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La crise sanitaire a-t-elle définitivement tué la musique ?

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Source : GettyImages

La mort annoncée de la musique n’est plus tout à fait nouvelle. On se souvient de la fermeture des magasins de disques (qui renaissent), on se souvient de la mort annoncée du CD (pas mort du tout !). Beaucoup annonçaient également la fin des artistes faute de rémunération suffisante…même après un an de pandémie, l’industrie de la musique se porte mieux que jamais. Que se passe t-il pour que ce que l’on croyait totalement révolu voire même disparus renaisse de ses cendres ? En fait, il y a un processus de transformation. 

 

Dans le monde, avant la crise sanitaire, de 2007 à 2019, on pouvait déjà observer au niveau de la production que les Majors perdaient la moitié de leur Chiffre d’Affaires. En effet, cette décennie a en fait été celle de la transformation du secteur. De nouveaux acteurs de la production jusqu’à la distribution apparaissent. Un exemple : Beleive, une entreprise française spécialisée dans l’accompagnement des artistes et des labels. Elle possède plusieurs marques de distribution et des labels dont TuneCore, Groove Attack, Believe Distribution, AllPoints, Naïve, et Nuclear Blast. Coté distribution pure, on voit apparaître des acteurs comme Spinnup, plateforme de distribution musicale détenue par Universal Music Group. Ces nouveaux acteurs challengent les Majors mais aussi se font souvent racheter pour les meilleures d’entres-elles. Ici, le mot « qui sonne » est celui de streaming. Comme dans le Cinéma, les plateformes de streaming se posent en grandes concurrentes de la distribution traditionnelle. Ils s’appellent Spotify, Deezer, Apple Music pour les plus connues mais des plateformes indépendantes émergent de toute part : Le streaming par abonnement illimité prend la succession des ventes numériques à l’unité qui ont connu leur âge d’or avec Itune. Depuis 2016, ce n’est plus d’ailleurs le physique (vignyle et CD) qui rapporte de l’argent à la troisième major mondiale de la musique (Warner Music Industry), mais le streaming. Pour les meilleures d’entres-elles, la logique serait celle d’être rachetées par les Majors mais l’inverse est aussi possible car ce sont aussi des concurrentes sur la production. Ils s’appellent aussi Amazon Music Limited et là, la trésorerie est bien plus conséquente.

Et si les Majors comme Universal Music (France), Sony (Japon), Warner (Russo-Américain) allaient être rachetés par certaines plateformes ? Le streaming tout puissant pourrait-il dominer les traditionnels acteurs historiques. Probablement pas ou pas encore. Sony par exemple est le nouveau géant du streaming et vient de racheter une plateforme pour 1,2 milliards de dollars. Warner music a racheté EMI France et deezer le français. Les majors semblent encore dominer les plateformes en termes de taille des rachats, en tout cas elles sont dans une stratégie offensive. Trois sociétés, Warner Music group (18% de parts de marché en 2017), Universal Music Group (30%) et Sony Music Entertainment (27%), contrôlent, à elles seules, 80 % du catalogue mondial des artistes présents sur les plates-formes. Portée par le succès de Spotify, la première major de la musique, Universal, a même réalisé une introduction en bourse. Elle serait valorisée à 40 milliards de dollars d’après Les Echos. Sony Music vaudrait 20 milliards de dollars et Warner 15 milliards. Des géants financiers donc portés par des plateformes de streaming ? Car ces Majors auraient pu disparaître du fait d’une crise de plus de 10 ans qu’elles n’ont pas vu venir, après avoir profité d’un monopole sans commune mesure. La fin du CD et l’arrivée d’Internet. En effet, on a coutume de dire qu’une perte de 5% du chiffre d’affaire d’une industrie, c’est déjà une catastrophe. Avec le piratage , l’industrie de la musique aurait perdu 60% de Chiffre d’affaire ! Warner Music a même dû supprimer 30% de ses effectifs. Finalement, elles se sont adaptées dans la défensive au début, à l’offensive progressivement car elles détenaient « le pétrole de la musique » si précieux que les autres n’ont pas : le métier et la qualité des artistes !!! Des valeurs sûres dans la durée sans exception. On a certes joué petit jeu en limitant les copies sur Internet avec des technologies particulières. C’était surtout début des années 2000. Puis, les nuages ont disparu et le soleil a de nouveau brillé grâce à une idée prodigieuse : En 2007 quand arrive Deezer, le « premier site gratuit et légal d’écoute de musique », les majors, qui avaient anticipées le modèle de l’illimité par abonnement (comme Universal avec Neuf Cegetel), acceptent de fournir leur catalogue d’artistes comprenant les plus grandes stars. Elles s’ouvrent, mais posent des conditions ! Les sociétés de streaming doivent s’engager, à terme, à faire payer les utilisateurs via une offre d’abonnement ! et ce mode de consommation deviendra l’avenir, porté par l’arrivée des smartphones et l’amélioration du réseau Internet. Les majors remportent le pactole. Pour obtenir les licences des trois mastodontes qui détiennent les chansons des plus grandes stars, les plates-formes de streaming acceptent de céder des parts de leur entreprise, des options convertibles en action de Deezer d’une valeur de 200 millions d’euros en 2015 à se partager et des actions Spotify d’une valeur de plusieurs milliards de dollars, lors de l’introduction en Bourse du suédois. Enfin :

