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Faire une « BA » : de la bonne action au business attractif

On peut monter une belle entreprise, presque comme Monsieur Jourdain, sans le vouloir ! Tout part parfois d’un hobby ou d’une Bonne Action (BA) qui se transforme en business attractif.

Par Pierre Berthoux et Yves Derai – issu du numéro 24 d’automne 2023

Bien des patrons décident, à côté de leur affaires lucratives, de créer une entreprise dans un secteur qui les passionne. Certains investissent dans le foot, d’autres dans des vignobles, d’autres encore dans des industries artistiques. Pour le plaisir, comme dit la chanson… Mais il arrive que ces boites initiées en s’amusant deviennent des entreprises intéressantes, voire rentables. Que faire alors ? S’y impliquer encore plus ? Lever le pied et maintenir l’activité en hobby ? Vendre ? Nous avons rencontré trois chefs d’entreprise dont les danseuses sont devenues des business, Gérard Brémond, fondu de jazz, Kevin Bensoussan, fou de tequila, et Franky Mulliez, amoureux des vieilles pierres. Leurs récits sont édifiants.

Kevin Bensoussan

KEVIN BENSOUSSAN, TEQUILA ADDICT

« J’aimais la tequila, j’en buvais (sans excès) en soirée avec mes amis, j’étais devenu assez connaisseur » se souvient Kevin Bensoussan quand il raconte l’aventure Adicción. Ce jeune homme de 32 ans est associé avec ses deux frères dans une affaire de maroquinerie. Le trio possède plusieurs marques qui marchent bien, l’entreprise AKKtrade réalise 10 millions de CA annuels.

 

Mais le jeune homme est taraudé par une étrange envie, partager sa propre téquila avec ses potes. « C’est comme ça que tout a démarré il y a quatre ans » dit-il. Comme il ne sait rien faire en mode amateur, il se renseigne sur ce produit qui se déguste pur ou en cocktail et comprend assez vite que pour réaliser son rêve, il va lui falloir traverser la planète et atterrir dans ce beau pays qui a l’exclusivité de la fabrication de cette boisson aux saveurs multiples : le Mexique. Qu’à cela ne tienne, le maroquinier ouvre des bureaux à Mexico City et recrute un « maestro » pouvant le guider dans sa quête d’une tequila d’exception.

Car Kevin Bensoussan vise un produit de luxe.

 

La téquila de Bensoussan

 

Il acquiert quelques hectares de champs d’agave à Jalisco, l’une des deux régions avec Tequila habilitées à cultiver cette plante spectaculaire en vue de distiller de la tequila, comme on ne fabrique du champagne qu’en Champagne. En parallèle, il met au point une bouteille charmante, en céramique, avec un bouchon et un socle élégants, qu’il réalise en deux couleurs pour ses deux tequilas, une bleue et une orange. Les écueils ne manquent pas sur son chemin, administratifs, commerciaux et même de production, mais en chef d’entreprise déterminé, il les surmonte un à un et sort ses premières bouteilles en 2022. Une petite production de quelques centaines d’unités pour « kiffer avec les copains et fournir les bars qu’(il) fréquente à Paris et sur la Côte d’Azur ».

Les meilleures improvisations étant celles que l’on prépare, les bouteilles d’Adicción séduisent. Au point qu’assez vite, elles entrent dans les discothèques et, surtout, les établissements des deux groupes spécialisés dans les bars et restaurants festifs en commandent en quantité, Moma et Paris Society. La tequila « kevinienne » décolle. Les appels entrants se bousculent. Des distributeurs ouvrent les marchés internationaux. La « danseuse » de l’homme d’affaires devient un véritable business. Pour fournir, il doit d’ailleurs faire appel au « maestro », l’un des plus grands cultivateurs d’agave du pays. « Pour l’instant, on ne gagne pas d’argent parce qu’on réinvestit tout dans la R&D », explique Kevin, qui a lancé un mezcal et ajoutera deux autres tequilas à sa gamme, dont une hyper qualitative affinée 24 mois.

Kevin Bensoussan risque-t-il de devenir alcoolier à terme et lâcher la maroquinerie ? « Je ne pense pas, confie-t-il. Mais je voudrais qu’Adicción soit reconnue par le marché comme une tequila haut de gamme. Et que notre développement international assure son rayonnement. » En 2023, 20 000 bouteilles ont été écoulées et ce chiffre pourrait doubler dès 2024 avec la pénétration du marché asiatique programmée.

 

Gérard Brémond

GÉRARD BRÉMOND, POUR L’AMOUR DU JAZZ

Gérard Brémond est connu pour avoir fondé le prestigieux groupe Pierre & Vacances-Center Parcs et créé la station d’Avoriaz en 1967. Mais l’homme d’affaires est aussi connu pour son amour inconditionnel du jazz. À 86 ans, il est propriétaire de TSF Jazz et du Duc des Lombards.

Gérard Brémond a baigné dans le jazz dès sa prime jeunesse. Il explique avoir découvert son « compagnon de vie », notamment grâce au musicien Sidney Bechet qui a contribué à « porter le souffle lyrique de la Nouvelle-Orléans en France ». À cette époque, le jeune homme étudiait au lycée Janson de Sailly et utilisait son temps libre pour jouer de la guitare dans un orchestre amateur de jazz. 

