Investir en Afrique, doit être un acte d’engagement qui se prépare. Cela ne saurait se résumer à la seule quête de rentabilité.
Depuis bientôt une décennie, l’on observe un intérêt croissant des investisseurs pour l’Afrique subsaharienne justifié par différents facteurs : taux de croissance annuelle attractifs pour la plupart des économies africaines (un peu plus de 8% annoncé pour 2018 pour le Ghana ou l’Ethiopie et 3,4% pour l’Afrique subsaharienne selon le FMI), important potentiel d’innovation constitué par la population du continent notamment sa jeunesse, immense réservoir de débouchés pour les entreprises grâce à sa classe moyenne pourtant faible et fort besoin en infrastructures (énergie, services essentiels, transport…) qui est un atout.
Cet intérêt est notamment partagé par les acteurs du capital-investissement, relativement nouveaux sur les marchés africains, contrairement aux investisseurs historiquement tournés entre autre, vers « (…) le financement des infrastructures »[1]. En effet, conscients de l’émergence en Afrique d’un écosystème entrepreneurial innovant porté par la révolution numérique, ces capital-investisseurs – Partech Ventures Africa ou Investisseurs & Partenaires par exemple – multiplient des initiatives de financement destinées aux PME et aux Start-Up.
Néanmoins, l’on observe de la part de ces nouveaux venus une fébrilité a priori liée au manque d’informations et à la fragilité des administrations et des institutions sur lesdits marchés : lourdeurs et lenteurs administratives, corruption, difficile accès à l’information notamment juridique et financière, difficulté à identifier des interlocuteurs fiables, etc. Aussi, certains n’hésitent pas à faire marche arrière dès les premières déconvenues, le risque étant trop important à leur goût.
Il n’en demeure pas moins que cette fébrilité se justifie par ailleurs et sans prétendre à l’exhaustivité, par la mauvaise connaissance des marchés africains et de l’approche d’investissement adaptée.
Plus qu’investir, s’investir
Un changement d’approche est nécessaire en matière d’investissement sur le continent : les capital-investisseurs doivent non pas se contenter d’investir mais aussi s’investir. Cela implique une démarche d’engagement et de recherche d’impacts réels et durables, tandis que l’investissement pourrait renvoyer à une logique purement spéculative au court terme et aux antipodes de l’esprit qui anime les jeunes entrepreneurs africains.
Pour ces derniers, les innovations répondent à une volonté de transformation de leur environnement. Alors, aborder en investisseur avisé les marchés africains requiert non seulement de se préparer en travaillant au préalable à la connaissance de ces marchés par un recours en amont à des études de marché rigoureuses (études de faisabilité juridique, d’opportunité et stratégique), mais aussi de se défaire de ses œillères et d’adopter une approche empathique nécessitant attention, ouverture, humilité, bref de l’intelligence émotionnelle.
Savoir décrypter l’univers de l’informel
Propre à tout investissement, l’approche risque-rendement est également celle du capital-investissement. Une telle approche vise le plus souvent une pleine maîtrise des risques qui peut s’avérer improbable voire illusoire dans les marchés africains. La logique de l’informel propre à ces derniers rend difficile, lorsqu’il s’agit d’approcher des entrepreneurs locaux, l’accès à une information économique et financière fiable qui ne peut être fondée que sur des indicateurs obtenus au jour le jour ou au regard notamment, du réseau de distribution informel mis en place par lesdits entrepreneurs.
Enfin, cette prégnance de l’informel doublée des réalités culturelles requiert le plus souvent de bâtir des relations interpersonnelles fortes dans le cadre des affaires en Afrique subsaharienne, au-delà des relations partenariales ou contractuelles classiques.
Reconsidérer son rapport au temps
Le capital-investisseur imprégné de la logique des marchés étrangers est conduit à aborder les marchés africains selon une feuille de route qui peut ne pas être adaptée au rythme des affaires en Afrique où les relations d’affaires sont fondées sur des paramètres différents de ceux observés ailleurs dans le monde, notamment :
- la nécessité de bâtir des relations interpersonnelles fortes et, par conséquent, des liens de confiance solides. Cet impératif a un impact significatif sur le calendrier de déploiement des activités dans la mesure où une telle relation se noue dans la durée. A ce propos, il convient de noter que vouloir presser ses interlocuteurs peut être mal perçu ;
- même à l’ère du numérique, l’accès à l’information, en particulier l’information juridique et réglementaire, peut être encore difficile. Bien davantage, lors de formalités administratives, des contraintes supplémentaires pourtant non mentionnées dans les documentations peuvent être imposées rendant souvent fastidieuse la réalisation de ces formalités.
Avoir un ancrage local et miser sur le long terme
L’ancrage local est nécessaire avec un choix éclairé de partenaires locaux fiables. Il convient de trouver le « BON » contact, pas forcément une personne haut placée, qui peut être « LA » clé d’appréhension et d’accès au marché concerné.
Par ailleurs, la présence régulière et durable sur le terrain est une clé de réussite de son investissement. Cela favorise une connaissance de l’écosystème économique, entrepreneurial et des différents modèles. A ce propos, il faut relever que du fait de cultures locales et/ou d’influences diverses (formations et/ou expériences professionnelles dans différents pays étrangers ou encore héritage colonial), les modèles en place sont le plus souvent variés et les approches business différentes au sein par exemple de la même unité.
Cela implique pour l’investisseur d’être non seulement agile mais également d’appréhender ces réalités grâce à une présence locale et une interaction avec les acteurs locaux.
Aussi, adopter ces différents codes requiert une connexion au terrain et un engagement sur le long terme et implique une prise de risque certaine car, selon Sébastien Bazin, PDG du Groupe Accor Hôtels « si on commence uniquement par les objectifs de rentabilité, on ne fera rien sur ce continent, parce que la nature du risque est trop incertaine ».
Enfin, il convient surtout de garder à l’esprit que c’est aussi avec cette Afrique riche tant de son potentiel humain que d’innovation que se construisent les nouveaux modèles au cœur des transformations que vivent nos sociétés. Dès lors, il faudra apprendre à composer avec les réalités précitées qui toutefois ne sont pas intangibles.
Article co-écrit avec Fabien Lawson
[1]Livre Blanc du capital-investissement en Afrique publié par l’association française des investisseurs pour la croissance (AFIC), actuelle France Invest.
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