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« Est-ce que ça a vraiment servi à grand chose ? »: le bilan d’Attal à Bercy

TOULON, VAR, FRANCE - 2022/06/30: French minister delegate for the Budget Gabriel Attal, seen during his visit in Toulon. (Photo by Laurent Coust/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

Politique | L’actuel Premier ministre a occupé la fonction de ministre délégué chargé des Comptes publics entre mai 2022 et juillet 2023. S’il a multiplié les initiatives, son bilan reste globalement mitigé. 

Il n’aura passé que quatorze mois au cinquième étage de la « forteresse ». Suffisant pour que « tous les couloirs de Bercy pleurent (son) départ », comme l’assurait Bruno Le Maire le ministre de l’Économie et des Finances, le 21 juillet 2023 ? Si les mots du plus long locataire de Bercy sont quelque peu exagérés, Gabriel Attal semble avoir laissé un bon souvenir dans l’est Parisien, avant son départ de son poste de ministre délégué chargé des Comptes publics vers le ministère de l’Éducation nationale 

Pascaline Kerhoas, secrétaire générale de FO-Finances, a connu plusieurs ministres du Budget. « C’est un des seuls ministres qui a assisté à toutes les instances ministérielles (instance de concertation dans la fonction publique, NDLR), ce n’était pas arrivé depuis longtemps », souligne-t-elle. Elle se souvient d’une personne avec une « excellente mémoire » qui  « laisse parler ses interlocuteurs » et ne « laisse pas l’administration se saisir des dossiers à sa place »

Le nombre de suppression de postes a été fortement réduit lors de son passage à Bercy. Un exploit pour un ministère qui a, plus que tous les autres, taillé dans ses effectifs depuis vingt ans. Mieux, Gabriel Attal a permis l’avancée de deux demandes de longue date des syndicats : une prime de fidélisation pour les fonctionnaires dans des zones compliquées et l’obtention à vie d’une indemnité spécifique au ministère des Finances. Son soutien indéfectible à la réforme des retraites est-il venu noircir le trait ? « On est habitué à ce que Bercy reste dans la ligne du gouvernement », confie Pascaline Kerhoas. 

 

Opportunité en or

Reste que le bilan d’un ministre se juge moins à la satisfaction de ses administrés directs, qu’à ses actions politiques. Arrivé au ministère de l’Économie en mai 2022, dans un configuration à cinq ministres, Gabriel Attal en est conscient, lui qui était à la lutte avec Clément Beaune pour le poste : Bercy est une opportunité en or pour faire décoller sa carrière. La route n’en n’est pas moins semée d’embûches. Celui que l’on surnomme alors « le jeune Gabriel » doit parvenir à s’extirper de l’ombre de Bruno Le Maire, autorité des lieux. Surtout, celui qui se voit en « ministre du pouvoir d’achat » doit composer avec la remontée de l’inflation et une volonté affichée de l’exécutif de sangler les finances publiques. Soit une nouvelle déclinaison du fameux « en même temps » qui rythmera son passage aux comptes publics. 

L’examen du Budget 2023 fait figure de baptême de l’air pour le nouveau ministre. En cette rentrée 2022, Gabriel Attal lance en amont de l’examen du texte plusieurs réunions intitulées « les dialogues de Bercy ». L’objectif : trouver des compromis avec les oppositions afin d’éviter l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution faute de majorité au Parlement. « Dans un contexte inédit [ces “dialogues de Bercy” constituent] une initiative inédite », lance-t-il au Parisien

Une vingtaine de parlementaires de tous bords se retrouvent ainsi pour trois après-midi de discussions. « Ils ont même accès aux articles fiscaux », fait valoir le ministre délégué aux Comptes publics. Des déclarations qui n’empêchent pas la députée Les Républicains Véronique Louwagie, de dénoncer auprès de Forbes France « une situation inégalitaire ». « Le gouvernement détenait des informations qui ne nous étaient pas communiquées », déplore-t-elle.  « C’était très cordial même si c’était cadré, renchérit Christine Pirès Beaune, députée socialiste. Après est-ce que cela a vraiment servi à grand chose ? » 

 

Biais idéologiques

Ces réunions laissent un goût amer aux oppositions. « Lors de ces dialogues, nous avions exprimé notre volonté de mieux accompagner les ménages et les entreprises, souffle la députée PS. Le tout sans dégrader le déficit public grâce à une meilleure taxation des superprofits, notamment des énergéticiens. » Même son de cloche du côté de Véronique Louwagie, qui regrette la fin de non-recevoir accordée aux requêtes de son parti sur le ciblage du bouclier tarifaire, qui l’aurait réservé aux ménages le plus démunis.  

