S’il y a bien un chiffre qui énerve les agents immobiliers, c’est celui de la part des locations immobilières qui s’effectue directement entre particuliers. Ce marché qui leur échappe toujours représente aujourd’hui les deux tiers du parc locatif privé. Et ils ont bien l’intention de le réduire ! Voici comment.
Les locations entre particuliers ne baissent pas malgré les nombreuses initiatives des professionnels de l’immobilier pour mettre la main dessus. Mais les agents immobiliers sont repartis à l’offensive ces derniers mois pour s’imposer comme des interlocuteurs incontournables. D’autant plus qu’ils se sentent soutenus par le gouvernement. Mickaël Nogal, le député LREM qui vient de présenter une proposition de loi destinée à modifier les rapports entre propriétaires et locataires, faisait récemment savoir : « J’ai la conviction qu’un marché plus intermédié par les professionnels c’est un gage de confiance pour les propriétaires et les locataires. Ce sera moins discriminant. On voit plus de discrimination pour le marché de particulier à particulier que dans le marché géré par des professionnels », a-t-il assuré citant notamment des études sur le sujet.
La fin des discriminations ? Pas sûr. Au vu de ce que nous concoctent les agents immobiliers, à commencer par la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) qui travaille actuellement activement à la création d’une liste noire des locataires qui n’ont pas payé le loyer de leur habitation depuis au moins trois mois, selon les informations de Capital. Les noms des mauvais payeurs seraient alors maintenus dans la base de données pendant au maximum trois ans. Une façon pour les agents immobiliers d’exclure les profils à risque de la location.
Si la pratique n’est pas prohibée par la loi, elle doit obtenir le feu vert de la Cnil qui « n’a pas eu spécifiquement connaissance du projet de la Fnaim ».
Une société, baptisée Arthel, serait créée pour l’occasion afin de gérer le fichier en question, construit sur le modèle du Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, avec plusieurs acteurs dont Foncia et Nexity au capital. A priori, les propriétaires n’auront pas accès à la base donnée.
« C’est une bonne mesure s’il s’agit d’un outil de sélection pour les professionnels et non de stigmatisation, si les données personnelles sont protégées et s’il facilite l’accès au logement » a réagi auprès du Figaro, Mickaël Nogal.
Julien Denormandie, le ministre du Logement, a déclaré de son côté : « Je n’approuve pas cette proposition. Je suis convaincu que la confiance entre propriétaires et locataires ne se construit pas par la mise en place d’un tel fichier. La réconciliation entre propriétaires et locataires impose d’abord de ne pas stigmatiser les uns ou les autres. Elle est au centre des mesures prises par ce gouvernement comme la loi ELAN, la garantie Visale, la proposition de loi Nogal ».
Pas de quoi couper les ailes du député Nogal, déjà auteur d’un rapport intitulé « Louer en confiance » remis au premier ministre en juin 2019, qui mène à l’assemblée une offensive décisive pour les agents immobiliers.
Il a présenté mi-janvier 2020 une proposition de loi qui veut changer les codes de la location. Et qui pourrait entrer en application très vite, dès 2021.
Sa future Loi Nogal comporterait trois mesures phares, pour « réconcilier les locataires et les propriétaires ».
La première mesure de la proposition de loi Nogal vise à « rétablir la confiance autour de la restitution du dépôt de garantie ». Cette somme équivalant à un mois de loyer, versée par le locataire au propriétaire à l’entrée dans le logement, est source de nombreux litiges au moment de sa restitution en fin de bail. Elle est à la source de 65 % des actions en justice engagées par les locataires.
Que propose la loi ? De confier les dépôts de garantie (cautions) à des administrateurs de biens (agent immobilier, notaire, huissier, etc.) qui consigneront ces fonds et les restitueront à la fin du bail. « Il faudra alors que le propriétaire et le locataire se mettent d’accord sur la restitution du dépôt de garantie », précise le député.
Conséquence immédiate de cette mesure : locataires et propriétaires devront obligatoirement passer par une agence. « C’est dans l’intérêt des deux parties », estime Mickaël Nogal, qui assure qu’il n’y aura pas de surcoût pour l’un comme pour l’autre.
Mais Corinne Jolly, la patronne du groupe PAP, leader du marché locatif entre particulier a déjà fait tourner sa calculette. « Le coût des administrateurs de biens pour les particuliers : « environ 7 à 8 % des loyers perçus auquel il faudra sans doute ajouter pas loin de 3 % pour la garantie contre les impayés qui sera incluse dans le nouveau mandat de gestion prévu lui aussi dans la proposition de loi Nogal. Passer par un administrateur et souscrire à ce nouveau mandat vous coûtera sans doute 10 % ! Je ne suis pas certaine qu’à la fin les propriétaires et les locataires y gagneront ».
Surtout, en devenant des interlocuteurs incontournables, les professionnels pourraient très vite capter ces particuliers et de nouvelles parts de marché.
Un seul garant pour les locations
Autre point de tension entre propriétaires et locataires que cette proposition de loi veut gommer : les garanties, parfois disproportionnées, demandées par les propriétaires. « Il n’est plus rare de voir des propriétaires demander non pas un, mais deux, voire trois ou quatre garants à des locataires, malgré leur solvabilité prouvée par les documents demandés. C’est le cas en particulier dans les métropoles, où le marché de la location est tendu, et où les propriétaires ont le choix. Pour mettre fin à ces abus, ils ne pourront plus solliciter qu’un seul garant par location. « La caution personne physique est le système de garantie le moins fiable juridiquement et le plus injuste socialement. Il écarte de l’accès au logement énormément de locataires ».
Dernier point de son projet : « sécuriser les propriétaires contre d’éventuels impayés ou dégradations », tout en « facilitant l’accès au logement des locataires ».
La proposition de loi prévoit en effet que « les propriétaires perçoivent leur loyer tous les mois, quoi qu’il arrive du côté du locataire ». Pour parvenir à cette « sécurisation totale », le député entend recourir à « la création d’un nouveau mandat de gestion, qui sera proposé par les administrateurs de biens ». Sa mission intégrera aussi « la prise en charge d’éventuelles dégradations et de frais de procédure ».
La loi Nogal devrait être débattue en mai 2020 à l’Assemblée nationale. Les discussions entre les partisans d’un marché entièrement dominé par les agents immobiliers et les autres promettent d’être animées.
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