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Et si la RSE était un label chrétien ?

RSE
Christian life crisis prayer to god. Woman Pray for god blessing to wishing have a better life. woman hands praying to god with the bible. begging for forgiveness and believe in goodness.

Depuis l’invention du commerce, le marché prend la forme du monde avec lequel il interfère. L’offre épouse la demande et l’oriente et les comportements de consommation entraînent le marché dans un tourbillon duquel il peine à sortir et à se réinventer. Les comportements responsables doivent plus que jamais s’appliquer à la sphère sociale et économie  de l’entreprise (RSE), et les principes de gouvernance sont désormais normés avec des modèles d’évaluation de plus en plus exigeants (Iso 26000, B Corp…).

 

Le commerce en mutation(s)

Pour le Prof. Olivier Badot, avec le développement de « l’ubérisation » et des transactions via les réseaux sociaux, les mutations s’accélèrent et chahutent les modèles économiques et les positions de marché. Pour le chercheur, il convient de s’interroger sur les évolutions sociales et sociétales ainsi que sur les nouvelles règles pour attirer le client. Ces deniers, et surtout les jeunes générations, sont très sensibles aux principes de la RSE (responsabilité sociale/sociétale des entreprises) et du management bienveillant. Mais tentons de déterminer les grandes périodes qui ont rythmé le commerce.

Au XIXe siècle on observe différents cycles qui aboutissent progressivement à la prise du pouvoir du consommateur sur les entreprises : les cartes sont redistribuées. Pour Makower, les années 60 peuvent être considérées comme une période de « réveil », les années 70 comme celles de « la prise de conscience et daction », les années 80 comme la période de la « responsabilité » et, enfin, les années 90 comme l’époque du « pouvoir sur le marché ». Le XXIème siècle est celui de la prise de conscience collective de limpact de lindividu sur le monde, cest pourquoi il a structurellement introduit la notion de valeur dans la consommation. Du reste, déjà en 1953, Howard R. Bowen, abordait dans son ouvrage « Social Responsibilities of the businessman », cette notion de Responsabilité Sociale des Entreprises où il avançait la thèse dun ancrage chrétien de l’éthique dans lentreprise. La RSE sinscrit donc dans une tradition de philanthropie corporative qui répond tout autant à une inspiration religieuse protestante, comme sauver son âme dans lau-delà, qu’à des enjeux pratiques, comme fidéliser une main-d’œuvre compétente (Jean Pascal Gond et Jacques Igalens, 2014).

 

Le consommateur chrétien face aux changements des modes de consommation

« Notre sort est indissociable de celui de l’environnement. Arrêtons de nous croire au-dessus ou au-dehors » Pierre Rabhi. Le consommateur chrétien et le nouveau consommateur « green » seraient-ils motivés par les mêmes leviers ? L’émergence de la volonté quotidienne d’exprimer son attachement au bien-être moral définit l’action éthique, totale ou partielle, du consommateur et façonne ses rituels de consommation, les magasins qu’il décide de fréquenter et, enfin, son menu une fois attablé. Pour Newholm et Shaw, la consommation éthique et durable a été définie comme « un comportement réalisé par des consommateurs soucieux des problématiques environnementales et sociétales et souhaitant rendre le monde meilleur ». S’il est évident que le consommateur actuel est en quête de sens, il ne consomme plus une offre, il consomme également un écosystème, un projet et souhaite donner à sa consommation une expérience, une sensibilité que les modèles marketings traditionnels appréhendent avec difficulté.

 

Cela impose aux stratèges de l’entreprise d’intégrer ces nouveaux contextes afin de délivrer un marketing qui dépasse le « produit » et qui est davantage orienté « valeurs ». Ce nouveau paradigme de la consommation exige des décideurs du marketing qu’ils aient un attachement permanent à l’éthique et à la durabilité dans la création de leur offre. De son côté, le consommateur va chercher à satisfaire des besoins moins rationnels et tangibles, au profit de limportance quil donne aux normes de lidéal. Ainsi une offre plus chère, lui bénéficiant moins économiquement, pourra être privilégiée dans le cadre où elle satisfait la vision quil a du parfait. Si le consommateur a le besoin d’exprimer ce qui l’anime dans sa consommation, il est du devoir du marché de lui en donner la possibilité. Les grandes enseignes alimentaires l’ont bien compris : puisque le consommateur a des attentes en termes de valeur(s), il revient aux producteurs de fournir le marché en  produits éthiques, moraux, que les category manager s’empresseront de référencer.

