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Investissement : vers l’ouverture d’un nouveau cycle

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En ce printemps 2024, les investisseurs font face à un paysage macro-financier transformé, où l’inflation élevée et une croissance faible redessinent les stratégies. Il faudra faire preuve de prudence, flexibilité et de capacités d’adaptation pour profiter des opportunités et faire face aux nouveaux défis.

Par Michael Miguères – Un article issu du numéro 26, printemps 2024, de Forbes France

 

L’inflation plus élevée que depuis la crise de 2008, que bon nombre d’analystes avaient perçu comme une variable désormais structurelle, est en train de redessiner le monde de l’investissement. Une tendance qui devrait s’avérer durable tant les sous-jacents de cette hausse ne semblent pas totalement épuisés, ce qui modifie en profondeur le cadre habituel des stratégies d’investissements. Face aux réalités économiques persistantes, l’année 2024 se profile comme une période de transition pour les marchés financiers, marquée par un mélange d’optimisme et de prudence stratégique. Lior Katz, responsable des family offices en Europe continentale chez BlackRock, nous livre son analyse : « Depuis 2022, nous sommes entrés dans un nouveau régime macro- financier marqué par plus d’inflation, plus de volatilité, des taux d’intérêt plus élevés et moins de croissance. C’est un changement structurel qui va durer : il ne faut plus appliquer une lecture cyclique de l’environnement économique comme nous l’avons fait pendant les quarante années de la “Grande Modération” qui s’est terminée avec la pandémie, où les banques centrales pouvaient venir à la rescousse d’une croissance molle sur fond d’inflation atone. »

Ce constat d’une transition vers un nouveau cycle économique est partagé et intégré par d’autres acteurs. Ainsi, Mathieu Sollier, directeur des marchés et associé-gérant au sein d’un exclusive family office à Genève, livre ses attentes et perspectives : « En termes de croissance économique, nous n’attendons ni un boom ni un effondrement. Cependant, nous envisageons une transition du cycle actuel vers un nouveau cycle. »

 

Un regain d’optimisme prudent pour 2024

Roland Kaloyan, responsable de la Stratégie actions européennes chez Société Générale CIB, note, lui, un optimisme marqué chez les investisseurs au début de cette année, contrastant nettement avec la prudence de 2023. « La bonne tenue de l’économie américaine, des résultats résilients des entreprises, le reflux de l’inflation et les perspectives de baisse des taux des banques centrales ont contribué à nourrir ce sentiment positif », analyse-t-il. Un optimisme tempéré par certains facteurs d’incertitudes. Les baisses anticipées de taux de la Fed et de la BCE soulignent un changement de cap potentiel pour 2024, même si les attentes du marché peuvent être ajustées en fonction de l’évolution de l’inflation et du marché de l’emploi. Roland Kaloyan met également en lumière le rôle crucial de la Chine, dont la croissance pourrait ralentir en dessous de 5 % cette année, ajoutant une couche de doute et nécessitant une surveillance accrue. Ces inquiétudes pesant sur l’économie chinoise sont regardées avec une grande attention, notamment à cause de la liquidation judiciaire du promoteur Evergrande, devenue le symbole de la crise immobilière qui sévit depuis des années dans la deuxième économie mondiale. « Toutes les mesures mises en œuvre par le gouvernement n’ont pas été suffisantes pour que le pays évite les vents contraires à la croissance. Ce qui se passe en Chine a des effets d’entraînement sur le reste du monde, notamment dans les pays fortement liés à l’économie chinoise », souligne Mathieu Sollier.

Une vision partagée par Cyril Aboujaoude, cofondateur de Tioopo Capital, fonds de private equity concentré sur la réindustrialisation en France et au Royaume-Uni. « Suite à une hausse sans précédent des taux directeurs, passant de valeurs négatives à plus de 400 points de base en moins d’un an, en réponse à une inflation au-dessus de 5 %, les volumes de transactions sur le marché privé ont atteint leur point le plus bas. Depuis le quatrième trimestre de 2023, nous observons une augmentation des volumes de transactions sur les marchés de capitaux privés, principalement stimulée par les perspectives positives de la Banque centrale européenne. »

 