Si le texte final n’est pas celui qui avait été « envisagé avant les dialogues de Bercy », l’initiative lancée par Gabriel Attal se solde finalement par un échec. Lors des débats parlementaires de l’automne, le gouvernement déclenche dix fois l’article 49.3 de la constitution afin de faire passer sans vote les budgets de l’Etat et de la Sécurité sociale. Du jamais-vu depuis 1989. 

Autre sujet sur lequel Gabriel Attal s’illustre : la fiscalité. Si le chef de l’Etat balaie son projet de « plan Marshall pour les classes moyennes », il reprend volontiers celle d’une baisse d’impôt qui leur serait dévolue. En parallèle, le ministre lance une vaste consultation, intitulée « en avoir pour mes impôts » qui a pour objectif d’inviter les citoyens à donner leurs avis sur l’utilisation des recettes fiscales. Le dispositif reçoit de nombreuses critiques, notamment à gauche. Celui-ci est accusé de présenter certains biais idéologiques et méthodologiques, avec par exemple la non-différenciation entre impôts et cotisations sociales.

 

« Changer les règles du jeu »

Comme nombre de ses prédécesseurs l’ont fait avant lui, Gabriel Attal lance un énième plan contre la fraude fiscale début mai. Une rallonge de 100 millions d’euros est faite. D’aucuns voient une façon de clore le douloureux épisode de la réforme des retraites et de répondre aux attentes de justice sociale (la fraude fiscale représenterait entre 60 et 100 milliards d’euros par an). « Chaque fraude fiscale est grave, mais celle des plus puissants est impardonnable », tonne-t-il dans le Monde. Le ministre évoque même la « mise en place d’une COP fiscale » portée par la France. 

« En clair, Gabriel Attal tire au Bazooka sur des maisons de paille quand il s’attaque à des forteresses avec des lance-pierres. » 

Si les annonces ont, sur le papier, belles allures, les experts de la question pointent plusieurs zones d’ombres. « Parmi les principales mesures présentées, il y a une augmentation des contrôles fiscaux sur les plus grandes fortunes et les multinationales, indique Quentin Parrinello, conseiller politique à l’observatoire européen de la fiscalité. Mais les moyens utilisés par celles-ci relèvent de l’optimisation fiscale et sont donc légaux. Pour avoir un réel impact il faut avoir la volonté de changer les règles du jeu, s’attaquer à la zone d’ombre. »

Le plan sur la fraude aux prestations sociales, terrain de prédilection de la droite, est présenté quelques semaines plus tard. La modernisation des systèmes d’information des caisses de sécurité sociale doit financé avec 1 milliard d’euros de crédits d’investissement, pour un montant détourné estimé entre 6 et 8 milliards d’euros par an. « En reprenant les chiffres avancés par le gouvernement, les politiques contre la fraude sociale bénéficient, proportionnellement, de 73 fois plus d’investissements que celles contre la fraude fiscale, remarque Benjamin Bürbaumer, maître de conférences en sciences économiques à Sciences Po Bordeaux. En clair, Gabriel Attal tire au Bazooka sur des maisons de paille quand il s’attaque à des forteresses avec des lance-pierres. » 

Récompense

Mais c’est au moment de la réforme des retraites – texte dont il a la cotutelle avec le ministre du Travail Olivier Dussopt -, que Gabriel Attal se fait le plus remarquer.  Quand nombres de ses collègues font l’autruche, le jeune ministre se démultiplie dans les médias et sur le terrain pour expliquer que la réforme sert « les Français de classe moyenne qui se lèvent le matin pour aller travailler ». Accueilli par des casseroles dans l’Hérault le 25 avril, le ministre s’emporte contre les « permanents syndicaux » et autres « militants d’ultragauche » : « Ceux qui ont le temps d’accueillir des ministres de 14 heures à 18 heures en pleine semaine, a priori, ce ne sont pas les Français qui travaillent, qui ont des difficultés à boucler les fins de mois ».

« Au travers de la nomination de Gabriel Attal au poste de Premier ministre, le président a récompensé l’un des artisans de la réforme les plus impopulaires de son mandat », estime  Benjamin Bürbaumer. Et ce, en défendant corps et âme ce que l’économiste considère comme « la raison qui a poussé le gouvernement à promouvoir la réforme » : la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et son coût de 12 milliards d’euros pour les finances publiques quelques mois plus tôt. Même le FMI, qui exhortait alors le gouvernement français à repousser les baisses d’impôts, n’avait pas réussi à faire infléchir le « jeune Gabriel », c’est dire… 

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