 

Mais si les chrétiens nont pas dimpératif de consommation labellisée, comme nous l’évoquerons ci-dessous avec la question centrale des interdits alimentaires, il existe des règles que le chrétien sefforce de respecter afin que ces valeurs spirituelles s’expriment dans son comportement et par conséquent dans sa consommation. « La recherche dune consommation éthique, en circuit court, avec un impact réduit sur lenvironnement, en privilégiant les marchés, petits supermarchés et coopératives, sil a les moyens dy accéder. »

Pour Jacques, prêtre orthodoxe interviewé en avril 2021 par Antoine Bertheux dans le cadre de ses recherches doctorales, une corrélation de valeur existe donc entre la protection de l’environnement et la démarche chrétienne. Si depuis quelques années les produits de saison sont devenus incontournables, il n’en demeure pas moins vrai qu’une restructuration complète et progressive de l’assortiment est observable dans les rayons afin de transformer le magasin en véritable temple de la consommation vertueuse doté d’argumentaires commerciaux bien ciblés.

Le mot temple n’est pas une coïncidence. Notons à cet effet que 83% des managers des magasins sont régulièrement sollicités afin daugmenter le nombre de produits à caractère religieux dans leurs rayons et 91% des magasins distribuent une promesse spirituelle à travers leurs offres dans des rayons spécifiquement dédiés à un culte. Ces résultats sont issus d’un questionnaire administré par Antoine Bertheux auprès de 12 directeurs de magasin d’Ile-de-France, en mars 2021, dans le cadre de sa recherche doctorale au sein de la chaire Mutation(s) et Agilité(s) de l’International Management School Geneva.

Il semble donc légitime dassocier à « ces bonnes pratiques chrétiennes » la RSE qui, avec ses vertus durables, participe à l’adéquation entre l’assortiment éthique et l’offre chrétienne compatible. Les consommateurs ont des attentes bien précises. S’ils savent ce qu’ils veulent, et surtout ce qu’ils ne veulent pas, la consommation doit les conforter dans ce qu’ils sont et ce qu’ils souhaitent renvoyer comme image.

Alors, avec beaucoup d’humilité, attachons nous à retracer le cheminement de ce qui nous amène à penser que RSE et christianisme sont indissociables et à comprendre pourquoi le consommateur est de plus en plus séduit par l’argumentaire RSE d’essence chrétienne et souvent sans le savoir.

 

Tout doit être séparé

Un interdit alimentaire, le casher ou le rituel chez les juifs.
Le casher ou Kasher définit ce qui est pur ou impur chez les hébreux

 

Les grands mouvements alimentaires, qui s’affirment depuis une dizaine d’années dans la société, laissent entrevoir des croyances préétablies qui provoquent de véritables situations cristallisées. Ces « nouvelles religions » déchaînent les passions et divisent les convives en présence, ce qui est un comble sur le plan étymologique. Oui, nous pouvons affirmer que ces mouvements qui reposent sur la nourriture se posent en nouvelles religions, voire sectes pour ceux dont les adeptes n’hésitent pas à se « couper du monde par des pratiques » avec un dogmatisme parfois effrayant.

 

Cela étant, cette idée de séparer est une posture qui remonte à la genèse de nos civilisations avec, entre autres, l’apparition, très tôt, de rites alimentaires. En effet, dès les premiers hommes, on ne pouvait se délecter de l’animal totem car cela aurait signifié que l’on mangeât un membre de la tribu ou du clan.  Plus tard, chez les hébreux, le Kasher (permis et rituel, conforme à la Loi) et le kashrout (ensemble des lois de purification) sont des principes fondamentaux. Outre l’interdiction de consommer du sang, de ne pas cuire le veau mêlant le lait, la nourriture est classée en tahor (pur) et tamè  (impur). Le Lévitique, troisième livre de la Thora définit très clairement les aliments selon ces deux catégories. Chez les musulmans, la différence entre aliments « licites » ou « illicites » se traduit par Halal et Haram. Chez les chrétiens, on retrouve un vague interdit décrété par le pape Grégoire III en 732, concernant l’hippophagie, mais il sagissait tout simplement de distinguer les chrétiens des barbares, Mongols et autres peuples cavaliers dEurope du Nord qui mangeaient leurs montures. L’argument avancé par le sociologue Jean-Pierre Poulain pour lequel il nest pas question, ici, de pureté est donc tout à fait cohérent.

Hallal ou Haram, l'interdit alimentaire chez les musulmans
Les musulmans séparent en licite et illicite ce qu’ils peuvent manger.