Une gestion plus proactive

La transition énergétique et ses répercussions sur l’approvisionnement des matériaux, l’impact de l’avancée technologique accéléré par les intelligences artificielles, la dé-globalisation avec le renforcement inédit des BRICS et la montée des contestations en Europe, les changements démographiques ainsi que les incertitudes réglementaires et fiscales ajoutent à la complexité de l’environnement. Ces éléments exigent une vigilance accrue de la part des investisseurs, qui doivent adopter une approche bien plus proactive de la gestion des portefeuilles, plus flexible en tentant de prendre des décisions éclairées même dans un contexte où le degré de certitude est bien plus faible qu’auparavant. Les sciences de la décision nous rappellent qu’il est très peu probable de réaliser le bon choix lorsque toutes les possibilités ont des probabilités faibles de se produire, ce qui milite pour des approches plus prudentes.

Malgré tout, miser sur les innovations reste une option séduisante. Lior Katz, de chez BlackRock, propose comme approche pour s’orienter dans ce labyrinthe financier de se concentrer sur ce qu’on appelle désormais les « méga-forces ». Ces forces transformatrices redéfinissent les contours de l’économie mondiale et offrent des perspectives de rendements futurs supérieurs à celles basées sur les allocations traditionnelles par classes d’actifs ou par région. Il cite en particulier cinq méga-forces :

L’intelligence artificielle (IA) : au cœur des innovations technologiques, l’IA est un moteur de transformation sectorielle, impactant de la finance à la santé, et promettant de redéfinir notre manière de vivre et de travailler.

La transition énergétique : face à l’urgence climatique, la transition vers des énergies renouvelables et des technologies plus propres est non seulement une nécessité écologique mais aussi une opportunité économique de taille.

La démographie : les changements dans la structure démographique mondiale, tels que le vieillissement de la population dans certaines régions et la croissance démographique dans d’autres, ont d’importantes implications économiques et sociales.

L’évolution de l’architecture financière : avec la montée en puissance du crédit privé notamment, l’architecture financière mondiale évolue et offre de nouvelles avenues pour le financement des entreprises et des projets.

La géopolitique et le mouvement de dé-globalisation : dans un monde de plus en plus fragmenté, comprendre les dynamiques géopolitiques et leurs impacts sur le commerce et les investissements internationaux est crucial.

Investir dans ces méga-forces requiert une vision à long terme et une compréhension fine des risques émergents. Lior Katz souligne l’importance pour les investisseurs de s’adapter à un paysage mondial en rapide évolution. En se focalisant sur les méga-forces qui façonnent l’avenir, les investisseurs peuvent non seulement naviguer plus sûrement à travers les incertitudes actuelles, mais aussi positionner leurs portefeuilles pour capitaliser sur les tendances de fond qui définiront les décennies à venir. Cette stratégie, qui dépasse les approches conventionnelles, pourrait bien être la clé pour générer des rendements durables dans un monde en mutation. Ces méga-forces ouvrent des opportunités dans des secteurs connexes qui restent largement à explorer. Lior Katz complète ainsi sur les perspectives d’investissement : « Sur le marché actions, nous restons prudents sur les titres des pays développés et donc prudents sur les grands indices mondiaux. Mais au sein de ce segment, il y a de très belles opportunités liées aux méga-forces. Par exemple dans l’IA, au-delà des fabricants de micro- processeurs, qui étaient la façon la plus évidente de miser sur cette tendance en 2023, la vraie thèse d’investissement, c’est la transformation que cela va entraîner dans d’autres secteurs. Et la santé est la première concernée mais d’autres viendront ensuite. »

 

Des réorientations de stratégies de portefeuille

Les secteurs clés pour l’avenir, érigés comme méga-forces, correspondent pour partie avec ceux identifiés par Roland Kaloyan, de la Société Générale CIB, dans une stratégie actions : « Les secteurs technologique [intelligence artificielle] et industriel [réindustrialisation] devraient bénéficier aux US, quand en Europe, notre préférence va aux secteurs pharmaceutique [visibilité des bénéfices] et des services aux collectivités [transition énergétique]. » On retrouve aussi ces mêmes secteurs méga-forces dans les préconisations de Mathieu Sollier qui recommande également de recourir aux actions à fort potentiel de croissance pour faire face aux nouvelles incertitudes : « Nous préférons maintenir l’exposition aux actions de croissance de qualité et défensives, car l’activité économique est susceptible de ralentir dans les premiers mois de 2024. Dans l’espace de croissance de qualité, nous aimons les actions dans les technologies de l’information et de la communication, et dans les défensives, nous aimons le secteur de la santé, les actions suisses et les services publics européens. »

