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Joue-la comme MPG, avec fantasy

Jeu

Petite aventure entrepreneuriale, grand succès ludique et social. En à peine cinq ans, Mon petit gazon est devenu le jeu de « fantasy » numéro un en France. Avec 1,6 million d’utilisateurs, la jeune pousse a su fédérer une communauté puissante, en alliant passion du foot et partage entre amis. Le tout soutenu par une stratégie de développement basée sur l’expérience utilisateur, l’humour et le bouche-à-oreille.

Article paru dans le numéro 12 de Forbes France en octobre 2020

«Pour ce soir, je ne suis pas confiant, je ne suis pas inquiet non plus, on verra bien. C’est Grégoire qui a peur. Si on va au bout, les Marseillais ne seront plus les seuls à avoir gagné la Ligue des champions. Enfin, ils pourront toujours crier “À jamais les premiers” ! » Ce 18 août, Martin Jaglin a la taquinerie facile envers son ami Grégory Rota. Le premier, supporter du Paris-Saint-Germain, espère la qualification de son club fétiche ce soir, en finale de la plus prestigieuse des compétitions continentales de clubs. Grégory, lui, aficionado de l’Olympique de Marseille, ne peut retenir un regard amusé : « C’est très bien si vous battez Leipzig. Après, vous perdrez contre le Bayern en finale. » Cassandre, Grégory a vu juste. Le PSG s’inclinera 1-0 en finale face aux Munichois. La passion du ballon rond, en plus d’être une source de chamaillerie, est aussi ce qui les a amenés, avec leur troisième compère, Benjamin Fouquet, à lancer Mon petit gazon, que tout le monde – même l’entreprise qui a changé le nom de sa marque – appelle « MPG ». MPG est un jeu de « fantasy » de football, où les participants se mettent dans la peau d’entraîneurs de clubs, concoctant une équipe composée de joueurs professionnels. Les résultats dans le jeu dépendent des performances dans le monde réel. MPG se décline en un site et une application mobile.

Depuis que les trois amis se sont lancés à plein temps dans l’aventure en 2016, MPG n’a cessé de croître. Le jeu compte désormais 1,6 million d’utilisateurs, dont plus de 950 000 actifs. En 2019, la start-up et ses treize employés ont généré un chiffre d’affaires de 1,6 million d’euros et a obtenu son premier résultat net positif (215 000 euros), après une année 2018 où l’équilibre financier avait été atteint.

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Pour les fans de foot mais pas seulement

Côté business model, MPG est allé droit au but : 70 % de ses revenus viennent de la publicité intégrée au site et à l’application, et du sponsoring. Puma, la célèbre marque de sport, rémunère la start-up en échange de l’apparition du logo au félin sur les icônes de maillot du jeu, qu’elle équipe officiellement, comme Rennes, Marseille ou Manchester City. D’autres firmes comme Red Bull ou l’assureur Allianz, adeptes de « naming » – qui consiste à apposer le nom de la marque à celui d’un stade ou d’un club moyennant finances –, ont baptisé des bonus dont les noms sont utilisables en match par un joueur de MPG afin de bénéficier d’un avantage ou de pénaliser son adversaire. Uber Eats, nouveau partenaire officiel du championnat de France de Ligue 1, est aussi devenu sponsor de la petite entreprise.

Jeu gratuit, MPG doit les 30 % restants de ses revenus à ses options payantes : le mode « expert » qui permet aux joueurs réunis en « ligue » de transférer, échanger ou se prêter des footballeurs pendant leur saison (normalement, l’achat de joueurs n’est possible qu’avant le début de la saison et s’opère par enchères à l’aveugle) ; l’acquisition de maillots originaux pour personnaliser leur équipe virtuelle ; et des bonus pour surprendre les adversaires.

Dans un pays qui compte, selon l’expression, « 70 millions de sélectionneurs », et où le football est autant un sport qui transcende les hiérarchies du monde social qu’il en illustre les fractures, MPG est devenu un petit phénomène. Même si la majorité des joueurs sont des hommes de 18-35 ans, tout le monde s’y met. « On a une mamie de 70 ans qui nous a envoyé un message nous expliquant qu’elle joue avec ses petits- enfants, raconte Martin Jaglin. Et au bureau, plein de gens s’y mettent pour ne pas être en retrait des conversations. » Entre le vendredi soir, date limite de la sélection des équipes, et le lundi matin, moment de parution des résultats des matchs du week-end, MPG est devenu le fil rouge de bien des discussions de pratiquants. « En soirée, les joueurs de MPG se reconnaissent vite, poursuit Martin Jaglin. On compare ses compositions d’équipe, ses résultats. » À ses débuts, MPG s’est fait connaitre avec le slogan : « Le jeu qui va vous faire aimer le lundi matin. » Enfin, cela dépend du score découvert au réveil…