Le Duc des Lombards, jazz club parisien appartenant à Gérard Brémond

Mais très vite, Gérard Brémond admet s’être rendu compte que, malgré ses fines connaissances musicales, son niveau créatif n’était pas à la hauteur. « Un jour de répétition, un ami musicien est venu, a pris la guitare et tout le monde s’est aperçu de la grande différence de niveau, reconnaît-il. Ce guitariste était un certain Sacha Distel, qui faisait partie d’un orchestre rival des lycées du 16e. »

Gérard Brémond reste passionné – il écrit en 1958 un article sur John Coltrane pour le magazine Jazz Hot – mais il renonce les années suivantes à faire carrière en tant que musicien professionnel. Il décide donc de reprendre les affaires familiales et fonde en 1967 Pierre & Vacances, qui deviendra un réel empire de l’immobilier de loisirs et du tourisme. « Je regrette ne pas avoir eu 10 % du talent et du génie de Django Reinhardt mais j’ai continué d’entretenir ma passion d’un point de vue entrepreneurial » affirme-t-il en faisant référence à ses rachats de la radio TSF Jazz et le club, le Duc des Lombards dans les années 2000. « J’ai appris que le propriétaire du Duc des Lombards à Paris était en faillite et que le lieu allait devenir un restaurant de moules-frites », se rappelle-t-il.

De TSF Jazz au Duc des Lombards

Si le Duc des Lombards peine à trouver une rentabilité stable sur le long terme du fait de sa jauge limitée à 70 personnes et le challenge d’une programmation internationale sur l’année, c’est bien grâce aux synergies entre le Duc des Lombards et TSF Jazz que l’équilibre peut être atteint. Avec près de 1 300 000 auditeurs par semaine et un chiffre d’affaires de 2,6 millions d’euros sur la saison 2022-2023, celle-ci est devenue la première radio jazz en Europe et va fêter très prochainement ses 25 ans. « Depuis quelques mois, le Duc des Lombards connaît une excellente fréquentation », relativise Gérard Brémond. « Le public a soif de concerts depuis la fin de la crise de Covid. » Le club a enregistré un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros cette saison avec un total de 25 000 billets vendus.

Même constat du côté des 450 festivals de jazz organisés dans l’Hexagone à ce jour, qui attirent beaucoup de monde, selon l’homme d’affaires. Parmi les plus emblématiques, le Nice Festival Jazz, dont la programmation artistique est assurée par le Duc des Lombards et TSF Jazz depuis dix ans. Son premier festival TSF Jazz organisé à Chantilly a également été un succès. L’édition 2023 a toutefois dû être reportée à l’année prochaine à cause de « l’explosion des coûts de production dans le spectacle vivant ».

 

Franck Mulliez

FRANCK MULLIEZ, UNE PASSION POUR LES VIEILLES PIERRES

Propriétaire d’Auchan, Leroy Merlin et Decathlon entre autres enseignes, la dynastie Mulliez fait partie du haut du panier des fortunes françaises. Le très discret cousin de la famille, Francis Mulliez (dit « Franky ») a accepté de nous en dire plus sur son investissement-passion, l’immobilier historique. 

L’idée de diversifier son business est venu il y’a dix ans alors que Franky Mulliez vivait en Suisse. « Mon médecin m’avait dit que si je voulais vivre, il me fallait du stress, s’amuse-t-il. Les aigles de ma famille ont pris leur retraite et sont morts d’ennui, moi je n’ai pas choisi cette voie-là. » Ainsi, lorsque Franky Mulliez lâche Kiloutou, il décide de conjuguer son temps libre avec son amour pour les objets d’art, les beaux paysages et les vieilles pierres. Avec les liquidités récupérées lors de la vente de ses parts de Kiloutou, il rachète en 2018 le château de Dampierre-en-Yvelines, au cœur de la vallée de Chevreuse. Avant cela, il s’était également offert une ferme du XVIIe près de Lille (il avait alors 30 ans) puis le château de Bannes, en Dordogne, quinze ans plus tard.

Francky Mulliez aurait pu profiter de sa retraite dans le calme. Mais à 76 ans, il s’est lancé dans la restauration du château de Dampierre-en- Yvelines. Si l’enceinte doit être ouverte au public d’ici 2025, les parcs et jardins alentours ont attiré plus de 60 000 visiteurs en 2022 (générant environ 400 000 euros de revenus). « Je n’y habite pas directement car je tiens à préserver ma vie privée et j’ai même installé mon bureau dans les écuries », ajoute-t-il.

 

Château de Dampierre-en-Yvelines

 

Franky Mulliez est par ailleurs décrit comme un « homme simple et très accessible » qui entretient une relation de proximité avec ses artisans. « J’ai découvert qu’il y avait un avantage fiscal pour les industriels en retraite qui font acquisition de monuments classés. Cela me permet de financer les travaux et assurer un salaire décent à mes jardiniers, menuisiers et maçons », explique- t-il. Il assure d’ailleurs militer sur ce sujet : « J’ai expérimenté chez Kiloutou la mise en place d’undividende salarié alors que mes associés étaient tous contre. Tout le monde a eu la même prime pendant un an et cela a rendu beaucoup de cadres furieux. »

Un goût pour le vin… et l’équilibre financier !

En 2018, Franky Mulliez a aussi fait l’acquisition du château Cluzeau, à Sigoulès- et-Flaugeac, et ses 14 hectares de vignes. Chaque année, la récolte est estimée à environ 25 hectolitres par hectare et le prix moyen des bouteilles vendues sur le marché est de 5 euros. L’objectif reste pour l’entrepreneur de vendre du « vin de plaisir assez léger, typique du Bergeracois mais différent des appellations reconnues du secteur ».

Mais voilà que l’industrie du vin traverse une crise sans précédent depuis la crise sanitaire, accentuée par une baisse de la consommation de vin rouge, une crise commerciale avec la Chine ainsi que la guerre en Ukraine et l’inflation. « Le vin ne se vend plus comme avant et il faut que j’arrive à faire vivre cette entreprise » martèle Franky Mulliez. Derrière sa passion pour les vignobles, il reste avant tout un businessman qui recherche l’équilibre financier à moyen et long terme.

 

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