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FORTISSIMO | David Theodorides, le nouveau directeur du Centre Culturel de Rencontre de Saintes

 💡 Chaque mois, Forbes France vous fait découvrir une personnalité du monde de la musique. De ceux et celles qui font surgir les talents.


Il enrobe par son rire chaleureux la pièce où il se trouve. David Théodorides, chanteur (il est baryton) et mélomane, a l’art de faire avancer, découvrir et d’enthousiasmer. Par Florence Petros

 

Apprécié autant par les mélomanes que par les artistes, il est aussi un entrepreneur et un organisateur : David a créé et dirigé pendant 30 ans le Festival Sinfonia en Périgord, une référence dans la musique baroque. La curiosité, le risque éditorial ont toujours été dans ses réflexes naturels, comme en témoigne son parcours, imprégné depuis toujours par la musique et la culture.

Il quitte aujourd’hui son Périgord natal pour la Charente et un nouveau défi : il vient de prendre la direction du Centre Culturel de Rencontre de l’Abbaye aux Dames de Saintes. 

 

Vous prenez la direction du Centre Culturel de Rencontre de l’Abbaye aux Dames de Saintes. Quel est votre état d’esprit en arrivant à ces nouvelles fonctions ?

David Theodorides : Tout d’abord, je souhaite partager le bonheur teinté d’un défi en nouvelles responsabilités qui m’est donnée de m’inscrire dans la belle histoire de ce lieu hautement symbolique, qui résonne singulièrement à mes oreilles mélomanes.  C’est en effet en ce beau territoire de Charente-Maritime et en particulier à l’Abbaye aux Dames de Saintes, que s’est imaginé une étonnante aventure humaine et musicale : Le festival, ses académies et aujourd’hui le CCR, ont été les catalyseurs de l’énergie créatrice d’artistes venus du monde entier depuis 50 ans, pour inscrire durablement le renouveau baroque en France. C’est donc tout naturellement dans cette énergie formidable, cet esprit d’invention et ce sens du partage que je m’inscris, en y apportant ma propre créativité et mes sensibilités propres. Rester en mouvement, à l’écoute de toutes les innovations en matière artistique et être, quand il le faut, iconoclaste, c’est pour moi respecter et poursuivre l’histoire d’un lieu qui doit rester un phare pour de nombreux artistes et publics.

 

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un « Centre culturel de rencontre » ?

Ce label, hélas encore trop peu connu du grand public, forme un projet original autour d’un patrimoine historique, ayant perdu sa vocation initiale, sur lequel un projet culturel et artistique vient s’adosser. Il s’agit donc, à proprement parler, de créer les conditions d’une rencontre originale entre des artistes, un lieu d’exception, son territoire et bien sûr, ses habitants.

En quelques décennie l’esprit de Saintes s’est installé durablement dans le paysage national et plus largement européen. Un festival iconique, une formation orchestrale unique en Europe (le Jeune Orchestre de l’Abbaye), un lieu d’accueil et d’interprétation patrimoniale et musicale : l’Abbaye aux Dames est devenue au fil du temps ce lieu d’accueil et de rencontre que le Label européen délivré par l’État, « Centre culturel de rencontre », est venu consacrer.

Ainsi, L’abbaye aux Dames a vocation à être cette maison commune dans laquelle les artistes trouvent une inspiration pour pratiquer et révéler ces répertoires au plus grand nombre, un espace de gestation pour les artistes émergents, les projets en création, un point de départ et un lieu de rencontre pour tous ceux qui veulent plonger aux sources d’un patrimoine intemporel, qu’il soit matériel ou immatériel. 

Le lieu joue un rôle de révélateur majeur en la matière. A la fois enceinte au sein de laquelle tous les projets sont en maturation et point de départ de leur rayonnement sur un territoire élargi, le patrimoine invite tout un chacun, par l’intérêt touristique ou personnel qu’il y porte à se saisir de la majesté du site pour y vivre une expérience sensorielle innovante.

Cette rencontre ne saurait être parfaite si dans ce modèle, les Centres culturels de rencontre ne portaient pas une dimension pleinement intégrée à la vie sociale et économique du territoire en tissant des liens avec le monde économique local, mettant en œuvre des partenariats tant avec les acteurs publics que le monde de l’entreprise.  Ce sont ainsi ces rencontres entre des attentes très diverses qui constituent à mon sens un outil d’émancipation et de développement au service de tous, un centre de cultures et de rencontres.

 


David Theodorides : Je ne passe pas une journée sans écouter avec ravissement telle ou telle œuvre de Schütz, Bach, Steve Reich, Schubert, Vivaldi, Couperin ou Beethoven parmi tant d’autres. Ma discothèque est une invitation permanente au plaisir. J’ai aussi une relation profonde aux artistes qui interprètent ces répertoires, tissée d’estime et d’amitié, de respect et de complicité. J’aime aller les voir, écouter leurs concerts, vivre avec eux l’émotion de la musique vivante


 

Quel regard portez-vous sur l’économie de la culture et sur les missions d’un centre culturel de rencontre ? Quelles interactions ?