MPG n’est plus un simple divertissement. À l’École nationale de la statistique et de l’analyse de l’information de Rennes, un tournoi interne existe depuis 2017, qui réunit une centaine de joueurs, étudiants actuels ou anciens de l’école, répartis en six divisions. Pour certains, le jeu vire carrément à l’addiction, comme cet utilisateur qui a cumulé 250 ligues simultanées. MPG est aussi un instrument de valorisation du foot. « Il y a des gens qui n’y connaissent rien et qui passent des heures à regarder des stats pour choper les pépites, observe Grégory Rota. D’autres qui regardent des Dijon- Reims pour voir la performance d’un Rémois ou un Dijonnais qu’ils ont dans leur effectif sur MPG, alors que ces matchs n’intéressent que les supporters des deux équipes ou les puristes. »

Un jeu qui rend chèvre

En 2018, pour la Coupe du monde en Russie, la start-up a développé l’application Mon petit prono, qui permettait à tout un chacun de parier sur les matchs de la compétition. Les participants qui avaient su prédire le plus de bons résultats gagnaient le plus de points. Bilan : 800 000 utilisateurs, dont une partie a continué ensuite à jouer à MPG. Mais attention, quand on dit « parier », c’est un peu abusif : que ce soit pour MPG ou sa déclinaison de pronostics, il n’est jamais question d’argent. « D’une part, la réglementation sur les paris sportifs est très restrictive en France, relève Martin Jaglin. D’autre part, cela nous empêcherait de garder notre ton humoristique. Si les marques de paris sportifs se permettent de faire des blagues dans leur communication, sur leurs sites, tout est très sérieux. Nous, on cale des vannes dans nos notifications, dans tous nos contenus. On ne pourrait pas se le permettre avec de l’argent en jeu. » Ce qui n’empêche pas les joueurs de MPG d’organiser des paris entre eux. Il n’est pas rare que le dernier d’une ligue doive payer une tournée ou un restaurant à ses adversaires et amis. En juin dernier, un joueur de MPG s’est même fait tatouer une chèvre, logo du jeu, sur le bas du dos après avoir fini lanterne rouge de sa ligue. Photo à l’appui sur les réseaux sociaux…

La chèvre n’est pas un symbole pris au hasard. L’animal désigne, en français, une équipe ou un joueur de niveau exécrable. « On voulait parodier les équipes, surtout dans le sport américain, qui ont des animaux très nobles comme emblème : des ours, des tigres… justifie Martin Jaglin. La chèvre, ça matchait parfaitement avec notre image. » En anglais, sa traduction, goat, est aussi l’acronyme de « greatest of all time », « le plus grand de tous les temps », qualificatif que l’on attribue à des légendes du sport comme Michael Jordan ou Zinedine Zidane. Mais goat, c’est aussi chèvre dans le sens de « bête », « imbécile ».

MPG ne s’est jamais pris au sérieux. Et c’est ce qui a fait son succès. La marque enchaîne les blagues sur les réseaux sociaux, chambrent les joueurs professionnels comme ses utilisateurs. Le langage est familier, les émojis pullulent. Gagner par six buts d’écart permet d’obtenir un « badge » intitulé « la fessée », quand un autre nommé « la médaille de plâtre » récompense le joueur dont l’équipe obtient la pire moyenne de sa ligue. « On tenait à nous adresser à nos utilisateurs comme à nos potes, surtout quand on parle de foot. On taquine, on se chamaille, mais toujours dans une forme de bienveillance. »

En dehors des noms de marques, les bonus du jeu portent des noms pour le moins équivoques : le bonus « Zahia » – du prénom d’une ancienne escort-girl qui avait eu des relations tarifées avec des joueurs de l’équipe de France entre 2008 et 2009 – augmente la note des joueurs de 0,5 point ; « la valise à Nanar », référence non dissimulée à Bernard Tapie, condamné en 1995 pour avoir soudoyé des joueurs de Valenciennes lorsqu’il était président de l’Olympique de Marseille, permet d’enlever un des buts marqués par l’adversaire. En échange d’argent fictif.

