Nombreux sont les managers qui craignent de donner la parole aux jeunes générations. Leurs discours sont si éloignés de leurs préoccupations semblent-ils. Un dirigeant me confiait en tant que coach, trouver presque « indécent » leur volonté de concilier vie privée/vie professionnelle ou encore leur obsession pour l’environnement. « Vous comprenez, me disait-il. Moi, je ne compte pas mes heures, mon travail est ma raison de vivre. J’ai donné plus de vingt ans dans cette boite…et le jeune en question, à qui je voulais proposer une promotion me répond d’un air mitigé : « Je suis pas sûr que j’en ai envie… je crois que je préfère avoir plus de temps pour moi ». » Les yeux écarquillés, il me regarde d’un air éperdu. Alors j’explique.
Cette peur face à une génération qui propose une autre façon de voir les choses est parfaitement naturelle puisqu’elle souligne le changement du monde, le changement des priorités du monde. Encadrer le jeune et proposer au manager de passer du « scare », de la peur, au « care », au soin de l’autre, est crucial pour combler ce fossé. Malgré le décalage générationnel, il faut pouvoir « tenir ensemble », trouver un terrain de jeu commun pour continuer d’avoir envie de travailler au sein d’un collectif. Pour le manager, cela demande de l’écoute, pour le jeune talent, cela demande de l’humilité. Pour les deux, cela suppose de la patience. Pourtant, pas d’autres issues que de s’entendre puisque 50% des salariés âgés de 18 à 24 ans sont prêts à démissionner si leur employeur ne prend pas en compte la flexibilité de leur temps de travail (ADP, juillet 2022). Voici quelques recommandations d’encadrement des talents que je partage avec mes coachés :
- Tout d’abord, arrêter de voir les jeunes talents comme une potentielle menace. Le jeune en question ne veut pas forcément votre poste, ne veut peut-être même pas faire carrière dans l’entreprise. C’est pour cela que l’intelligence artificielle ne peut aujourd’hui pas vous remplacer auprès de la jeune génération. Une écoute réelle, sincère, authentique et en présentielle est la meilleure solution pour établir ce lien de confiance qui doit s’établir entre deux êtres humains. Cette écoute peut se faire avec pour support un questionnaire. C’est ainsi que Décathlon a pu incroyablement fidéliser sa jeune population qui a montré une loyauté sans précédent. Un jeune me confiait que cinq ans après avoir quitté l’enseigne sportive, il se rappelait combien ces questionnaires étaient personnalisés et combien ils donnaient lieu à des rencontres avec le manager sur des questions de fond en lien avec la façon de vivre en entreprise ou avec les interactions entre les différentes strates hiérarchiques. Plus qu’une simple « météo émotionnelle », il s’agissait de parler d’éléments de fierté personnelle, de sentiment profond d’appartenance à partir de piliers et de valeurs comprises, vécues et incarnées par la jeune génération.
- Si les périodes de formation à un premier poste existent en entreprise, elles portent la plupart du temps sur l’expertise métier et non sur les codes de la culture de l’entreprise qui sont la plupart du temps implicites. Cela génère beaucoup de frustration du côté du talent qui doit découvrir par lui-même les us et coutumes de l’institution telles que les habitudes de pauses déjeuner, de pauses café, de salutation, de mises en copie d’emails, etc… Cela peut aller jusqu’à causer de nombreux malentendus dans les premiers temps alimentant une peur de mal faire qui aboutira à un désengagement rapide. Nommer un « talent angel », un BR, « Behavioural Referent » en lien avec le jeune talent peut permettre un guidage évitant toute mauvaise interprétation pour mieux décoder les comportements adéquats dès le départ pour que le sentiment de fierté d’appartenance puisse s’installer rapidement et durablement.
- Plusieurs entreprises parlent de « raison d’être » pour mieux encadrer les jeunes talents. Elles ont raison mais la démarche n’est pas aussi simple que de dire « Qu’on leur donne du sens !» comme une Marie-Antoinette ne comprenant absolument pas le besoin fondamental exprimé. Le sens ne vaut qu’au regard de l’écho qu’il trouve au sein de l’individu. N’oublions pas que 55% des moins de 29 ans se déclarent en situation de détresse psychologique contre 44% des salariés tous âges confondus (Empreinte Humaine & OpinionWay, mars 2023). Ce n’est pas parce que votre « raison d’être » sauve la planète qu’elle va résonner chez un jeune qui a des problèmes familiaux ou une réelle problématique de remboursement de frais de scolarité par exemple. L’écoute réelle et sincère ne pourra être remplacée par des conditions de bien-être au travail qui parfois relèvent d’un environnement qui semble ludique ou bienveillant (salle de ping-pong ou salle de sieste). Ecouter non pour répondre mais bien pour comprendre le jeune talent est la clé pour l’aider à monter en compétence.
- Que dire du mentorat ou du parrainage ? Fondamental, bien sûr mais uniquement si les règles sont claires de part et d’autre et stipulées dans une charte. Un mentor ne doit pas durant les séances parler plus que le mentoré, c’est en cela que l’on voit la qualité d’être à l’autre. Le mentor doit d’abord être à l’écoute de celui qu’il encadre avant de montrer combien il mérite son titre de mentor de par son expérience. Ce n’est bien entendu pas un psy qui se tait alors que le talent lui parle de ses problèmes mais c’est quelqu’un qui va, par son intérêt sincère pour l’autre, faire un travail sur soi pour répondre au mieux aux problématiques posées. Pour le talent, cela suppose une vraie préparation en répondant à des questions telles que : « Comment je me projette dans cette mission ? Ou vis à vis du collectif ? », « De quelles ressources ou assistance ai-je besoin pour tel ou tel projet ? », « Qu’est-ce que j’espère accomplir au sein de l’entreprise,… ? »
- Enfin, l’une des dernières recommandations serait de donner la possibilité aux jeunes talents de s’exprimer sur l’avenir du secteur dans lequel l’entreprise évolue. Au travers de forum, de semaine de l’engagement ou de concours d’essais comme le propose le MIPIM, le festival international de l’immobilier et de la ville à Cannes en mars 2024. Leur thématique porte sur les challenges à venir du développement urbain en proposant aux talents de soumettre leurs potentielles contributions. En donnant la parole à cette jeune génération, l’horizon du futur devient plus clair car plus en phase avec les préoccupations qui sont celles de demain. Une entreprise qui voudrait faire l’impasse sur cette voix ne pourrait plus avancer car elle serait engluée dans le passé sans possibilité d’évolution voire de critères d’attractivité pour le client à venir.
« N’oubliez pas que chaque jeune talent est unique, donc il est important d’adapter votre approche en fonction de leurs besoins et de leurs aspirations individuelles. » recommande ChatGPT à la question « Comment accompagner les jeunes talents en entreprise ? ». C’est bien parce que chaque talent ne répond pas à tout ce qu’on lui demande, comme ChatGPT, que chaque talent est imparfait, qu’il lui faut une oreille attentive et un cœur qui montre un peu d’humanité à ses différentes préoccupations…même si elles ne sont pas seulement en lien avec l’expertise….surtout si elles sont humaines….
Guila Clara Kessous, PhD
Executive Coach, UNESCO Artist for Peace
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