La pandémie n’est pas finie que nous voici en crise. Dans la série d’entretiens Face au Virus, Forbes échange avec les hommes et les femmes qui travaillent aux adaptations nécessaires.
Les outils collaboratifs se sont généralisés en période de confinement. Mais sans une démarche d’organisation structurée, où chaque collaborateur voit ses responsabilités clairement définies, les entreprises ne pourront gérer efficacement l’après-confinement, selon Christophe Legrenzi, CEO d’Acadys.
Forbes. Que va-t-il rester du confinement et du «déconfinement» ?
Christophe Legrenzi. D’abord une refonte des modèles d’organisation de l’entreprise. Tout le monde s’accorde à dire que le confinement accélère la transition numérique, et c’est vrai au moins en ce qui concerne le télétravail. Face à la situation inédite que nous vivons actuellement, certains dirigeants semblent tentés de penser qu’avec la panoplie d’outils de visioconférence, de messagerie instantanée et de partage de dossiers dont sont équipés leurs collaborateurs, leur entreprise est sauvée et peut fonctionner de manière optimale. A contrario, certaines entreprises ont dû arrêter leurs opérations, faute de savoir partager les outils métiers. Le pression pour la modernisation du système d’information est donc forte. Mais il ne faut pas confondre la logique d’outillage avec la démarche d’organisation. Une entreprise peut très bien être suréquipée mais ne pas être organisée du tout. C’est le paradoxe de Solow : on peut voir avancer l’ère informatique partout, sauf dans les statistiques de productivité. Aujourd’hui, les sociétés qui fonctionnent le mieux en confinement sont celles qui, au-delà de l’équipement de leurs salariés, ont défini des rôles et des responsabilités et ce, dans une quadruple logique : responsabilisation, subsidiarité, confiance et autonomie. Celles-là pourront préserver les gains de temps et d’efficacité pendant le dé-confinement.
Forbes. Responsabilisation, subsidiarité, confiance et autonomie : vous citez les piliers de l’entreprise libérée..
Christophe Legrenzi. En effet, l’entreprise libérée est un modèle d’organisation, quand tout le monde télétravail, bien plus efficace que le modèle hiérarchique. Les collaborateurs et les collaboratrices nouvellement autonomes ne sont plus une vaine conception théorique mais une nécessité. La prise d’initiative et le sens de la responsabilité de chacun contribuent à la bonne poursuite des activités. Pour y parvenir, il faut tout d’abord déterminer les missions des différents organes de gouvernance : CODIR, COBIZ, COMOP, COR&D… Cela permet d’être immédiatement opérationnel. Il est ensuite nécessaire de bien définir les rôles et responsabilités de chacun. Par exemple, dans le secteur du conseil, il est indispensable de préciser le rôle de directeur de mission, de business leader, de practice leader, de facilitateur et de contributeur. Les collaborateurs se retrouvent ainsi à la tête de leur propre domaine. Chacun sait ce qu’il a à faire. Il en va de même dans bien des secteurs : entreprise confinée, mais entreprise libérée !
Forbes. Concrètement, comment cela se passe ?
Christophe Legrenzi. Dans l’entreprise libérée, nous sommes dans un modèle maillé: chaque partie, quand elle travaille pour elle-même, contribue également à la valeur de l’ensemble. Chaque acteur a un rôle à jouer.Plus on parvient à rendre les collaborateurs autonomes, tout en restant conscient de faire partie d’un écosystème, plus on converge vers des systèmes de fonctionnement optimaux. Particulièrement pendant les périodes où les gens travaillent à distance, ne se voient plus. La logique de subsidiarité est fondamentale. Elle consiste à considérer par principe que la décision appartient à celles et ceux qui – sur le terrain – sont confrontés aux problématiques auxquelles ils ou elles doivent apporter une réponse. La subsidiarité rend les circuits plus courts, elle optimise l’agilité globale de l’organisation.
Forbes. Quels sont les inconvénients de cette démarche ?
Christophe Legrenzi. Mettre en place l’entreprise libérée, avec ses principes d’organisation et de structuration, ne dispense pas de tenir compte des inconvénients du télétravail. Quand on aime les relations humaines, les contacts sociaux, on peut voir son humeur se rembrunir à force de ne voir personne (ou peu de monde). Qui plus est, le fait de ne plus pouvoir poser une question rapide à un collègue, en « passant une tête » dans un bureau, pour recueillir un simple avis informel dont la réponse rassure, peut être source de stress et de démotivation. Pour pallier ces désavantages, il est crucial de ritualiser les moments de communication avec les collaborateurs. Création d’un « café virtuel » du matin, de réunions expresses à chaque fois qu’un anniversaire est à souhaiter, de séances de coaching sportif entre collègues, de partage d’astuces pour bien travailler de chez soi, des séances de formation ‘flash’ ou des meilleures vidéos, blagues et gifs pour mettre un peu de « fun » et s’aérer l’esprit… L’imagination est, en la matière, sans limite. Encore faut-il permettre à cette imagination de s’exprimer pleinement.
Propos recueillis en confinement, à partir d’une proposition de Christophe Legrenzi, le 6 mai 2020
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