Attention cependant à ce que ces stratégies ne créent pas d’effets secondaires non désirés. Roland Kaloyan, de la Société Générale CIB, note ainsi que malgré les fortes performances des marchés actions en 2023 (avec le S&P 500 et l’EuroStoxx 50 affichant respectivement des hausses de +26 % et +23 %) et un optimisme pour l’année suivante, les investisseurs doivent rester prudents car le repositionnement progressif sur les marchés actions ne garantit pas nécessairement de futures performances, notamment en raison de niveaux de valorisation élevés suite à la récente hausse boursière. De plus, des stratégies identiques font également courir un risque de concentration où la tendance à privilégier les mêmes titres peut s’avérer problématique et gonfler artificiellement des titres dont la valeur sera décorrélée de ses performances.

BlackRock signale aussi un intérêt croissant pour les fonds obligataires à échéance fixe et les stratégies d’investissement dans des entreprises au modèle économique distinctif, prêtes à générer des rendements élevés pour une croissance à long terme. La firme observe également une attention renouvelée pour les stratégies d’action flexibles et hautement concentrées. Lior Katz souligne l’augmentation des risques associés aux expositions macroéconomiques dans les portefeuilles dans un contexte de flou persistant. Les family offices explorent les opportunités d’investissement en actions, en évaluant les avantages des leaders régionaux tels que les États-Unis et le Japon, face aux marchés en retard comme l’Europe et les pays émergents, tout en s’intéressant particulièrement aux petites et moyennes capitalisations. « La plupart des clients family offices s’intéressent aux marchés émergents hors Chine, se concentrant plutôt sur les opportunités dans les pays “neutres” qui ne sont pas alignés sur un bloc en particulier et qui sont bien positionnés pour bénéficier de la relocalisation des chaînes d’approvisionnement. Globalement, nous maintenons notre préférence pour les actifs des marchés émergents par rapport à ceux des marchés développés. Là aussi, il est intéressant d’essayer de combiner cette vue avec les méga-forces : par exemple, de nombreux pays d’Amérique latine riches en ressources naturelles et en minerais comme le cuivre et le lithium sont également exposés à la transition vers une économie bas carbone. »

 

Privilégier les entreprises générant des flux de trésorerie disponibles

Cyril Aboujaoude mise sur d’autres sources de rentabilité au sein du tissu économique existant et ancré. Le fonds Tioopo Capital dont il est cofondateur mise sur l’investissement dans des PME en transition générationnelle, favorisant la réindustrialisation en France et au Royaume-Uni. Un mouvement qui s’éloigne des valorisations élevées des secteurs de la tech et des modèles de start-up, privilégiant les entreprises générant des flux de trésorerie disponibles et capables de verser d’importants dividendes.

« L’attrait des PME pour les investisseurs français et étrangers réside dans leur capacité à générer d’importants dividendes, même après le remboursement de leurs dettes LBO. Celles présentant une croissance modérée deviennent particulièrement attractives pour de grands groupes et des fonds de private equity mid-cap. »

Dans un monde où l’incertitude macroéconomique et les changements structurels vont définir le paysage d’investissement, la clarté de la vision stratégique, la flexibilité et la capacité à identifier et à saisir les nouvelles opportunités seront cruciales. La nouvelle donne structurelle engendrera également un nouveau cadre difficile à prévoir. Les investisseurs qui parviendront à naviguer dans cet environnement complexe avec prudence et discernement pourront potentiellement réaliser des gains significatifs, tout en contribuant à la transformation des secteurs clés de l’économie mondiale. Tous les investisseurs semblent néanmoins ronger leur frein dans l’attente et l’espérance d’une baisse significative des taux, qui devrait rouvrir une nouvelle phase de croissance à condition que l’inflation soit durablement jugulée.


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