Le conflit entre TCI et Safran sur le projet d’offre publique lancé sur Zodiac Aerospace présente le mérite de rouvrir le débat sur la démocratie actionnariale et l’activisme en France. Et de souligner que les arguments qui ont jusqu’alors été avancés pour refuser aux actionnaires de se prononcer sur des projets d’acquisition significative sont injustifiés. Il présente aussi l’occasion de se pencher sur la question du traitement égalitaire des actionnaires dont la société est visée par une offre.
Petit rappel des faits
TCI Fund est un fond d’investissement qui détient 5% du capital du géant de l’équipement d’avion, Safran. Il se prononce en défaveur du rachat de Zodiac Aerospaces et l’a fait savoir dans une missive envoyée à la Présidence du Conseil d’administration du motoriste français.
Les arguments avancés par le fond : un cœur de métier très solide, qu’il ne serait pas justifié de diluer dans une diversification ; une offre de prix trop élevée, de près d’un tiers, pour un Zodiac surévalué, endetté et dont les performances futures ne seraient pas à tous les coups réalisables ; des synergies ainsi qu’un retour sur investissement trop faibles, même dans le meilleur des cas quant au rétablissement de Zodiac ; et enfin, un endettement successif au rachat qui empêcherait les futurs investissements en recherche, nécessaires à la bonne marche du groupe. D’autant plus que Zodiac a un passif important, avec de potentielles pénalités à payer sur des retards de livraison. Bref, pas une bonne affaire pour le fonds au 5% selon TCI.
Au delà de ce désaccord, le fonds dénonce le manque de démocratie au sein de l’entreprise, arguant que l’opération a été conçue et programmée afin d’être finalisée avant d’être présentée aux actionnaires en assemblée générale. Si l’action est bonne, les actionnaires devraient logiquement voter pour, donc pourquoi ne pas vouloir de leur consentement ?
Les actionnaires ne sont pas des imbéciles
Les règles actuelles privent les actionnaires du pouvoir de se prononcer sur des acquisitions, quelle que soit leur taille. Actuellement, le lancement de l’offre publique par Safran -et de manière plus générale, une décision d’acquisition – relève bien de la compétence de la direction et du conseil d’administration. Les actionnaires n’ont pas à être consultés ni à donner leur accord, quels que soient la taille de la cible, son prix ou l’impact de l’acquisition sur la physionomie de l’acquéreur.
S’il existe bien une consultation des actionnaires en assemblée générale pour des cessions dites significatives – une bonne conduite prônée par l’AMF, la recommandation exclut de cette autorisation préalable les acquisitions, alors même qu’elles seraient substantielles.
Pourquoi empêcher les actionnaires de se prononcer sur le sujet ? On rétorquera que si ceux-ci sont mécontents de l’acquisition, ils peuvent toujours révoquer les dirigeants. Ce qui revient à dire que les actionnaires seraient à la fois assez intelligents pour apprécier et décider de cette révocation mais ne le seraient plus assez pour lorsqu’est concerné un projet d’acquisition !
En outre, refuser ce pouvoir aux actionnaires va à l’encontre de l’extension de la démocratie actionnariale. Pourquoi, au moyen du say on pay, confier aux actionnaires le droit de bloquer la rémunération des dirigeants mais, dans le même temps, leur refuser celui de se prononcer sur un projet d’acquisition ?
Pas pour une histoire de montants engagés. Concrètement, pour reprendre l’exemple de Safran, les actionnaires peuvent se prononcer sur les rémunérations du président du conseil d’administration et du directeur général -dont le montant cumulé en 2015 s’élevait à moins de trois millions d’euros- mais pas sur celui de l’acquisition de Zodiac Aerospace -dont le prix, pour la partie en numéraire susceptible d’être apportée à l’offre, excède 5,5 milliards. (soit environ 20% de la capitalisation boursière de Safran à la date de l’annonce de l’opération).
Puis, le regard vers l’étranger nous éclairerait aussi davantage: de nombreux pays prévoient déjà un vote des actionnaires sur ce type de projet qu’il soit payé en numéraire ou en actions.
Pour ne prendre qu’un exemple, au Royaume-Uni, toute acquisition qui satisfait au test dit de « Class 1 », c’est-à-dire où la contrepartie (quelle que soit sa forme) excède 25% de la capitalisation boursière de l’acquéreur, doit être approuvée par les actionnaires. Et ça n’a jamais nuit à ces sociétés dans un cadre international.
Il serait donc temps que la France abandonne sa vision réductrice de l’activisme actionnarial. Pour se faire, il faudrait, dans ce domaine, une révolution : privilégier le fond (l’importance de l’opération pour la société et ses actionnaires) sur la forme (faire bouger ce qui est, par principe prétendument immuable du droit des sociétés).
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