Banni momentanément des stores d’Apple et Androïd

L’absence de langue de bois a ses limites. Au moment du confinement, tous les matchs de football sont suspendus. Face à la pandémie mondiale et aux drames qui l’accompagnent, MPG se dit qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer, et a créé un badge « Covid-19 » pour tous ceux qui ont fini leur championnat juste avant le confinement. Une boutade qui n’a pas été du goût des GAFAM : le badge a été refusé par Apple et Android.. « Je trouve qu’on est dans un monde de plus en plus lisse, où il faut toujours être dans un cadre bien propre, regrette Martin Jaglin. L’autre problème est que plus on grossit, plus on est exposé, et plus on doit faire attention à ce qu’on dit. »

Quand la planète foot s’est arrêtée de tourner à cause du Covid-19, le satellite MPG s’est retrouvé en orbite instable. La petite entreprise a perdu 25 % de son chiffre d’affaires lors des trois mois du confinement. Les cofondateurs ont eu une idée : jouer les vrais matchs prévus sur console de jeu. Une béquille dans l’esprit de la marque, qui, si elle n’a pas remporté l’adhésion de toute la communauté MPG, a rappelé à tous les utilisateurs qu’ils étaient bien la priorité de leur jeu de fantasy préféré : « Notre force, c’est notre service client, revendique Martin Jaglin. On répond à la main à 1 000 messages par semaine. On a un tableur Excel gigantesque dans lequel on répertorie toutes les réclamations des joueurs. Toutes nos améliorations du jeu, on les doit aux remontées de nos utilisateurs. »

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Écouter et soigner la communauté : tels sont les deux piliers de la tactique de MPG. Si le jeu peut désormais compter sur ses sponsors et partenaires, il doit avant tout sa croissance au bouche-à- oreille. Comme à ses débuts. En 2011, Martin Jaglin, Grégory Rota et Benjamin Fouquet sont tous trois manageurs d’une agence de marketing digital parisienne, et ce depuis sept ans. Fans de foot, ils jouent à un jeu de fantasy, Fantaleague, créé en 2005. La structure vivotait, n’offrant guère d’améliorations au « gameplay ». « On a décidé de racheter la structure et de créer Mon petit gazon pour concevoir le jeu dont on rêvait », raconte Martin Jaglin. Les trois cofondateurs en parlent à leurs amis, puis à des amis d’amis. En trois ans, le jeu passe de 5 000 à 45 000 utilisateurs. Ne pouvant plus assurer à la fois le développement du site et leur emploi, les trois acolytes se mettent, entre 2016 et 2018, à plein temps sur le développement de ce projet. C’est Grégory Rota qui s’est lancé le premier dans l’aventure. « L’enjeu était technologique et ce, sur deux plans, analyse le développeur. D’abord, il fallait mettre sur pied un site qui utilisait des langages de code informatique pas aussi développés qu’aujourd’hui. Ensuite, il fallait concevoir un algorithme de notation : la plupart des jeux de fantasy de sport vous font simplement cumuler des points en fonction des performances réelles des sportifs. Nous on voulait faire en sorte qu’un match sur MPG ressemble à un vrai match de foot, avec des vrais scores de foot. Que quand un joueur marque en vrai, il marque dans le jeu. Et que plus sa performance est élevée sur le terrain, plus il a de chances de marquer un but virtuel. »

Pour évaluer la performance des joueurs, MPG utilise au départ les notes qu’attribue l’Équipe aux footballeurs après chaque journée de Ligue 1. C’était tout simplement illégal ! Après une mise en demeure du quotidien, les cofondateurs décident de développer leur propre algorithme de notation des joueurs en utilisant les statistiques fournies par Opta, la référence dans la collecte de données footballistiques. En 2016, un autre tacle appuyé vient freiner la course de MPG : la Ligue de football professionnel (LFP) leur demande de cesser leur activité pour un usage supposément irrégulier de l’image du championnat de France. Aujourd’hui, face au succès du jeu de fantasy, l’Équipe et la LFP en sont devenus des partenaires officiels.

Malgré ces accrocs, MPG parvient cette même année à réunir 38 000 euros en financement participatif. En 2018, elle réalise une levée de fonds de 1,5 million d’euros auprès d’investisseurs particuliers, dont Sébastien Bazin, ancien président du PSG, et… le DJ Martin Solveig, fan du jeu.

Fort de son succès, MPG voudrait désormais jouer l’Europe. Mais sa version espagnole, lancée en 2017, ne dépasse pas les 30 000 utilisateurs. Et en France, une grande part du marché des amoureux de foot reste à conquérir. L’équipe réfléchit à décliner son jeu dans d’autres sports. En attendant, MPG va annoncer la fin de son site internet : le jeu ne sera plus accessible que sur mobile, là où se concentrent 90 % de ses utilisateurs

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