Moins d’un salarié sur trois dans le secteur numérique en France, 18% des spécialistes des T.I.C. en Europe, à peine 7% des entrepreneur·e·s dans la Silicon Valley… Dire que les femmes sont sous-représentées dans la tech relève de l’évidence. Si révolte et indignation sont les réactions les plus immédiates, la compréhension du problème (pour qui c’en est un…) et la définition des modalités d’actions envisageables sont les leviers les plus constructifs. Alors, pourquoi en est-on là, et comment change-t-on la donne ?
Le propos n’est pas de rentrer dans le détail de la construction sociale inhérente à des siècles de paternalisme, ou d’extrapoler sur l’alternative à nos modèles hégémoniques qu’auraient pu représenter l’avènement de sociétés plus paritaires, voire matriarcales. De nombreux sociologues ont travaillé sur le sujet. Cependant, dans la tech, même s’il existe de plus en plus de rôles modèles, on retrouve encore relativement peu de témoignages sur l’inégalité pourtant prégnante entre femmes et hommes. Or, la prise de conscience passe aussi par là.
Les figures de l’ombre
Dans les années 60, l’organisation était la clé de voûte du secteur IT. Les femmes y étaient alors nombreuses. Ces « computer girls » comme le titrait un article d’avril 1967 du magazine américain Cosmopolitan, représentaient entre 30 et 50% des équipes et avaient l’avenir devant elles. Mais le développement exponentiel du secteur et les revenus considérables qu’il s’est mis à générer ont sonné le glas de cette répartition, et surtout entériné une réalité malheureusement toujours bien visible : les postes de direction étaient, et restent encore aujourd’hui l’apanage de leurs homologues masculins. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas exclusif à la tech. Le même mécanisme est au travail au tout début de Hollywood. Les femmes y étaient omniprésentes jusqu’à ce que le cinéma devienne une industrie fort lucrative. La prédation des hommes sur les richesses a dès lors commencé, reléguant les femmes à des fonctions mineures ou à des rôles de starlettes.
Toutefois, la contribution des femmes à la tech est historiquement loin d’être anecdotique. Les exemples d’avancées majeures dues à leur travail abondent. Citons pêle-mêle Grace Hopper, à l’origine du langage de programmation informatique COBOL et supposément des termes « bug informatique » et « débogage », Elizabeth Feinler, initiatrice de la nomenclature des dénominations des domaines .com, .gov ou .net entre autres, ou encore les ingénieures de la NASA Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson, qui ont calculé la trajectoire d’Apollo 11 et qui ont eu droit à leur biopic nommé aux Oscars.
Mais alors comment expliquer que le sujet soit toujours aussi déséquilibré aujourd’hui ? Si les années 50 à 70 sont clairement des époques dominées par une hégémonie masculine, de surcroît à tonalité machiste, ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Les femmes sont bien représentées dans les effectifs étudiants poursuivant de longues études et, dans d’autres secteurs, les indicateurs évoluent plus vite. Dans ce cas, pourquoi la tech est-elle à la traîne ?
Genrer la compétence ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la faible représentation des femmes dans la tech est fortement liée… à la faible représentation des femmes dans la tech. Plus sérieusement, les principaux freins sont les suivants : manque de modèles reconnus, méconnaissance des parcours inspirants, manque patent de manageuses susceptibles de faire naître des vocations. Pour ne rien arranger, même s’il y a un léger mieux, celles-ci sont moins médiatisées que leurs homologues masculins. Vouloir faire carrière dans la tech, pour une femme, revient donc encore trop souvent à se faire une place dans un monde hautement testostéroné. Ce n’est bien entendu pas toujours un élément bloquant, mais c’est à tout le moins un effort, pour ne pas dire un combat. Les femmes qui réussissent dans la tech sont des exemples, des battantes, mais une société peut-elle réellement justifier une telle iniquité quand la définition du mérite d’une personne a lieu essentiellement à partir de son genre ?
Dans son quotidien professionnel, une femme qui évolue dans le secteur de la tech est encore trop fréquemment en situation de minorité. C’est un paramètre de fort conditionnement. C’est également un biais de développement pour les entreprises du secteur. En se privant de façon si tangible d’une partie (pourtant majoritaire) de la population, elles se privent d’un point de vue et d’une expérience de vie forcément différents. Même en raisonnant de manière purement pragmatique, voire cynique, le manque à gagner est immense. À l’heure où les entreprises peinent à recruter des profils qualifiés, un plus juste équilibre des genres pourrait être un levier d’opportunités. Comme toutes les modifications profondes de l’équilibre social dans la sphère professionnelle, cette transition prendra du temps. Le temps que les jeunes étudiantes soient de plus en plus et de mieux en mieux sensibilisées aux (nombreux) métiers de la tech. Le chemin semble tout tracé, mais il est encore long. Car si les différents indicateurs montrent que le sujet entre de plus en plus dans les mœurs et que les effectifs évoluent vers davantage de diversité, tout ne va pas (encore ?) pourtant dans le bon sens…
Pink Washing : le rose, un sujet épineux
Tout est dans le texte… Pink Washing. Pink ? PINK ??? Oui, en 2023, pour décrire un phénomène de détournement d’une cause (en l’occurrence la diversité et l’inclusion), tout comme pour poursuivre des objectifs marketing ou commerciaux, on utilise… un cliché sexiste. En anglais, tout de même pour atténuer. Mais les idées reçues ont la peau dure. Et la terminologie n’est qu’un exemple, un révélateur parmi d’autres d’une réalité bien plus étendue. On pourrait sans doute faire beaucoup mieux que d’offrir systématiquement du rose aux femmes.
Célébrer la journée des Droits de la Femme par des actions ciblées pour les clientes (et renforcer ainsi l’exceptionnalité du statut des femmes dont l’importance se réduit symboliquement à une journée) n’est pas une façon de mieux défendre la place des femmes dans l’entreprise. Organiser des programmes de mentorat, des formations aux questions d’égalité femme-homme, de diversité et d’inclusion, si. La bonne nouvelle, c’est que les dynamiques sont prometteuses. Des associations aux groupes de paroles, en passant par les clubs, comme The Nine, les initiatives qui vont dans le sens non seulement d’une plus juste représentativité de la diversité dans la sphère professionnelle, mais aussi des modalités d’accès à celle-ci, se multiplient.
Comme d’autres secteurs économiques avant elle, la tech commence à assimiler que tout ce qui concerne les femmes n’est pas rose, de même que toutes les masculinités ne sont pas bleues, et qu’il serait plus que temps que la diversité soit un pilier davantage qu’une mesure. Il faudrait également souhaiter que ce type de tribunes n’ait plus sa place que dans les archives d’une époque depuis longtemps révolue. En d’autres termes, que la diversité soit plus qu’une nouvelle frontière, un nouveau guide pour la composition humaine de l’entreprise tech de demain.
Ainsi, tout pourrait être vraiment plus rose (et ceci n’est pas du pink washing !).
Tribune rédigée par Wilhelmine Dubuisson, Business & Account Manager chez Prodware.
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