  • Fini le temps où les artistes se pressaient devant le restaurant le « Boeuf sur le toit » dans le 8e arrondissement de Paris pour attirer un directeur artistique
  • Fini les radio-crochets et les maquettes…
  • Désormais, le bouche-à-oreille se fait sur Internet.

 

Les artistes sont capables d’enregistrer leurs morceaux dans leur chambre et de les diffuser directement sur les plates-formes de streaming.

Attention à la rémunération des artistes. Selon une étude commandée par le ministère de la Culture en 2017, les artistes perçoivent en moyenne 17,2 % du chiffre d’affaires net des producteurs. Pour ne rien arranger, certaines start-up comme le français Believe Digital se sont engouffrées dans la brèche, offrant aux artistes des services à la carte. Believe Digital a, d’ailleurs, racheté son concurrent TuneCore, société qui distribue les titres d’un artiste sur Internet moyennant un abonnement compris entre 10 et 30 euros par mois. L’intégralité des royalties va donc à l’artiste. Du coup, à l’aube du Covid, les Majors se sont de nouveau adaptées : en mars 2018, Warner Music a acquis Sodatone, une start-up fondée en 2016 censée prédire la viralité d’un artiste ou d’un titre grâce à l’analyse de données. Universal a racheté le concurrent suédois de TuneCore, Spinnup. On évoque même dans le milieu, sans trop y croire, un rachat pur et simple de Believe par l’un des trois grands. Les majors regardent attentivement ce que pourrait être la prochaine grande bataille. Spotify a commencé à signer des accords directement avec les artistes et à payer des avances, se passant ainsi des majors. Publiquement, Universal, Sony et Warner ne répliquent pas pour l’instant. Officieusement, les mesures de rétorsion auraient commencé. Finalement ce qui est sûr c’est que cela profite aussi aux artistes qui pendant quelques années ne pouvaient gagner de l’argent que via les concerts. Quand un titre est écouté 1000 fois sur Deezer il rapporte un peu plus de 6 euros à la maison de disque, au compositeur et aux interprètes. Mais une inégalité subsiste : pour les méga-stars, qui sont écoutées en boucles, les centimes finissent par faire des millions. Pour les artistes peu connus (ce qui ne contient aucune corrélation avec la qualité), les centimes restent des centimes. La musique va mieux mais elle ne fait pas vivre tous les musiciens.

Focus sur la France : En France sur la question de la distribution, depuis 2018, streaming et numérique en général forment la première source de revenu : 57% contre 43% en vente traditionnelle physique. Les chiffres étaient de 94% de physique en 2006 ! le nombre d’abonnés atteint déjà les 5,5 millions, avec une explosion des concerts vivants. Coté support, il ne faudrait pas croire cependant que le streaming est tout, FNAC et autres réseaux Physiques ont encore le CD et certains parlent même d’un retour du vinyle. En 2019, juste avant la crise sanitaire, le marché de la musique avait atteint un chiffre d’affaires de 735 millions d’euros, en croissance de 5,4% par rapport à 2018. Reste que ce chiffre est très nettement en dessous de celui de 2002, 1432 millions d’euros, 44% du CA de 2002. Le numérique et les ventes physiques pèsent 625 M d’€. La part du numérique (streaming et internet à l’unité) a augmenté de 18,6% pour atteindre 395M d’€ tandis que celle du physique a diminué de 10% mais reste significative à 230M d’€. Depuis 2017 d’ailleurs, les ventes numériques sont la première source de revenu de la musique enregistrée et c’est 63% du chiffre d’affaires du marché musical. Ici, le streaming c’est 93% de ce segment, en progression constante donc depuis 10 ans, les revenus du streaming ont même augmenté de 23% en 2019. Les revenus issus du streaming sont généralement financés par de la publicité et des streaming video en augmentation de 43%. Le nombre d’abonnements a lui aussi connu une hausse importante avec plus de 15 millions d’abonnés en France en progression de 18,5%, les abonnements premium générant près de 80% des revenus du streaming et près de la moitié des ventes totales. Fait important pour la suite, en France, le streaming ne concerne plus uniquement les jeunes (même s’ils sont majoritaires) puisque 25% des plus de 55 ans utilisent les plateformes de streaming et 11% d’entres eux sont abonnés à ces plateformes. Même si les ventes physiques sont en baisse de 10%, elles génèrent encore 37% des revenus dans 4000 points de vente et grâce en partie au regain de la popularité du vinyle.

