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Grenoble, nouveau phare de la deep tech

Ce n’est pas un hasard si le premier rassemblement tech en Auvergne- Rhône-Alpes a été placé sous le signe de la deep tech. Début février, le salon tech&fest s’est installé au pied des Alpes, à Grenoble, au cœur d’un écosystème longtemps considéré comme la « Silicon Valley française ». Ce bassin grenoblois peut-il réellement devenir la nouvelle capitale tricolore de la deep tech ?

Un article issu du numéro 26 – printemps 2024, de Forbes France

 

En 2023, la french tech a récolté 8,3 milliards d’euros en capital-risque, soit une baisse de 36 % par rapport à 2022 (13 milliards d’euros), d’après le recensement des levées de fonds de Maddyness. Un cycle de contraction des investissements qui persiste depuis la fin de la crise sanitaire et qui ralentit fortement la course des licornes françaises, ces start-up atteignant le milliard d’euros de valorisation.

Si les difficultés rencontrées par les entrepreneurs se font de plus en plus sentir, un secteur réussit à tirer son épingle du jeu (ou plutôt du contexte) : la deep tech est devenue le secteur le plus financé en 2023 avec près de 1,66 milliard d’euros, soit une augmentation de 120 % par rapport à l’année précédente. Du jamais-vu pour ce domaine de pointe où converge la majeure partie des projets industriels contemporains et de rupture.

 

Cap sur la relocalisation industrielle

Si la deep tech prend de l’ampleur, c’est avant tout parce que le contexte est propice à la relocalisation industrielle. En France, le plan Start-up et PME industrielles de 2021 (2,3 milliards d’euros engagés) et le plan Deep Tech de 2019 (3 milliards d’euros et 500 millions d’euros en plus en 2023) ont déjà été mis en place par Bpifrance, le bras armé financier du gouvernement, pour permettre à des projets industriels ambitieux d’éclore. L’objectif étant de faciliter la naissance d’une centaine d’usines chaque année d’ici 2025.

Évidemment, la crise – tantôt sanitaire puis géopolitique – est passée par là et a contribué à remonter ces sujets à l’agenda. La fragilisation des chaînes d’approvisionnement au niveau mondial a mis en lumière nos dépendances, ainsi que celles de l’Europe. Il faut donc viser plus de résilience, quitte à relocaliser des chaînons de productions autrefois délaissés.

Il y a deux ans, Emmanuel Macron présentait justement France 2030, un plan à 54 milliards d’euros devant transformer durablement des secteurs clefs de notre économie (énergie, microélectronique, automobile, santé, aéronautique ou encore espace) à coups d’innovation technologique, de recherche et d’industrialisation.

 

La course aux batteries

Grenoble est en première ligne de cette vague de réindustrialisation à marche forcée et le récent exploit de la jeune deep tech Verkor le démontre : au total, 2 milliards d’euros ont été levés par la pépite grenobloise, grâce aux subventions du plan France 2030 et un prêt généreux de la banque européenne d’investissement (BEI). Préparant l’interdiction de la commercialisation des voitures thermiques en Europe d’ici 2035, Emmanuel Macron avait promis la construction d’une gigafactory de cellules de batteries à Dunkerque. « La France s’est massivement désindustrialisée ces trois dernières décennies et nous avons besoin de nouvelles structures industrielles d’envergure, des investissements massifs ainsi que des viviers de talents à jour sur les compétences actuelles, justifie le cofondateur de Verkor, Gilles Moreau. Notre pari est de montrer qu’on peut mener des projets d’industrialisation conséquents en Europe et proposer à terme une batterie compétitive face à la Chine. »

« Verkor a attiré les projecteurs sur Grenoble et agit comme un modèle en matière de décentralisation du financement des start-up en France, partage Bastien Vivenot, chargé de mission Entrepreneuriat deep tech pour Bpifrance. Et il se trouve que les secteurs industriels historiques de Grenoble sont devenus des priorités stratégiques. »

 

Une ville-laboratoire de longue date

Le fait qu’une jeune pousse grenobloise devienne un symbole de la réindustrialisation n’est pas une surprise. Grenoble a même longtemps été considérée comme la « Silicon Valley française ». « Chez nous, les racines industrielles sont assez profondes », explique Florent Genoux, délégué innovation Alpes chez Bpifrance. Ce dernier cite l’industriel Aristide Bergès qui, en 1867, avait installé une râperie de bois à Lancey en Isère dont les défibreurs s’occupant de produire de la pâte à papier fonctionnaient grâce à de l’énergie hydraulique. « L’utilisation de cette énergie décarbonée était désignée comme la houille blanche, en opposition au charbon qui venait principalement du Nord », complète-t-il. Référence est également faite aux « 3 Louis d’or », à savoir Louis Néel, Louis Weil et Paul-Louis Merlin, qui ont largement œuvré à la construction des centres universitaires grenoblois, en lien étroit avec la Résistance des années 1940. Le premier et le deuxième sont des physiciens de renom récompensés pour leurs travaux autour du magnétisme et le troisième a créé avec Gaston Gerin un groupe industriel historique de matériel électrique en 1920 (racheté en 1992 par Schneider Electric).

