Les jeunes réclament une prise de responsabilité authentique par toutes et tous, et notamment par les entreprises. Ils expriment avec force leur attente de voir les organisations respecter sérieusement leurs engagements RSE.
Une contribution de Yasmina Sahed
Presque chaque jour nous pouvons lire de nouveaux articles et de nouvelles études faisant le triste état des lieux du rapport au travail des citoyens de notre époque : « Grande démission », « quête de sens », chasse au « Greenwashing » et au « Socialwashing », ou encore « Bore-out » …
Si ces réalités sociales touchent tous les secteurs d’activités et toutes les générations[1], elles sont encore plus marquées chez les jeunes car ils sont ceux qui jugent le plus sévèrement les promesses et actions des entreprises (et des représentants politiques mais je n’aborderai pas ce sujet ici). En effet, il n’est pas inutile de le rappeler, depuis la crise Covid, les jeunes démissionnent doucement mais sûrement de l’ancien monde.
De toute évidence la regrettable situation dans laquelle nous nous trouvons est complexe : elle implique une grande diversité d’enjeux, d’aspects et de protagonistes. Mais il me semble pourtant y voir un point commun, et qui tend, de plus en plus, à les rassembler tous : la quête d’un respect renouvelé du vivant. Et plus précisément, de la dignité de la vie.
Écologie, travail, technologie, et inclusion
Le 14 décembre 2023, dans l’hémicycle du Conseil économique social et environnemental (CESE) à Paris, s’est tenu le Parlement des Jeunes[2]. Cet évènement a mis au grand jour une initiative pas comme les autres : un rassemblement de 170 jeunes représentatifs des jeunesses de tous les territoires de France, et qui ont travaillé pendant plus de 3 mois en intelligence collective pour faire l’inventaire de leurs expériences et de leurs perceptions du monde. De là, ils ont établi une vision commune d’un développement durable et éthique à horizon 2033 sur 10 grands thèmes qu’ils ont considérés prioritaires, tels que « Écologie, Travail, Technologie, numérique et réseaux sociaux, Inclusion… ». Ce 14 décembre au CESE, devant un auditoire de représentants politiques, d’entreprises et d’associations, les porte-paroles des 170 jeunes qui composent ce Parlement ont présenté leur vision de la France dans dix ans et « pitché » certains des projets qu’ils souhaitent mener dans cette perspective.
J’ai eu le privilège de me trouver aux premières loges pour écouter, observer et analyser les sessions de travail de ces 170 jeunes. A titre personnel, en tant qu’experte RSE, et engagée depuis plus de dix ans auprès de nombreuses écoles de commerce et d’ingénieurs, j’avais rencontré et discuté avec des centaines de jeunes qui jusqu’à récemment voyaient dans la RSE, je cite : « du marketing », « du vernis », ou encore « un moyen de manipuler les masses »… C’était vraiment dur car l’espoir n’y était pas du tout, la confiance encore moins.
C’est pourquoi j’ai été profondément saisie par les discours de ce Parlement : sur presque tous les sujets, à travers leurs réflexions, les jeunes ont présenté la RSE comme une réponse concrète à leurs aspirations. Que ce soit en la nommant directement ou en discutant des enjeux d’inclusion, d’égalité professionnelle, d’équilibre « vie pro – vie perso », du respect et de la protection de l’environnement… sous une forme ou sous une autre les 10 commissions parlementaires ont spontanément évoqué la RSE pour en louer le potentiel, en défendre le rôle, en charger les espoirs de toute une génération.
Il faut lire le rapport de synthèse des travaux de ce Parlement[3] car cela ne fait aucun doute, les jeunes sont loin de rêver d’un avenir impossible et sont au contraire actifs et très conscients des obstacles à franchir.
Déception de voir les entreprises faire semblant,
Alors qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi les jeunes du Parlement ont ainsi invoqué la RSE dans tous les domaines de transformations sociales qu’ils appellent de leurs vœux ?
La réponse est simple : les jeunes générations ont fini par dire tout haut leur déception de voir les entreprises faire semblant, et prendre leurs responsabilités à demi. Ils ont décidé de parler, d’agir et de créer le monde de demain[4]. D’abord un, puis cent, puis mille, les jeunes ont fini par choisir de se dresser, de lutter contre le désespoir qui les ronge[5], de respecter leurs valeurs coûte que coûte.
Ainsi, pour leurs travaux, les jeunes de ce Parlement n’ont pas hésité à partager des expériences personnelles, parfois intimes et difficiles, afin de tuer dans l’œuf toute remise en question de leur légitimité à dénoncer tel problème social ou à défendre telle solution quand ils l’ont concrètement expérimenté et éprouvé au sein de leurs lycées et universités, à travers leurs engagements associatifs, ou même au travail. Leur vision est claire et, assurément, elle est radicale. Ils réclament une prise de responsabilité authentique par toutes et tous. Ils expriment avec force leur attente de voir les organisations respecter sérieusement leur RSE.
