Il semblerait que l’audition de Mark Zuckerberg devant le Congrès américain la semaine dernière ait connu un succès retentissant. C’est tout du moins ce que nous indique la capitalisation boursière de Facebook qui a augmenté de 34 milliards de dollars (27,5 milliards d’euros) en seulement quelques jours. Durant cet interrogatoire, quelques révélations ont eu l’effet d’une bombe. Le PDG de Facebook a eu l’occasion de réitérer son acte de contrition qui est maintenant bien rôdé, car il tient désormais le rôle de repentant en chef au sein de son entreprise. Des douzaines de représentants du Congrès se sont montrés honnêtes, voire scandalisés. La presse a eu le plaisir de donner la définition des termes tels que « profils fantômes » ou « cookies ». Alors que des millions d’utilisateurs de la plateforme remise en question n’ont pas prêté attention à l’audition, préférant partager des photos de leurs petits-enfants ou de leurs animaux de compagnie sur cette même plateforme. Pour résumer, des millions de personnes ont continué leur vie, avec leurs habitudes et leur petit confort, bien installés dans le monde de Mark Zuckerberg.
Dorénavant, il est de notoriété publique que l’appétit vorace de Facebook pour les données des utilisateurs n’est que le reflet de son modèle économique, qui consiste à faire payer les annonceurs publicitaires pour cibler précisément certains segments de son énorme base de données de consommateurs. Facebook est le champion toutes catégories en termes de données personnelles de consommateurs.
Au cours de l’audition, différents membres du Congrès ont demandé à Mark Zuckerberg s’il pensait modifier un jour le modèle économique de la plateforme. Voici un extrait de l’échange durant lequel Mark Zuckerberg a tenté d’esquiver la question, avant de refuser clairement d’y répondre.
Anna Eshoo (Californie) : Souhaitez-vous modifier votre modèle économique afin de protéger les données personnelles des utilisateurs ?
Mark Zuckerberg : Madame, nous sommes en train, avons et continuerons d’adapter notre plateforme afin de réduire…
Anna Eshoo : Non, souhaitez-vous modifier votre modèle économique afin de protéger les données personnelles des utilisateurs ?
Mark Zuckerberg : Madame, je ne suis pas sûr de saisir le sens de cette phrase.
Frank Pallone (New Jersey) : Répondez par oui ou par non si vous le pouvez. Prenez-vous l’engagement de changer tous les paramètres par défaut des utilisateurs afin de minimiser, autant que possible, la collecte et l’usage de leurs données personnelles ?
Mark Zuckerberg : Monsieur, c’est une question complexe à laquelle je ne peux pas répondre simplement par oui ou par non.
Faux-fuyants et réponses toutes faites mises à part, voici la réponse de Mark Zuckerberg : non. Et ce, pour deux bonnes raisons.
Tout d’abord, Facebook a sans doute créé le meilleur modèle économique du monde, grâce au tiercé gagnant : la grande échelle, la croissance importante et les marges élevées ; tiercé encore inégalé par les grandes entreprises telles que Google, Amazon, Apple ou encore Netflix. Le succès financier effarant de Facebook se résume à ces quelques chiffres : 50/50/50/500. C’est-à-dire, un chiffre d’affaire annualisé de 50 milliards de dollars (40,40 milliards d’euros) qui croît de 50 % par an avec une marge opérationnelle de 50 %, ce qui génère une capitalisation boursière de 500 milliards de dollars (404 milliards d’euros).
Toutes les entreprises rêvent d’opérer avec des conditions similaires :
- des matières premières gratuits (les utilisateurs et les entreprises fournissent le contenu gratuitement),
- pas de dépenses pour le marketing (le bouche-à-oreille des utilisateurs et les effets d’un réseau viral stimulent une croissance constante),
- pas de frais pour la vente (la plupart des annonces sont achetées via une plateforme automatisée en self-service).
