Plus de 65 000 entreprises ont fait faillite en 2024, soit une hausse de 15% par rapport à 2023. Laïd Estelle Laurent, avocate associée responsable de la pratique restructuration des entreprises du cabinet Jeantet, explique quels sont les dispositifs que peut mettre en place un entrepreneur pour éviter de se retrouver dans cette situation.
Pensez-vous que l’augmentation des défaillances d’entreprises est liée à la forte hausse de créations d’entreprises depuis 2020, notamment par des entrepreneurs peu expérimentés ?
Laïd Estelle Laurent : Cela peut être un facteur, mais ce n’est pas la principale raison. Certes, la pandémie a poussé beaucoup de personnes à se lancer dans l’entrepreneuriat, parfois sans réelle préparation. Cependant, les formations proposées par les chambres de commerce ou autres organismes permettent de combler certaines lacunes.
D’expérience, les défaillances touchent plus majoritairement des entreprises existantes depuis plusieurs années, dont le modèle économique est devenu obsolète par des phénomènes conjoncturels ou structurels. Par exemple, des entreprises du secteur immobilier touchées par la hausse des prix des matières premières et celle des taux d’intérêts et de l’inflation, de nombreuses marques dans le secteur du « retail » ont souffert des changements de mode de consommation, de nombreuses start-up financées par des levées de fonds dans l’attente de la maturité de leur produit pour générer un chiffre d’affaires ont également été touchées par le gel des financements de la part de leurs investisseurs.
C’est donc davantage une question d’adaptation aux mutations économiques qu’un simple problème de manque d’expérience des nouveaux entrepreneurs
Le nombre de défaillances d’entreprises a dépassé les 65 000 en 2024, un chiffre record depuis la pandémie de Covid. Quelles sont les étapes à suivre pour éviter d’arriver à ce stade ?
L.E.L: Le premier conseil que nous donnons aux dirigeants est d’anticiper la crise au maximum. Un dirigeant doit surveiller ses indicateurs financiers de près, par la mise en place d’un tableau de bord, avec des prévisions à six mois, un an a minima. Dès qu’une baisse de chiffre d’affaires est détectée, surtout si elle est inexpliquée ou liée à une tendance conjoncturelle, il faut réagir rapidement en ajustant ses charges et en préservant sa trésorerie.
Il ne faut pas attendre d’être dans une situation irrémédiable, en état de cessation des paiements, c’est-à-dire lorsque l’entreprise n’est plus en mesure de couvrir ses charges avec son actif disponible, pour agir et prendre certaines mesures.
Pour éviter cette situation, il est crucial d’entrer en négociation avec certains créanciers ou contractants pour préserver la trésorerie. Si ces discussions ne suffisent pas, il est fortement conseillé de s’entourer de conseils spécialisés et se placer sous la protection du tribunal qui peut nommer un mandataire ad hoc ou un conciliateur qui aura pour mission d’aider l’entreprise à sortir de ses difficultés.
En résumé : anticipez et n’hésitez pas à solliciter des conseils spécialisés en restructuration. Ce domaine est complexe et nécessite une réelle expertise. Il ne suffit pas de théories apprises dans des livres, mais bien d’expérience pratique pour accompagner les entreprises en difficulté.
Quels outils sont à la disposition des entreprises en difficulté pour trouver des solutions préventives ?
L.E.L : Deux outils majeurs sont le mandat ad hoc et la conciliation. Ces procédures sont amiables, confidentielles et très efficaces. Elles visent, avec l’aide d’un mandataire ad hoc ou d’un conciliateur, à négocier avec les créanciers et cocontractants des accords permettant d’éviter la cessation des paiements. Ces dispositifs très efficaces permettent d’éviter l’ouverture de procédures collectives plus contraignantes.
Que faire lorsqu’on commence à accumuler des dettes, notamment fiscales ?
L.E.L : Il existe plusieurs options selon la nature des dettes. Par exemple, la Commission des Chefs de Services Financiers (CCSF) peut être saisie pour traiter globalement les dettes publiques. Cette commission regroupe des créanciers tels que le Trésor Public, l’URSSAF ou encore les caisses de retraite, afin d’élaborer un plan de restructuration global pour régler ces dettes.
La CSSF peut être saisie indépendamment d’une procédure collective ou d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation. C’est un outil efficace pour centraliser et accélérer les discussions avec les créanciers publics.
Quant à l’URSSAF, elle avait adopté une approche plus souple après la pandémie en suspendant toute mesure de recouvrement des cotisations sociales permettant aux entreprises de préserver un peu de leur trésorerie, mais depuis fin 2023, elle a repris activement ses actions de recouvrement. Cela dit, elle propose des échéanciers automatiques pour les entreprises en difficulté, accessibles directement via leur plateforme. Il est également possible de négocier un échéancier de paiement personnalisé avec l’URSSAF.
Pour les entreprises qui n’ont pas les moyens de s’entourer de conseils juridiques, le tribunal de commerce peut également être un point de départ. Il propose des services de prévention où les dirigeants peuvent obtenir des orientations pour choisir la procédure adaptée à leur situation
Et si l’entreprise ne peut plus éviter la cessation des paiements ?
L.E.L: Dans ce cas, on entre dans le domaine des procédures collectives, comme le redressement judiciaire ou si le redressement de l’activité n’est pas possible, la liquidation judiciaire. Toutefois, avant cela, la sauvegarde peut être une option possible et conseillée, sous réserve de ne pas être en état de cessation des paiements au jour de la demande. Elle permet de geler l’ensemble des dettes échues tout en poursuivant son ’activité pendant un maximum de 12 mois, à l’issue desquels un plan de sauvegarde peut être proposé aux créanciers pour le remboursement échelonné de leurs créances. Cette procédure permet de préserver la trésorerie de l’entreprise et favorise la restructuration sous la supervision d’un administrateur judiciaire.
Bien que la sauvegarde puisse effrayer certains dirigeants en raison de la publicité qui l’accompagne, elle reste un outil très efficace et sécurisant pour les partenaires de la société. Les actes passés sous cette procédure sont encadrés par la loi et supervisés par un administrateur judiciaire qui engage sa responsabilité si des dettes sont contractées durant la procédure.
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