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GAFA Et Start-up Phagocytent-Ils La R&D ?

GAFA

Le féroce appétit des GAFA, les Amazon et autres Google ne surprend pas les fonds d’investissement. En revanche, ils s’inquiètent : les grands groupes vont-ils tous faire de la surenchère pour puiser dans les start-up
 et remplacer tout ou partie de leur recherche et développement ?

 

« Startups are the new corporate R&D » titrait un récent forum du LA Times réunissant quelques grands noms du venture capital, dont Jeff Pashalides (Sequoia Capital) et Tom Frangione (Greylock Partners). Les « corporates » seraient-elles
 en train de faire une concurrence déloyale 
aux fonds d’investissement en s’orientant toujours plus vers des investissements et des acquisitions de start-up ?

 

« Trop souvent, le capital d’une entreprise
 est considéré comme une création, alors qu’il devrait en réalité soutenir une relation », observe le dirigeant de Sequoia Capital, qui ajoute :
« La proximité, la connaissance du secteur et la force du réseau sont des éléments clés. Alors que certaines entreprises sillonnent la Silicon Valley à la recherche d’idées et de bonnes opportunités d’investissement, les acteurs sérieux s’y installent. » De fait, les Tencent, Alibaba et autres Baidu de Chine ne se trouvent pas en Californie pour une balade d’une semaine :
« Ils sont là pour faire leur business. »

 

La stratégie ambivalente des GAFA

Ces mêmes fonds d’investissement ne semblent pas s’émouvoir des milliards investis par les GAFA dans les start-up. Au contraire. Pourtant, il arrive – même si c’est rare – que les GAFA, Amazon, Google ou autres, cachent ou taisent certaines acquisitions, préférant claironner qu’ils sont à l’origine de certaines 
innovations dans des domaines hypermédiatisés comme les
 véhicules autonomes 
ou les drones. Ainsi,
en février 2019, le site TechCrunch a démenti une déclaration d’Amazon qui soutenait que Scout, son 
petit robot autonome livreur de paquets, sortait de son laboratoire de R&D de Seattle. Selon le site high-tech, le produit proviendrait de l’acquisition en 2017 
de la start-up Dispatch. Laquelle aurait copié ou eu accès aux développements
 de Starship Technologies. Certes, le 
design aurait changé (passant de quatre
 à six roues), mais les brevets et le concept auraient transité vers le programme Scout… L’histoire dira peut-être un jour pourquoi Amazon aurait ainsi voulu cacher de tels faits, alors que géant de l’e-commerce n’a jamais fait mystère de sa capacité illimitée ou presque à tout acheter sur la planète, notamment via sa filiale AWS, très rentable.

 

La course aux start-up des GAFA s’est accélérée

Il est vrai que les données changent. Jadis,
 la R&D était représentée par un lab ou un
« garage » relativement secret, ouvert à quelques partenaires amis et très lié à la veille techno. C’était un département à part. Avec l’explosion des jeunes pousses dans les années 2010, 
les grands constructeurs se sont disputés 
pour avaler les start-up. Ces acquisitions- absorptions ont directement alimenté les départements R&D. Parfois, on ne prenait
 que la technologie, sans conserver les équipes, sauf le ou les concepteurs-développeurs.

 

Aujourd’hui, on se les arrache toujours, mais l’approche a changé. On les apprivoise, on construit des partenariats – y compris avec des quasi-concurrents dans sa filière (la fameuse
« coopétition »). Et si on finit par les intégrer – ce qui n’arrive pas toujours –, on se les réserve en prenant soin de ne pas briser leur élan ni leur créativité. Bob Mandeville, fondateur de 
la start-up Iometrix, installée à San Francisco (mais conçue à l’origine en France), acquiesce mais témoigne d’une autre pratique : quelques leaders quittent la « corporate », afin de créer une start-up qui pourra être acquise par la suite. « Cela présente un gros avantage pour
 ces grands comptes ou géants high-tech : cela leur permet d’écarter une partie du risque qui accompagne le développement de toute nouvelle technologie. Cette manoeuvre de “friendly outsourcing” leur laisse aussi le choix de prendre ou non leur bébé ou un autre en laissant la concurrence jouer à leur avantage. »

 

Aujourd’hui, on n’achète plus à la volée. On met en place des partenariats auprès de clients et on se donne un certain temps pour mieux se connaître, évaluer la réalité des assets, la propriété intellectuelle, etc. La relation commence par un soutien qui peut être financier, mais pas nécessairement.