 

La pureté « du cœur » des chrétiens

Ainsi, pour les adeptes de Jésus, tout est permis depuis que ce dernier a déclaré « purs » tous les aliments, même si l’interprétation de ce commandement est source d’incompréhension, auprès des disciples eux-mêmes. En en faisant une traduction littérale, dans la lignée des écrits hébraïques, il semblerait qu’ils n’aient pas saisi l’entièreté du message du Christ, ce qui l’aura agacé au point qu’il les interrogea en des termes quelque peu durs compte tenu de la bienveillance qu’on lui connaît:  « Etes-vous aussi sans intelligence? » (Marc 7:18). 

En réalité, Jésus ne fait pas appel à la même notion de pureté ou d’impureté que les Hébreux. Il marque une différence notoire entre la pureté du ventre pouvant être réglée en se rendant dans les «  lieux secrets, ce qui purifie tous les aliments  » (Marc 7:19), (entendre ici les toilettes) et la pureté du cœur qui, elle, peut se voir souillée par des mauvaises pensées, l’immoralité sexuelle, le vol, le meurtre, l’adultère, l’avarice, la méchanceté, la tromperie, l’obscénité, l’envie, la calomnie, l’arrogance et la folie. 

La pureté chrétienne relève donc davantage des comportements du fidèle que de la mise en place d’interdits, ce qui rend beaucoup plus difficile son appréhension et son application car cet « interdit qui n’existe pas » fait appel à la conscience de l’individu lui-même, ce que Matthieu illustre parfaitement en ces mots dans son Evangile (XV, 11) : « ce nest pas ce qui entre dans la bouche qui rend lhomme impur, mais ce qui sort de la bouche ; voilà ce qui rend lhomme impur». 

 

Le Vatican est un lieu symbolique fort
Pour les chrétiens, pas d’interdit alimentaire sauf l’hippophagie décrétée par le pape Grégoire III.

L’ éthique au cœur du christianisme

Alors, plutôt que de se voir imposer des interdits, les adeptes de la mouvance chrétienne sont appelés à la tempérance et à l’abstinence. En deux mots, cela correspond à respecter un jeûne durant certaines périodes et à veiller à appliquer une éthique dans leur mode de consommation. Néanmoins, dessiner les contours d’une consommation dite « éthique », devient difficile tant les notions qui la constituent sont subjectives et très souvent prédéterminées par les carcans sociaux, les préconstruits et les préjugés  collectivement admis. Les incontournables habitus, pour reprendre un terme cher au sociologue Pierre Bourdieu,  vont  donc avoir une influence significative sur la construction d’une consommation éthique et responsable. En réalité, alors que la société de plus en plus marquée par l’individualisation de la consommation et le clivage, la culture, le terroir, le devoir de mémoire culinaire avec « les bons petits plats de la Grand-mère » qui peuvent s’avérer être des éléments enrichissants, peuvent également « enfermer » l’individu dans des croyances protectrices. Les interdits d’apparence clivants ne seraient-ils pas des leviers  fédérateurs du groupe ? la question reste ouverte et complexifie d’autant plus notre analyse.

 

Après un travail réalisé en 2006 sur le développement durable, Anne Duthilleul, membre des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC), partage ses réflexions sur la Responsabilité sociale/sociétale des entreprises et tente, avec habilité certaine de montrer les ponts existant entre la sphère chrétienne et l’économie. Avec beaucoup de subtilité, elle apporte une teinte de spiritualité à son propos et nous invite à lire Laudato si’, la lettre encyclique du pape François sur la sauvegarde de la maison commune. Le souverain pontife y fait référence à de nombreuses thématiques en lien avec la RSE. Ainsi sont abordés la pollution, le changement climatique, la question centrale de l’eau, la perte de la biodiversité, la détérioration de la qualité de la vie humaine et dégradation sociale, l’inégalité planétaire, la faiblesse des réactions, et, dans son quatrième chapitre, l’écologie environnementale, économique et sociale, les trois piliers de la RSE. Le pape souligne également l’importance de la justice intergénérationnelle, du dialogue entre politiques nationales et locales ainsi que la transparence dans les prises de décision dans la préservation de principe de bien commun qu’il énonce comme suit :  » ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, datteindre leur perfection dune façon plus totale et plus aisée ».