Si vous étiez responsable d’une telle poule aux œufs d’or, souhaiteriez-vous en changer ?
Certains représentants du Congrès se sont tout de même demandé pourquoi Facebook ne pourrait pas remplacer ce modèle par un système de plateforme payante, étant donné que le service offert par la plateforme à ses deux milliards d’utilisateurs est si précieux. Mark Zuckerberg a répondu à cette question en ressassant la même litanie sur la mission de Facebook : « donner le pouvoir aux utilisateurs de construire une communauté et d’unir le monde entier », et comme l’a expliqué le PDG, cela ne peut fonctionner que si la plateforme est gratuite.
Le fondateur de Facebook a insisté sur cette thématique lors d’une joute verbale récente l’opposant à Tim Cook, le PDG d’Apple, qui avait publiquement reproché à Facebook de commercialiser l’accès à des données. Mark Zuckerberg avait alors réagi en qualifiant ces propos d’incorrects :
« La réalité est la suivante : si vous souhaitez proposer un service permettant de connecter toutes les populations du monde entre elles, il y a malheureusement beaucoup de personnes qui ne peuvent pas se permettre de dépenser de l’argent pour ça. Alors, tout comme de nombreux médias, notre modèle repose sur les annonces publicitaires, et c’est actuellement le seul modèle compatible avec ce service ».
La seconde raison pour laquelle Facebook ne changera pas de modèle commercial, c’est que les annonceurs publicitaires sont prêts à payer bien plus cher pour envahir la vie privée des utilisateurs que ces derniers ne souhaitent le faire pour protéger leurs données personnelles.
Pour ce rendre compte de ce phénomène, imaginez qu’en 2017, en Amérique du Nord, Facebook a touché un revenu annuel moyen par utilisateur de 84,41 $ (68,32 €). Pour gagner autant d’argent avec une plateforme payante, Facebook devrait demander à ses utilisateurs, une cotisation à la hauteur de ce revenu moyen. Combien de membres de la communauté Facebook seraient prêts à payer cette somme pour se débarrasser des publicités et protéger leurs données personnelles ? Très peu. Une récente étude menée auprès des utilisateurs de Facebook a découvert que moins de 10 % d’entre eux accepteraient de payer une somme équivalente au revenu moyen par utilisateur pour bénéficier d’un service sans publicités. De ce fait, si Facebook décide de facturer cette somme à ses utilisateurs, sa communauté réduira comme peau de chagrin. Les utilisateurs fidèles verront alors leur cotisation multipliée par dix afin de compenser le départ de 90 % des utilisateurs. Alors, que pensez-vous d’une plateforme libre de toute publicité mais dont l’abonnement annuel coûte près de 1 000 $ (800 €) et dont la base d’utilisateurs serait divisée par dix ? Comme l’a fait remarqué Mark Zuckerberg : « C’est ridicule ! ».
Facebook dispose d’arguments convaincants en faveur du maintien de ce modèle économique. Alors pourquoi Mark Zuckerberg justifie-t-il les pratiques commerciales de son entreprise en la comparant à « de nombreux médias » ? En réalité, le réseau social s’est accaparé leur lectorat et a drainé les revenus publicitaires des entreprises médiatiques. Ces dernières ont dû se tourner vers des systèmes d’abonnement afin de survivre.
Au cas où il subsisterait un doute dans votre esprit quant à la détermination de Facebook à conserver son modèle économique, jetez un œil à la page d’accueil de la plateforme qui affiche sa promesse : « C’est gratuit (et ça le restera toujours) ».
Alors, si le modèle économique de Facebook est idéal pour l’entreprise et ses actionnaires, qu’en est-il des utilisateurs ? S’il fallait retenir une seule chose de l’audition de Mark Zuckerberg, ce serait que les risques sociétaux générés par Facebook, et les autres plateformes de réseaux sociaux, sont plus importants que jamais, et il est désormais très peu probable qu’ils s’estompent.
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