Le métaverse – ou Web3 – est un nouveau concept envahissant que peu de gens arrivent à définir. Mais l’emballement est bien réel : de nombreuses grandes marques de luxe déboursent déjà des millions pour se réserver une place dans ce monde parallèle.
C’est le cas du groupe LVMH qui commence à adapter sa stratégie multicanale pour explorer les opportunités offertes par ce nouvel univers virtuel. Franck Le Moal, Chief Information Officer du groupe de luxe, a accepté cet entretien pour nous en dire plus.
Le Web3, en opposition au Web 2.0 qui annonçait l’avènement des réseaux sociaux, est assez complexe à définir… Il englobe la question de la blockchain, des NFT (jetons non fongibles) mais aussi la réalité virtuelle. Est-ce que l’irruption du métaverse signifie pour vous la fin des écrans ainsi que des canaux physiques de vente ?
Franck Le Moal : Je ne pense pas qu’on dise adieu à nos écrans de sitôt, les choses s’accélèrent mais il reste une certaine immaturité autour du métaverse. Le canal physique continuera d’exister tant que nous ne pourrons pas reproduire des expériences immersives de grande qualité dans les magasins virtuels.
Le sujet de fond est de savoir quelle réalité virtuelle nous voulons développer par rapport à ce qui existe dans le monde physique. C’est une question complémentaire à adresser pour mieux scénariser les technologies existantes.
Je ne dirais pas que le débat se trouve autour de la technologie ou du canal à adopter en tant que tels. C’est plutôt une question du produit choisi et de l’expérience client qui en découle, une démarche de personnalisation et de liberté d’expression de l’individualité au service de la communauté.
LVMH partage la conviction que le sujet est important et que nous devons inscrire nos produits physiques dans le métaverse, sans pour autant se contenter de simples reproductions virtuelles. Un jumeau numérique n’est pas utile en tant que tel, il faut se pencher davantage sur l’expérience complémentaire.
Le métaverse de divertissement est celui qui fait le plus parler de lui aujourd’hui. Mais l’intérêt du luxe pour le monde du jeu vidéo n’est pas nouveau…
En effet, l’intérêt du luxe pour le monde du gaming n’est pas apparu en 2022 et nous nous sommes depuis longtemps forgés une conviction sur les opportunités qu’il peut offrir. LVMH a très vite entretenu son interconnexion à cet univers du divertissement.
Louis Vuitton a par exemple collaboré avec Riot Games pour habiller un personnage du jeu League of Legends et plus récemment, la marque a développé un jeu mobile intitulé “Louis : The Game” qui délivre des informations et des anecdotes sur son histoire. Le gaming permet à nos clients de découvrir nos produits autrement, avec des services exclusifs à la clé et sous une autre forme de magie.
La différence aujourd’hui est l’arrivée de la blockchain dans le gaming, qui garantit des transactions sécurisées et non falsifiables ainsi qu’une personnalisation de l’expérience de jeu sans limites.
Bernard Arnault a récemment déclaré : « Nous ne sommes pas intéressés à vendre des baskets virtuelles à 10 euros. Nous ne sommes pas là pour ça », tout en faisant référence aux déboires spéculatifs qui ont contribué à l’éclatement de la bulle internet des années 2000. Qu’en pensez-vous ?
Je ne prétends pas parler à la place de Bernard Arnault mais je pense qu’il faut comprendre ce qu’il dit par le fait que LVMH ne base pas son business model sur la vente de sneakers. Nos marques de luxe tiennent à cœur leur savoir-faire et celui de leurs artisans et designers. Nous n’allons pas concurrencer le streetwear pour la simple raison que notre objectif avec le métaverse est de valoriser notre artisanat et la manière dont sont conçus nos produits.
Ainsi, nous ne nous arrêterons pas à la création de “fils uniques numériques” – autrement dit la création de NFT qui n’ont pas d’équivalent physique – et nous ne nous contenterons pas de vendre nos produits actuels par le biais de nouveaux canaux. Bien sûr le métaverse peut amener de nouveaux clients, y compris chez les plus jeunes, mais l’objectif premier est de mieux faire découvrir notre héritage et notre savoir-faire, notamment en invitant à visiter virtuellement nos ateliers de maroquinerie.
En complément, puisque le marché des NFT se base sur la blockchain pour fonctionner, nous pourrons également ancrer nos produits physiques au sein de certificats d’authenticité digitaux qui garantissent à leur propriétaire la pleine possession. Le métaverse permettra de reconnecter le client à l’histoire et au savoir-faire de nos produits.
Le métaverse est souvent déshumanisé dans les messages qui en font la promotion alors que les nouvelles interactions promises vont bien faire appel à l’émotion et au sensoriel. C’est un terme trop générique et nous préférons parler de Web3 autour de trois sujets qui nous animent : la preuve d’authenticité grâce à la blockchain, le marché des NFT et son potentiel de création ainsi que le monde virtuel lié à l’imagerie 3D et la personnalisation d’avatars.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre stratégie concernant les NFT ?
Sur le sujet des NFT, il faut être honnête car tous les acteurs du luxe découvrent le sujet. Mais ces derniers n’y sont pas étrangers car tout ce qui relève du domaine de la création artistique est lié à notre activité, pour la simple raison que les clients du luxe ont toujours fait preuve d’une forte affinité à l’art.
Il y a d’un côté des marques qui reproduisent des versions virtuelles de leurs produits existants. De l’autre, des marques qui créent des collections exclusivement virtuelles et qui peuvent ensuite être reproduites dans le monde physique. Nous commençons déjà à imaginer des défilés dans le métaverse où les utilisateurs peuvent acheter des NFT de produits avant même leur production en magasin.
L’année passée, Dolce & Gabbana, AZ Factory et Givenchy se sont associés au graphiste Chito, Louis Vuitton avec l’artiste Beeple et le nouveau directeur artistique Nigo de Kenzo a décidé d’inscrire les détenteurs d’une des pièces de sa collection physique « Boke Flower » à un tirage au sort afin de remporter des NFT exclusives.
Nous pouvons citer aussi Hennessy qui a proposé une vente virtuelle et réelle de deux bouteilles de cognac en édition limitée pour un montant de 70,47 Ethereum, soit plus de 200 000 euros. L’intérêt des marques de luxe pour les NFT est de délivrer aux clients une garantie d’authenticité ainsi que l’accès exclusif à des événements en avant-première par exemple.
Pour adapter notre stratégie multicanale à ce secteur en plein boom, nous envisageons d’ailleurs de créer prochainement un poste de “Head of collectible NFTs and metaverse”. Nous aurons l’occasion d’en parler davantage lors du prochain salon Vivatech en juin prochain, où une prise de parole de LVMH est prévue pour faire quelques annonces à ce sujet.
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