Enfin, a l’aube de la Covid, il y a les nouveaux pays de la Musique. Le marché brésilien, indien, ce n’est plus uniquement les Etats-Unis, l’Europe ou le Japon. Alors que Spotify souhaite se lancer en Inde, ces « big three » disent avoir « déjà des partenaires multiples et très forts sur ce marché », rapporte le site spécialisé Business Music Worldwide.

 

Il est qu’en parallèle à cela, la Covid a accéléré la transformation de la musique

La transformation de l’industrie qui s’amorçait déjà va en fait être amplifiée. Ici, il est clair que les tendances à l’œuvre sont amplifiées avec la crise de la Covid. On verra aussi émerger un certain nombre d’innovations qui sont autant de nouvelles opportunités pour adresser les nouveaux challenges comme la rémunération des artistes et de façon globale, l’émergence de nouvelles formes de musique dont les revenus seraient équitablement répartis. Ainsi, les majors embauchent dans de nouveaux métiers, notamment les datas (afin d’analyser les écoutes en ligne), l’intelligence artificielle ou encore la veille. Le but est de compenser ce rôle perdu dans la production par toute une gamme de services, notamment marketing, que l’artiste seul aurait bien du mal à gérer. Toujours dans cette logique, elles renforcent leur position dans le secteur de l’édition, c’est-à-dire l’exploitation des droits d’auteurs-compositeurs. Sony a ainsi annoncé prendre le contrôle de la société EMI Music Publishing et de son catalogue riche de plus deux millions de titres pour 2,3 milliards de dollars. Ainsi, l’année 2020, année noire de la Pandémie de Covid, voit le monde de la musique accélérer sa transformation. On voit naître progressivement la musique 4.0. La place de l’artiste est redéfinie, les artistes 4.0 et les producteurs 4.0, la diffusion 4.0 et même les salles de concert 4.0 comme les nouveaux festivals, tout cela va s’accélérer.