Vous associez deux notions dans votre question, l’économie et la culture, qui ont souvent été opposées. C’est l’occasion de rappeler qu’il est primordial de ne pas se cantonner à une seule démarche économique, de recherche de rentabilité. Celle-ci est nécessaire, pour durer, mais la recherche et la création sont des éléments centraux de notre activité, et doivent le rester. Nous devons pouvoir continuer à proposer la découverte de répertoires exigeant, nécessitant une écoute active de la part des publics. Eveiller, attiser la curiosité du plus grand nombre en lui offrant la possibilité de découvrir avec nous les œuvres du passé, tout autant que de s’adresser à un public averti et mélomane est pour moi un enjeu majeur. La force émotionnelle des œuvres de Monteverdi, Bach, Mozart, Beethoven, Brahms, Pärt ou Hersant est naturellement à même de toucher le cœur de tous les publics, y compris ceux n’ayant jusque-là jamais eu l’occasion de s’y confronter.

Cette exigence a pour corolaire une condition: l’ouverture assumée au plus grand nombre.

Cette ouverture sans laquelle il ne peut y avoir de rencontre, doit s’opérer à de multiples niveaux. Il s’agit tout d’abord de rendre accessible à tous, les pratiques artistiques qui sont les nôtres par des propositions innovantes de très grande qualité, une invitation à découvrir une diversité d’actions, une incitation à pousser la porte de la curiosité.

En cela, le soutien des pouvoir publics est essentiel tant il nous permet de ne pas sacrifier à la facilité pour poursuivre une exigence artistique et créatrice forte.

A la fois, lieu d’hospitalité – à l’Abbaye aux Dames nous avons développé une offre hôtelière originale qui permet aux visiteurs de s’installer pour quelques nuits dans les chambres des anciennes moniales – de spectacles ou d’animations, le Centre culturel de Rencontre de l’Abbaye aux Dames tire de son activité une part essentielle de ses revenus.

Enfin, lieu ouvert dans la vie de la cité, tant du point de vue symbolique et que physique notre outil de travail est pleinement intégré dans la vie économique locale. C’est ainsi que de nombreux partenariats et mécénats sont tissés sur le territoire. Plus qu’un moyen de réaliser un budget, l’importance des relations avec le monde entrepreneurial est essentielle, constituant une force mobilisatrice unique, un intérêt partagé au développement de notre territoire, son attractivité et sa vitalité. Ce sont ainsi plusieurs dizaines de mécènes et partenaires qui, avec l’Abbaye, partagent une même ambition, formant – pour prendre une métaphore rugbystique – un pack solidaire et volontaire, convaincu que la force de l’un participe de la réussite de tous. Un fonds de dotation à d’ailleurs été créé il y a déjà quelques années à l’Abbaye aux Dames de Saintes, réunissant particuliers et entreprises, Saintais comme d’ailleurs, consacrant cette volonté partagée d’œuvrer pour le développement du territoire.

Je me sens particulièrement en phase avec cette vision d’un lieu partagé et traversé de liens multiples tant économiques, sociaux que culturels, d’un label qui intègre pleinement la vitalité du territoire à un projet culturel, se dotant ainsi des moyens et des valeurs propres à réaliser la promesse d’une culture exigeante ouverte à tous. C’est un aspect que je souhaite encore renforcer dans les années à venir.

 

Vous avez un parcours atypique mais cohérent en ce qu’il a toujours été tourné vers la musique : le chant, l’étude du piano, la programmation. Comment qualifieriez-vous votre rapport à la musique ?

C’est une relation fusionnelle, passionnelle. La musique est une amante fidèle. Depuis mon plus jeune âge la musique et en particulier les répertoires « classiques » m’accompagnent au quotidien. Cela ne m’a pas empêché de parcourir des chemins de traverse en m’intéressant aux musiques actuelles, au jazz et au blues. Mais je ne passe pas une journée sans écouter avec ravissement telle ou telle œuvre de Schütz, Bach, Steve Reich, Schubert, Vivaldi, Couperin ou Beethoven parmi tant d’autres. Ma discothèque est une invitation permanente au plaisir. J’ai aussi une relation profonde aux artistes qui interprètent ces répertoires, tissée d’estime et d’amitié, de respect et de complicité. J’aime aller les voir, écouter leurs concerts, vivre avec eux l’émotion de la musique vivante.

J’ai une reconnaissance profonde à la vie qui m’a donné de mettre en harmonie mes activités professionnelles avec cette passion immodérée pour la musique et ses interprètes.