 

Le chrétien, un frère soucieux de la fragilité de l’Autre

La fragilité est un présent
La fragilité est une force

Dans un premier temps, il faut comprendre que dans « l’écosystème chrétien » tout est particulièrement connecté : personnes, environnement, société, culture et relation au Dieu créateur, pour ceux qui croient. Mais après tout, il faut admettre que d’autres courants religieux partagent également ce maillage ; cependant, deux valeurs culturelles et sociales viennent marquer la pensée chrétienne. Il s’agit de l’altruisme et de la bienveillance. Ces dernières mènent le chrétien à se responsabiliser en sa qualité de consommateur quant à lutilisation qu’il fait des ressources et aux rejets qui en découlent et au rapport qu’il entretient avec l’Autre. Il est donc plausible de considérer que la responsabilité sociale fait écho à la responsabilité de lhomme vis-à-vis de ses frères. Et cette fraternité, qui prend paradoxalement racine dans la Genèse avec un acte fratricide, laisse entrevoir les prémices de la difficulté du « vivre ensemble » avec toute la complexité de l’acceptation des différences, des diversités, des cultures que cela exige de chacun d’entre nous. Le meurtre d’Abel par son frère Caïn illustre à merveille nos limites « à admettre la présence de l’autre et à gérer l’inégalité des chances et des destins ; en bref, de l’Autre et de l’identité ». C’est, du reste, ce qu’Anne-Laure Zwilling précise dans un article traitant du fratricide biblique.

 

La fraternité nous rend responsables, une notion qui est mise en avant dans l’échange entre Dieu et Caïn avec la mythique question de l’Eternel : « qu’as-tu fait de ton frère ? » et la réponse du frère fratricide qui en est faite « suis-je le gardien de mon frère ? » Bien entendu, et encore davantage chez les chrétiens ; car si le peuple d’Israël, dès le Deutéronome, se doit d’accueillir l’étranger comme son frère (Dt, 23, 7), le mot grec adelphotès, qui a donné en latin fraternitas n’apparaît qu’environ 95 ap. J.-C. Nous pouvons donc considérer que la fraternité trouve son origine chez les chrétiens et qu’elle relève du principe de « Christ-frère ». Elle est en cela une attitude éthique exigeante car elle demande un engagement total voire radical… tout comme la RSE. L’Evangile de Jean (3:12) vient renforcer cette fraternité en ces termes : « c’est que nous devons nous aimer les uns les autres, et ne pas ressembler à Caïn… » et de compléter dans (3:15) « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est un meurtrier, et vous savez qu’aucun meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui.… ».

 

Mais la responsabilité de l’Autre, c’est aussi accepter sa fragilité, un état à ne pas confondre avec la vulnérabilité ou la faiblesse car la fragilité n’a pas d’antonyme comme le souligne  Jean-Louis Chrétien.  Le philosophe et poète nous révèle que cette fragilité, propre aux chrétiens, doit nous permette de « prendre la mesure du mal » et de cesser le déni, la fuite ou la mise en place de stratégies d’évitement, une idée que l’on retrouvera également chez les protestants avec Luther. Toujours pour Jean-Louis Chrétien, il convient de noter qu’avec  les Pères de l’Église, fragilitas devient un mot essentiel du penchant au mal, cest-à-dire à linjustice. La fragilité c’est aussi le lieu du combat, où l’on retrouve l’espérance mais où se décide notre humanité ; là où notre faillibilité et notre propension à être corrompus s’expriment. Enfin, elle nous oriente dans notre conduite et c’est en cela qu’adopter une posture chrétienne va inéluctablement avoir des impacts significatifs sur nos comportements sociaux et nos actes d’achat et c’est bien la raison pour laquelle la fragilité ne doit pas être considérée comme un frein à la performance, mais comme une vertu économique et civique.

 

Reconciliation entre protestants et catholiques
Protestants et catholiques réunis autour de la RSE?

Force est de constater que la RSE en reprenant un grand nombre de concepts, vertus et valeurs telles que la responsabilité, la fragilité, la fraternité, la justice sociale, la transparence et la construction d’un monde meilleur montre une profonde volonté de respecter des diversités, la protection de l’environnement et la finance éthique puise ses racines aussi bien du protestantisme, avec la notion de contrat implicite lie l’entreprise et la société que du catholicisme, en assurant un prolongement de la doctrine sociale de l’Église. Cependant, la laïcisation qui s’opère en Europe depuis le siècle dernier semble avoir eu pour effet de « recouvrir » ces pratiques qui, en réalité ont pénétré beaucoup plus en profondeur qu’on ne le pense, nos environnements modernes et les références faites à la sensibilité sociétale (Corporate Social Responsiveness) comme à la performance sociétale pour Igalens dans les discours managériaux en témoignent. La RSE, est donc plus qu’un label et elle est devenue un véritable outil œcuménique laïc capable, entre autre, de rassembler dans un tout vertueux deux religions qui se sont tant déchiré. 

 

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