 

Prendre le temps des acquisitions pour réussir les intégrations

Un cas récent d’acquisition chez Cisco montre que les temps sont révolus où l’on achetait tout ou presque (comme les caméras de poche Flip qui ont fait un flop avec l’arrivée de l’iPhone). En 2016, Cisco avait absolument besoin d’une offre de systèmes
 dits d’hyperconvergence, tels que Nutanix ou SimpliVity (captée par HPE). N’ayant pas de solution en interne et pressé par le temps, Cisco s’est alors orienté vers une start-up, Springpath, basée à proximité, à Sunnyvale dans la Silicon Valley. Mais sans rien précipiter. Par crainte de voir les fondateurs s’éclipser ? Par souci d’évaluer la solution (HyperFlex) et sa bonne intégration dans sa stratégie ? Des mois de partenariat se sont alors écoulés, et puis un beau matin, en septembre 2017, Cisco a annoncé que l’acquisition était réalisée pour le joli montant de 320 millions de dollars en cash et des incentives. 
Autre cas similaire chez Intel : le géant du processeur cherchait à venir, à tout prix, sur le créneau du calcul embarqué et de l’intelligence artificielle couplée au deep learning. En complément du rachat de deux start-up, Nervana et Mobileye, Intel a jeté son dévolu sur Movidius, une pépite dirigée depuis 2013 par un Français, Rémi El-Ouazzane, et spécialisée dans le traitement d’images (comme la puce Myriad 2, qui équipe les fameux drones Phantom 4 de DJI). Preuve d’une intégration réussie, ce dernier, formé à Grenoble, a tout simplement été bombardé directeur de la branche nouvelles technologies d’Intel.

 

La fin des safaris ?

La prudence s’avère être désormais la bonne pratique. Chez Accenture Ventures, où le 
suivi des start-up est un must, on confirme :
« À ce jour, nous avons investi dans environ 30 start-up, pas plus, parmi les milliers que
 nous screenons chaque année, nous explique Arnaud de Scorbiac, leader de l’entreprise 
pour l’Europe. Mon analyse est que l’on sort des safaris où l’on se perdait à prospecter toutes les start-up. Aujourd’hui, tout le monde a créé son challenge des start-up, sa cellule d’innovation, son incubateur, son académie, etc. Et il est l’heure de se recentrer sur ce qui a de la valeur. » Il ajoute : « Si l’on considère nos investissements à ce jour, 80 % sont des partenaires “at scale” prêts à être déployés chez nos clients, et 20 % concernent des technologies émergentes et disruptives. » En Europe, les investissements se sont limités à deux start-up au Royaume- Uni : Quantexa (lutte contre la fraude financière) et Ripjar (lutte contre le cybercrime, solution adoptée par l’Australian Cyber Security Center).

Accompagner une start-up peut permettre d’évaluer un nouvel outil : par exemple, un laboratoire où les chercheurs utilisent encore des notes papier a accepté d’expérimenter le clavier de commande par projection vidéo de la start-up française Adok. 
Deux principales demandes se dégagent dans les grandes entreprises. « D’une part, avoir une vision des tendances et des start-up émergentes sur un secteur donné (FinTech, smart home…) ou une technologie (comme la blockchain) ; d’autre part, détecter une ou des start-up répondant à un problème précis afin de construire un pilote (ou POC, proof of concept) et envisager un déploiement », explique Arnaud de Scorbiac.

 

Trois axes ont été retenus par Accenture Ventures : l’excubation, c’est-à-dire rendre une activité complètement indépendante, satellisée, comme Audi l’a fait avec Holoride ; la collaboration étroite des GAFA avec des start-up, « comme on le ferait avec un studio de cinéma, pour des missions définies », précise 
le dirigeant d’Accenture Ventures ; et enfin, l’activité de corporate venture capital, « environ 1 200 start-up identifiées, dont 300 suiviesavec une possible prise de participation ».

En clair, un schéma simplifié où tout le monde occupe son rang et garde la tête froide. Alors, fini les safaris, fini la précipitation pour les GAFA ? Mais pas les surenchères…

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