Cette effervescence scientifique et technologique a pris ses quartiers sur la presqu’île de Grenoble, « une unité de lieu qui a grandement facilité les rencontres », explique Florent Genoux. C’est dans ce « polygone scientifique » que toute la matière grise se concentre encore aujourd’hui. On y retrouve par exemple un centre du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), le pôle de compétitivité de la transformation numérique en Auvergne-Rhône-Alpes Minalogic, Schneider Electric, STMicroelectronics…

« Il y a un fort brassage d’étudiants, d’ingénieurs et de chercheurs, y compris dans des lieux de rencontre non professionnels. J’ai moi-même rencontré Benoît dans un bar ! », raconte Gilles Moreau. Pour lui, l’autonomie stratégique passera nécessairement par la mobilisation de tous ces pôles de compétences locaux et régionalisés, citant Toulouse pour l’aéronautique ou encore Lyon pour la santé et la chimie.

 

Décloisonner la recherche

Nul besoin de préciser que le spatial présente assez de technicité pour être affilié au secteur deep tech. Si Toulouse est souvent mentionnée, Grenoble est aussi particulièrement reconnue pour ses compétences en matière d’instrumentation, d’optique et de télédétection. « L’université Grenoble-Alpes est 8e au classement thématique de Shanghai en matière de télédétection », fait valoir Tania McNamara, chercheuse à la tête depuis sept ans d’un nouveau projet de démonstrateurs technologiques de nanosatellites au Centre spatial universitaire de Grenoble (CSUG).

Avant d’en arriver là, Tania McNamara a passé de nombreuses années chez Capgemini, une société de conseil spécialisée en nouvelles technologies qui a justement vu le jour à Grenoble. En 2013, elle prend le risque de quitter son CDI pour le secteur public en rejoignant l’université Grenoble-Alpes en tant que cheffe de projet contractuelle dans le cadre des Initiatives d’excellence en formations innovantes (IDEFI)*. L’un des modules ayant été consacré au traitement automatique des langues (TAL). « À l’université, les temps de développement sont plus ou moins longs, les méthodes expérimentales, les moyens très limités, les embauches à court terme et les chercheurs happés par l’administratif, notamment pour obtenir des financements, déplore-t-elle. Nous avons besoin de plus de partenaires industriels et le monde de la recherche ne sait pas toujours comment s’y prendre pour identifier rapidement ceux qui pourraient porter des cas d’application, monter des business plans et des consortiums pour lever des fonds. »

Cet effort de décloisonnement est crucial pour espérer donner un coup de boost à la filière française et européenne. Avec en première ligne le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’Agence spatiale européenne (ESA). « La concurrence à l’international est rude et la France n’arrivera pas à se démarquer toute seule, c’est en tout cas ce que partage notre écosystème local du NewSpace, poursuit Tania McNamara. Les pouvoirs publics européens devront mobiliser davantage de fonds et de compétences. »

Dans l’infiniment petit cette fois-ci, le quantique présente des enjeux de souveraineté similaires. C’est la pépite parisienne Pasqal qui a le plus fait parler d’elle dans le secteur grâce à sa méga levée de 100 millions d’euros (voir interview d’Alain Aspect page 94) début 2023, mais Grenoble peut aussi se targuer d’avoir fait naître Quobly (ex-Siquance) qui a capté 19 millions d’euros en juillet dernier. Ce champ de recherche inclut des expérimentations ambitieuses dans le secteur de l’énergie à Grenoble : à l’image du projet de pile à combustible régénératrice à liquide Stellaria propulsé par le CEA dans la course aux petits réacteurs nucléaires ou encore la construction d’un réacteur à fusion grâce à la levée de 15 millions d’euros de Renaissance Fusion il y a deux ans.

 

Transformer les chercheurs en super-entrepreneurs

Ainsi, les promesses sont alléchantes mais il est évident que la feuille de route d’une deep tech est très complexe et coûteuse à dérouler. Pour aider les chercheurs à se lancer dans l’aventure entrepreneuriale, les Programmes d’investissements d’avenir (PIA) de 2010 ont permis la création de 14 Sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT). Au cœur de l’arc alpin, Linksium a vu le jour et a permis le transfert de 220 projets et la création de 83 start-up.

Même son de cloche du côté de l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC Paris) qui a lancé début 2024 un institut de l’innovation et de l’entrepreneuriat. Celui-ci comporte trois centres distincts : une entité destinée à l’accompagnement de start-up de manière générale, une autre sur l’entrepreneuriat social et une dernière sur la deep tech. Aymeric Penven est justement à la tête de ce dernier centre et sa mission est d’explorer la manière d’utiliser les compétences de l’école pour aider les projets deep tech sur la partie business. « Les décideurs de demain qui sont formés chez nous comprennent mieux les implications économiques et sociales de tels projets, défend-il. Ce créneau est important pour nous car la deep tech représente le sens de l’Histoire, en particulier sur la partie hardware, l’intelligence artificielle et le développement spatial. » Ainsi, le CEA est partenaire dans le cadre de HEC Challenge + et des chercheurs assistent à trois jours par mois de cours et d’ateliers (pendant huit mois) sur des questions de business.

 

« Nous avons besoin d’un réelle transdisciplinarité entre le monde de la recherche, l’industrie et les acteurs du business » Aymeric Peven, directeur Deep Tech, HEC

 

Si les efforts publics en faveur de l’écosystème de la french tech semblent avoir porté leurs fruits, Aymeric Penven s’interroge sur la stratégie à adopter : « L’objectif annoncé est d’atteindre 500 deep techs par an, mais par où faut-il commencer ? Faut-il former plus de chercheurs ? Faciliter le transfert technologique ou l’hybridation des modèles ? » Ce dernier prône une « réelle transdisciplinarité entre le monde de la recherche, l’industrie et les acteurs du business.

C’est grâce à cette mobilisation multi-sectorielle et multi-territoriale que la France pourra réellement se réindustrialiser. « Grenoble est une brique essentielle qui va inspirer de nombreux autres territoires », conclut-il.


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