Cette chance qui m’a été offerte de rencontrer ces répertoires, ses interprètes, explique aussi ce besoin que j’ai de ne rien garder pour moi, de partager avec le plus grand nombre ces joies intimes. C’est aussi la raison qui m’amène en permanence à trouver les chemins innovant de la conviction. Tant de créativité parcoure le mouvement musical ! C’est sans doute un paradoxe surprenant pour la plupart : ces répertoires dont on pourrait penser qu’ils sont figés de toute éternité, par l’intelligence des artistes qui les portent, leur imaginaire, leur sensibilité, ne cessent de se renouveler et de se réinventer, explorant ainsi de nouvelles voies pour séduire tous les publics. C’est ce sentiment d’œuvrer en permanence pour partager ces répertoires qui donne sens à ma vie et forme mes envies.


David Theodorides : Créer, inventer, partager, former sont les maîtres mots que je veux employer quand j’imagine l’avenir. Vaste programme que de décliner ces quelques valeurs.


Revenons à l’actualité, celle du festival de Saintes qui fêtera cette année ces 50 ans : quels en seront les temps forts ?

En général je n’aime pas cet exercice qui consiste à choisir dans une programmation quelques-uns au détriment de tous. Un festival, c’est un itinéraire, une histoire que l’on veut partager largement. Chaque artiste à sa place, enrichi le parcours des publics, éclaire d’une lumière spécifique ceux qui l’ont précédé et de ceux qui le suivront.

Le Festival en lui-même célèbrera un temps fort : 50 ans de vie commune avec les artistes et le public. 50 ans de découverte et d’innovation. 50 ans de partage et d’émotions.

L’édition sera aussi teintée d’une émotion particulière puisque son directeur artistique, Stephan Maciejewski prendra une retraite méritée après plus de 20 ans à œuvrer au rayonnement du Festival de Saintes.

Pour sa dernière édition, Stephan nous propose un menu alléchant. Philippe Herreweghe dont on sait l’attachement à Saintes clôturera brillamment le festival avec un programme enlevé et festif de Valses et Polka de Brahms, Strauss et autres musiques viennoises particulièrement réjouissante.

Avant cela, ce seront quelques-uns des ensembles les plus novateurs qui s’inviteront au festival : La Tempête, Grain de la Voix, les Surprises. De Dvorak à Locatelli, de Gesualdo à Scarlatti, la voix sera présente dans tous ses états au festival.

Les grands solistes bien sûr seront présents comme chaque année, que ce soit Pierre Hantai au clavecin ou Amandine Beyer au violon.

C’est enfin au formidable chef Alexis Kossenko, que nous avons confié la mission d’ouvrir cette édition avec le Jeune Orchestre de l’Abbaye. Il quitte ainsi sa phalange de la Grande Ecurie pour diriger la formation orchestrale de la maison.

Je vous invite donc à parcourir avec délice le programme des quelques 30 concerts, rencontres, événements qui constitue notre invitation à la fête.

 

A plus long terme ?

Quand un nouveau directeur arrive dans un lieu, il faut compter un temps raisonnable pour qu’il puisse s’emparer du projet dans toute sa richesse et sa diversité. Les premiers mois qu’il m’a été donné de partager avec les équipes et les bénévoles de l’Abbaye aux Dames, m’ont fait évoluer dans mon approche de l’avenir. C’est cette relation intime avec un lieu, une histoire, des équipes et des partenaires qui m’a été nécessaire pour affiner mes idées et mes projets et entrer en harmonie avec les potentialités extraordinaires de l’Abbaye aux Dames, la cité musicale de Saintes.

Pour autant, je souhaite que l’Abbaye aux Dames continue d’affirmer plus encore, son rôle d’hospitalité. L’hospitalité faite aux publics, aux touristes, aux artistes, aux partenaires, aux habitants de venir se ressourcer à la fontaine de jouvence que constitue l’Abbaye aux Dames. Créer, inventer, partager, former sont les maîtres mots que je veux employer quand j’imagine l’avenir. Vaste programme que de décliner ces quelques valeurs.

Je vous donne donc rendez vous dans les mois à venir pour découvrir les évolutions et les continuités que je vais construire avec tous ceux qui sont attachés à ce lieu si inspirant.

 

Quels sont vos coups de cœur musicaux du moment ?

Puisqu’il faut choisir, là encore, deux enregistrements m’accompagnent fortement ces dernières semaines :

Le fabuleux disque de La Tempête Hypnos…quel choc ! Cet ensemble et son chef, pour lequel j’ai une tendresse toute particulière ne cessent de me surprendre et de m’envouter.

Le Consort et son dernier enregistrement « Specchio Veneziano » autour de Vivaldi et Reali font aussi partie de mon quotidien.

Ces musiciens individuellement et collectivement font partie de cette génération qui vient, brillante, inventive, sensible qui participent de l’esprit du renouveau baroque, cher à Saintes, c’est-à-dire d’un mouvement qui n’a de cesse que de se réinventer.

 

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