De fait, si j’avais encore besoin d’une preuve pour m’en convaincre, je peux dire qu’ils me l’ont donnée. A y regarder de près, l’engagement en RSE ne se limite pas à des obligations règlementaires, ni à des indicateurs de performance sociale ou de réduction de ses émissions de gaz à effets de serre. En effet, en l’admettant authentique et entière, la RSE apporte non seulement une réponse concrète à nos préoccupations de survie, mais en plus de cela elle s’inscrit dans une perspective profondément éthique, et fondamentale pour l’être humain : celle de la quête du sens de la vie, celle de savoir « qui je suis » et « quelle trace je laisse » sur Terre[6] . A y regarder de près, l’engagement en RSE incarne, à bien des égards, une réponse à une quête universelle plus complexe que ce qui est généralement évoqué.
Ce faisant, de différentes manières, revendiquées ou « silencieuses »[7], les nouvelles générations rejettent le fonctionnement d’un monde qu’elles jugent inconscient, clivant, destructeur et condamné. Que cela irrite ou inspire, l’éthique est devenue leur « aiguillon critique »[8] , et contrairement aux idées reçues, elles proposent des projets concrets au sein desquels l’authenticité et la prise en compte des impacts de toute décision sont au cœur de la démarche. Cela ne laisse personne indifférent car ce mouvement touche notre humanité commune, nos valeurs spirituelles universelles, bien plus que nos paradigmes culturels ou économiques.
Dans ce contexte, gageons que les nouvelles normes CSRD[9] et CSDD[10] arrivent à point nommé pour permettre aux entreprises d’ajuster leur attitude concernant leur engagement en RSE. En effet, considérer les intérêts de tout l’écosystème à travers la double matérialité, mesurer les impacts, suivre le progrès sur le long terme, et justifier la pertinence des décisions prises le long de la chaîne de valeur constituent autant d’approches et de moyens capables d’offrir aux collaborateurs une finalité qui transcende la simple atteinte des objectifs, pour apporter des réponses concrètes à cette quête fondamentale et généralisée de sens.
Engagement authentique et qualité de vie au travail
Par conséquent, l’engagement authentique en RSE touche directement les différentes formes d’enjeux liés à la qualité de vie au travail à travers les aspects psychologiques et philosophiques de la quête de sens : elle redonne un but digne de soi et digne d’être poursuivi, elle nourrit l’espoir d’un avenir meilleur, elle libère les énergies, elle fédère et insuffle l’engagement volontaire aux niveaux individuels et collectifs.
C’est pourquoi la CSRD, dans son aspect holistique et de long terme, est potentiellement un moyen pour les collaborateurs, les clients, les parties prenantes, d’incarner leurs valeurs de respect de la dignité humaine, de s’attacher individuellement à respecter la vie sous toutes ses formes, en somme d’être Humain.
Encore faudra-t-il ne pas se tromper de posture. Les jeunes ne suivront plus les entreprises dont la RSE sera partielle, superficielle ou même technocrate : ils veulent du sens et ils ont choisi l’intégrité. Plus que jamais, il est urgent pour les entreprises de s’engager dans une RSE entière et authentique, sans quoi elles passeront définitivement à côté du monde qui advient.
Yasmina Sahed est une experte du développement durable et de la RSE. En 2021 elle a co-fondé l’entreprise sociale et solidaire Hundreds où elle dirige des études à but d’impact. Elle enseigne en écoles de commerce depuis 2014.
À lire également : Amine récolte des données environnementales en Afrique |
[1] Etude Gallup : State of the Global Workplace, 2023 Report; Baromètres Ipsos – BCG – CGE, 2021 et 2023 : « Talents, ce qu’ils attendent de leur emploi »,
[2] Evènement initié et porté par La fabrique d’avenir et le mouvement Entrepreneurs d’avenir.
[3] Rapport Hundreds pour le Parlement des Jeunes : à télécharger ici
[4] Voir les mouvements tels que de Pour un réveil écologique, Team for the Planet, Jeunes leaders positifs
[5] Éco-anxiété, désenchantement politique.
[6] Viktor Frankl, Man’s Search for Meaning », Beacon Press, 1959; Yohann Marcet, podcast En quête de sens
[8] Voir la théorie de « l’éthique comme aiguillon critique » proposée par Cécile Renouard : Renouard, Cécile. « L’éthique et les déclarations déontologiques des entreprises », Études, vol. 410, no. 4, 2009, pp. 473-484.
[9] Corporate Sustainability Reporting Directive
[10] Corporate Sustainability Due Diligence Directive
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