Côté distribution, depuis 2020, il semble que l’industrie de la musique se porte au plus haut ce qui peut paraître surprenant à  l’heure de la Covid. Le marché mondial de la musique enregistrée s’est accéléré avec une croissance de 7,4% pour un chiffre d’affaires de 21,6 milliards de dollars. Si la pandémie porte un coup fatal aux concerts, aux festivals, elle n’a donc en rien égratigné la musique enregistrée. Pour la 6ème année consécutive, le marché mondial a enregistré une croissance de 7,4%, certes en très léger replis par rapport à 2019 avec un chiffre d’affaires de 21,6 milliards de dollars (18,5 millions d’euros), la tendance de la décennie précédente n’a fait donc que se renforcer avec la crise de la Covid. Une croissance qui s’explique par le streaming en période de Pandémie et l’explosion des abonnements payants. Fin 2020, l’IFPI dénombrait 443 millions d’utilisateurs de comptes d’abonnements payants dans le monde. Les revenus du streaming à la fois payants et financés par la publicité ont eux aussi augmenté de 20% l’an dernier et 2/3 du chiffre d’affaires de la musique enregistrée. Quant aux ventes physiques, elles ont naturellement diminué de 4,7% à 4,2 milliards. Blinding Lights du canadien The Weeknd au synthé cristallin tout droit sorti des années 1980 a été streamé ou téléchargée 2,72 milliards de fois en 2020. La Pandémie c’est l’année du streaming par excellence. Le suédois N°1 mondial du streaming musical a annoncé une hausse importante du nombre de ses utilisateurs actifs et de ses abonnés payants. Ses utilisateurs actifs sont en hausse de 27% pour 345 millions à fin décembre 2020 tandis que les abonnés payant plus de 24% à 155 millions dans le monde. Même Apple Music et Amazon Music sont loin derrière. Et Spotify ? Alors certes, on peut déplorer une perte nette en 2020 à 581 millions d’euros contre 186 millions en 2019 du fait de hausse de charge d’exploitation et des charges sociales. Mais ce n’est qu’un leurre, le groupe réalise un CA de 7,9 milliards d’euros en hausse de 16,5% par rapport à 2019. Pour 2021, le groupe s’attend à une perte d’opération de 200 millions à 300 millions d’euros après un trou de 293 millions. Après avoir plus que doublé en un an, le cours de bourse de spotify a baissé de 6,7% à NY. A cause des prévisions de CA sur 2021. Mais grâce à son CA, il est quand même prévu une expansion internationale avec la récente ouverture des services du suédois dans une douzaine de pays dont la Corée du sud. 93 pays aujourd’hui. Un autre pilier de la croissance qui s’est accéléré, le nombre de podcasts a doublé par rapport à 2019 et concentre d’importants investissements comme en témoigne le rachat de Mégaphone début novembre 2020. Spotify proposait un accès gratuit à 2,2 millions de podcasts fin décembre 2020 contre 1,9 millions à la fin au 3ème trimestre. Le chiffre d’affaires publicité a d’ailleurs atteint l’an dernier 281 millions d’euros grâce à cette diversification toujours d’après les sources de l’IFPI.

 

Faire revivre la musique dans le monde de demain, l’exemple de la Blockchain et de l’intelligence artificielle

Finalement, face à l’importance de la digitalisation dans le monde de la musique, comment imaginer des technologies qui permettent de faire en sorte que tout le monde s’y retrouve, car le revers de la médaille est bien sûr l’équité dans la rémunération des artistes, mais aussi dans les revenus des Majors et des plateformes. Blockchain et Intelligence artificielle sont de la partie.

La blockchain tout d’abord : La blockchain permettrait de rétablir l’équilibre entre d’une part les artistes et compositeurs et ensuite les consommateurs finaux. Les revenus sont répartis entre les distributeurs et la maison de disque. Cette répartition dépendra de plusieurs données : nombre de diffusion radio, clic sur application Spotify ou Pandora, reprises, récoltes de données et calcul des revenus sont aux mains d’organismes de gestion collective, Ascap en France, BMI aux Etats-Unis. Les artistes sont en effet souvent dans l’incapacité de vérifier les données qui leur sont fournis par les intermédiaires. Ceci est partiellement dû à l’absence d’une source fiable, regroupant l’intégralité des données relatives à l’ensemble des morceaux disponibles. On peut prendre en compte ainsi la multiplicité des participants à une œuvre par exemple 6 personnes ont participé à la composition de la chanson « Dark Horse » de Katy Perry. Pour « Formation » de Beyoncée, 22. Alors l’effet pervers est effectivement que celui qui souhaitait utiliser l’œuvre à des fins commerciales doit maintenant négocier avec des dizaines d’interlocuteurs (organismes de gestion collective, éditeur de la compos, managers…). La blockchain permettra d’échanger des valeurs virtuelles de manière quasi immédiate, de prédéfinir les conditions d’exécution d’une transaction, de gérer des droits de vote. Lejo music, Mycelia donnent déjà la possibilité aux artistes de contrôler l’utilisation de leurs données et de leurs chansons par des fans ou d’autres musiciens. Des start-up comme pledge music proposent aujourd’hui l’utilisation d’un codage qui empêche l’utilisation du fichier musical ailleurs que sur la blockchain, certes cela peut être considéré comme une déstabilisation du règne des majors.

L’intelligence artificielle, elle, pourrait permettre d’identifier des attentes présentes et des prédictions futures pour les Majors, sur les goûts musicaux, le cas échéant aider les artistes à composer et trouver des sons hors normes mais il existe de nombreux autres Use cases comme prédire la viralité d’un artiste ou d’un titre grâce à l’analyse de données. Mais attention à ce qu’un domaine de la culture et de la créativité humaine ne tombe pas aux mains des robots ou ne soit pas surdéterminé par les biais informationnels éthiques des algorythmes.

 

<<< À lire également : Maintenir l’esprit de la musique au-delà de la pandémie >>>

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