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Et si l’industrie apprenait à rejouer ?

L’industrie, à force de rigidité, s’effrite lentement. Les délais s’étirent, les stocks s’éloignent, les produits se ressemblent tous. Ça craque de partout. Et pendant ce temps, dans les salons, des enfants posent des briques Lego ou empilent des blocs Minecraft pour bâtir leurs propres empires. Sans process, sans délai. Avec envie. Et si, finalement, ils avaient tout compris avant nous ?

Une contribution de Julian Jacob, entrepreneur franco-américain autodidacte, fondateur de Wyncor, et membre du jury de l’émission “Qui veut être mon associé ?” sur M6

 

En 1932, en pleine débâcle économique, un menuisier danois du nom d’Ole Kirk Christiansen bricole des jouets pour ne pas sombrer. Il crée, sans le savoir, un écosystème. Aujourd’hui, Lego n’est pas juste un jouet. C’est un modèle. Un modèle modulaire, souple, intelligent. Tout ce que notre industrie n’a plus le courage d’être.


Pendant que nos chaînes logistiques traînent les pieds entre deux ports saturés, des enfants montent et démontent sans délai ni dépendance. Ils expérimentent. Ils réajustent. Ils inventent, sans avoir besoin de produire. Le monde tourne, et eux ne se contentent pas de suivre : ils construisent sans attendre.

En face, l’industrie, la vraie, celle des grandes personnes, continue de croire que la lourdeur est gage de sérieux. Des entrepôts géants, des process figés, des cycles longs comme une année sabbatique. Et au bout du tunnel ? Des palettes d’invendus, des campagnes de déstockage, et des marges qui fondent comme neige au soleil. On dirait un Tetris mal joué : les pièces s’empilent au mauvais endroit, et tout menace de s’écrouler.

Mais il existe une autre voie. Celle des briques. Pas celles des murs, celles des systèmes qu’on assemble. Une logique de montage plutôt que de production brute. Un état d’esprit qui préfère l’adaptation au verrouillage. Une industrie plus humble, qui accepterait enfin de redevenir un jeu.

 

Le prototype n’est plus un brouillon

 

Le prototype, lui, a déjà changé de camp. Avant, c’était un objet rare, conçu dans le silence des labos, à l’abri des regards. Désormais, c’est un fichier. Léger, partageable, modifiable. Il circule, il vit, il évolue sans attendre l’aval d’un comité de direction. Il est le produit avant le produit, la version zéro diffusée à la vitesse de la curiosité.

Et parce qu’il circule, il parle. Il mesure l’intérêt, déclenche des retours, sonde l’envie. La précommande devient alors bien plus qu’un levier commercial. C’est un capteur. Une lecture directe du marché. Une manière de savoir avant de faire, de répondre avant de fabriquer.

Dans cette nouvelle logique, produire n’est plus un coup de poker. C’est un ajustement. On n’avance plus à l’aveugle. On observe. On écoute. Puis on agit. L’usine n’est plus un temple sacré qu’on mobilise par principe. Elle devient une extension, une conséquence.

Mais pour que tout cela fonctionne, encore faut-il revoir les coulisses. Exit les chaînes linéaires et segmentées. Place aux réseaux modulaires. On pense la logistique comme un ensemble de nœuds mobiles : la création ici, la fabrication là, la distribution ailleurs — sans que rien ne soit figé.

 

La chaîne devient un jeu de réseau

 

Chaque maillon peut vivre sa vie, être dupliqué, déplacé, supprimé. Ce n’est plus une ligne, c’est une toile. Et dans cette toile, Lego, Minecraft, Roblox ne sont plus des jeux, mais des démonstrateurs industriels grandeur nature.

Ils nous montrent que l’on peut construire sans plan unique, ajuster sans perte, lancer sans s’enliser. Et si ça fonctionne pour eux, pourquoi pas pour nous ?

 

Alors non, cette tribune ne parle pas de jouets. Elle parle d’un futur possible. Un futur où produire ne serait plus synonyme de bloquer, mais de débloquer. Un futur où le bon sens industriel ressemblerait à ce que l’on fait de mieux quand on a dix ans et une boîte de briques.

Une industrie qui rejoue, ce n’est pas une industrie qui régresse. C’est une industrie qui retrouve la possibilité d’essayer. Et de rater, peut-être. Mais aussi d’inventer, encore.

 


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