. Un ordinateur que l’on ne sait pas fabriquer à grande échelle en Europe reviendrait trop cher par rapport à une fabrication chinoise alors que c’est un bien vital au développement. Le jeu n’en vaut pas la chandelle et c’est pour cela qu’il faut profiter des innovations qui se développent pour être encore plus forts dans les services.
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